Le ministre des Finances Luc Frieden, CSV, veut démarrer des négociations avec les autorités américaines en vue de transposer les accords Fatca (pour Foreign Account Tax Compliance Act permettant d’identifier les avoirs des Américains à l’étranger) au Luxembourg. Un acronyme qui soulève pas mal d’inquiétudes sur la place financière, mais qui apparaît de plus en plus comme un mal nécessaire. Son impact a d’ailleurs été dédramatisé depuis que la Suisse, qui comme le Luxembourg s’accroche à un modèle d’affaire fondé sur la confidentialité, expression politiquement correcte du secret bancaire, a annoncé, le 4 décembre, avoir signé un accord intergouvernemental avec l’administration américaine pour « implémenter » le Fatca. L’accord est soumis à des exceptions (les Suisses appellent ces dérogations des « allègements ») et fera l’objet d’un référendum. Ainsi, selon le communiqué de presse de la Confédération, les placements collectifs réputés conformes au Fatca seront uniquement soumis à une obligation d’enregistrement et les obligations d’identification des clients américains pour les établissements financiers ne devront pas causer de charges administratives excessives. Les déclarations se feront soit avec l’accord du titulaire du compte, soit par le biais de « demandes groupées ». En l’absence d’autorisation, les renseignements ne seront pas échangés automatiquement, mais uniquement sur la base de la clause d’assistance administrative de la convention contre les doubles impositions.
Place concurrente du Luxembourg dans l’industrie des fonds d’investissement, l’Irlande négocie également avec les États-Unis un accord Fatca light, selon le modèle de niveau 2, comme la Suisse. Les milieux financiers ont bon espoir que le ministre luxembourgeois présenté comme le plus pro-américain du gouvernement Juncker, parvienne à son tour à un accord acceptable. Faute de quoi, le Fatca s’appliquera au 1er janvier 2014 sans aucun aménagement, ce que les Luxembourgeois craignent comme la peste, bien que les opérateurs du secteur financier tentent de relativiser l’importance de la clientèle américaine au grand-duché. L’industrie des fonds d’investissement,où les États-Unis sont un des principaux acteurs des OPC de droit luxembourgeois en termes d’actifs et de nombre de structures, pourrait toutefois être lourdement impactée par Fatca, certains analystes voyant derrière ces accords, la volonté de déstabiliser l’industrie européenne de la gestion collective.
Luc Frieden, qui recevait mardi la présidente et ministre des Finances de la Confédération suisse Eveline Widmer-Schlumpf, a laissé entrevoir qu’il voyait le modèle suisse du Fatca comme « une piste à suivre », tout en reconnaissant que les négociations intergouvernementales qu’il entend mener relèveront évidemment des bonnes dispositions des autorités américaines. Le ministre des Finances a donc du pain sur la planche au cours des prochains mois et ce n’est pas un hasard s’il a appelé à une « offensive » des places financières internationales, dont la Suisse, Hong Kong ou Singapour, pour protéger ce qui peut encore l’être de la sphère privée contre les tendances hyper-régulatoires qui risquent d’asphyxier leur développement (enfin surtout les places luxembourgeoise et suisse, les centres financiers asiatiques étant présentés comme les gagnants potentiels de l’évolution du marché de la banque privée). Comme l’a rappelé mardi Luc Frieden lors d’un point presse commun avec son homologue suisse, l’accord qui sera trouvé entre Washington et le Luxembourg aura une incidence majeure sur la manière dont évoluera la coopération dans le domaine fiscal en Europe. C’est en tout cas ce que vient de lui rappeler la Chambre de commerce dans son avis sur la transposition d’une directive de 2011 (2011/16/UE) qu’elle a rédigé le 26 novembre dernier. Le texte européen prévoit de renforcer l’échange d’informations en matière fiscale (impôts directs) entre les administrations européennes. Pour lutter contre la fraude fiscale, les communications se feront sur une base systématique (donc échange automatique) à partir de 2015 pour certaines catégories de revenus. Le gouvernement luxembourgeois en a retenu trois : revenus professionnels, tantièmes et retraites. Les produits d’assurance-vie seront encore exclus ainsi que la propriété des revenus des biens mobiliers. Le projet de loi transposant la directive 2011/16/UE n’en est pas encore à ce stade, un autre texte devra être rédigé ultérieurement pour tenir compte de « l’évolution de la situation internationale », terminologie dont les milieux financiers ont appris à se méfier. « Cette évolution, écrivent leurs représentants dans l’avis, est à observer de très près et avec méfiance ». Tout comme il convient aussi de « coller à la culotte » ceux qui propagent cette notion ainsi que leurs arrière-pensées plus ou moins avouables. « Le secret bancaire représente (…) le droit du client d’être protégé contre une trop grande intrusion de l’État dans la sphère privée. Certains abus au niveau du secret bancaire, constatés dans le passé, ne justifient certainement pas de faire table rase de tout et d’amputer le droit fondamental à la vie privée d’une partie très importante : la protection de la sphère patrimoniale ».
Dans les difficiles négociations qui ont cours sur le plan européen, Luc Frieden demande « une discussion ouverte ». Il cherche surtout, sur la question de l’échange d’informations fiscales, à baliser le terrain juridique, avec « un environnement clairement défini » qui n’exigera pas des Luxembourgeois, du fait de leur appartenance à l’UE, des sacrifices que d’autres places financières hors de ce périmètre n’auront pas à faire. Les négociations bilatérales avec les autorités américaines dans le cadre du Fatca auront donc valeur de test. De leur issue (incertaine) devrait dépendre l’avenir du droit à la protection de la sphère patrimoniale au sein de l’UE, car la directive de 2011 renforçant la lutte contre la fraude fiscale est un texte « piégeux » pour les juridictions qui, comme le grand-duché, s’accrochent au secret bancaire. La directive prévoit en effet une clause de la nation la plus favorisée qui n’a rien d’anodin : si le Luxembourg offre à un pays tiers (les États-Unis par exemple) une coopération fiscale plus étendue que celle prévue par la directive, il ne pourra pas refuser d’étendre cette coopération à un autre État membre.
Véronique Poujol
Catégories: Place financière
Édition: 07.12.2012