À cette question, les assureurs luxembourgeois d’un côté, leur autorité de contrôle de l’autre apportent des réponses contrastées. Selon l’ACA, l’organisation professionnelle des assureurs luxembourgeois, 2011 restera dans les annales comme un cru médiocre. L’année se signale en effet par un net ralentissement de l’activité (encaissement global en baisse de 22,73 pour cent) et par un effondrement des bénéfices récurrents des entreprises (- 49 pour cent). Une situation que le communiqué de l’ACA publié en juillet 2012 résume en des termes désenchantés : « Le secteur de l’assurance en 2011 : conjoncture difficile, perspectives préoccupantes ».
Toute autre est la tonalité du Commissariat aux assurances (CAA). Il estime, dans l’éditorial de son rapport annuel 2011, que « dans le contexte difficile de la quatrième année de la crise des marchés financiers, le secteur a fait preuve d’une résistance remarquable ». À l’appui de cette appréciation, le CAA observe que malgré une contraction de l’encaissement, les résultats des assureurs demeurent positifs ; que la somme de leurs bilans reste sensiblement au même niveau que l’année précédente ; que la solvabilité des entreprises reste robuste ; enfin que l’emploi salarié global du secteur s’est accru de treize pour cent.
Que faut-il penser de ces appréciations discordantes ? Après examen, il semble bien que les deux points de vue se complètent, chacun comportant sa part de vérité.
Sur le chapitre de l’activité d’assurance mesurée en volume de primes collectées, il est vrai que l’année 2011 a subi par rapport à l’année précédente une décrue globale de 22,73 pour cent. C’est un chiffre important, mais qui mérite d’être affiné. On observera d’abord que le phénomène ne concerne pas l’assurance non-vie, dont les primes ont continué, en 2011, à croître modérément aussi bien sur le marché local (+ 2,72 pour cent) que sur le marché international (+ 5,62 pour cent) ; ce sont là des performances honorables dans un contexte de quasi-stagnation de l’encaissement en Europe. La contraction des primes se concentre sur l’assurance-vie qui, avec 14,6 milliards d’euros collectés pour l’essentiel sur le marché international, décroche de 34,52 pour cent par rapport à l’exercice précédent. Faut-il s’en inquiéter ? Ce n’est pas l’opinion du CAA, qui souligne que les évolutions en la matière méritent d’être considérées avec du recul. En l’occurrence, les chiffres de 2010 ne sauraient servir de référence en raison de leur caractère exceptionnel. Ils ont été gonflés, spécialement sur le marché belge, par une « bulle des souscriptions » liée à des considérations fiscales : la perspective d’une réforme imminente, et défavorable aux futures souscriptions d’assurance-vie, de la directive européenne sur la fiscalité de l’épargne. Un tel argument de vente ne pouvait durer qu’un temps et une décrue des encaissements était inévitable. Elle s’est produite en 2011, avec une particulière violence en Belgique (- 64,49 pour cent) qui, en la circonstance, a cédé à la France la place de premier marché étranger des assureurs vie luxembourgeois.
On notera également que, dans un contexte difficile pour l’ensemble de l’assurance-vie européenne, le Luxembourg a échappé au phénomène de décollecte qui a affecté en 2011 certains pays comme la France. Les prestations servies en 2011 par les assureurs-vie luxembourgeois (c’est-à-dire les rachats et les capitaux versés en cas de dénouement du contrat par décès), bien qu’en progression par rapport aux années antérieures, n’ont représenté qu’une fraction (56 pour cent) des primes encaissées et n’ont pas empêché une croissance (+ 4 pour cent) du montant des provisions techniques qui expriment, au bilan des compagnies d’assurance vie, le volume des contrats en cours.
Ceci dit, il ne faut pas se dissimuler que l’assurance vie, spécialement l’assurance vie de placement qui constitue l’essentiel de la production des assureurs luxembourgeois, est une activité extrêmement sensible à l’environnement financier. Contrairement à un portefeuille d’assurance dommages qui présente une certaine stabilité, un fonds de commerce d’assurance vie est volatil, car les contrats modernes d’assurance vie permettent aux clients de se retirer très facilement s’ils trouvent ailleurs à placer leur épargne plus avantageusement. Mais pour l’heure, une telle perspective n’est pas d’actualité car les chiffres communiqués par le CAA pour les neuf premiers mois de l’année 2012 sont excellents. En assurance-vie, le marché a retrouvé une croissance vigoureuse : par rapport à la période correspondante de l’exercice précédent, l’encaissement a progressé de 41,43 pour cent et les provisions techniques des branches vie ont dépassé pour la première fois le seuil symbolique de cent milliards d’euros. L’assurance non vie, activité traditionnellement plus stable que l’assurance-vie, se porte elle aussi très bien avec des primes en progression de 7,56 pour cent sur le marché domestique et de 21,97 pour cent pour les entreprises opérant à l’étranger dans les branches non-vie. Ce dernier chiffre est important : il démontre que l’assurance luxembourgeoise poursuit sa diversification par un renforcement significatif de son internationalisation dans l’assurance non-vie, au point que désormais les primes encaissées au titre des affaires internationales représentent près de cinq fois le montant des primes collectées sur le marché local. Autant de nouvelles qui sont de nature à valider la confiance exprimée par le CAA dans l’aptitude de l’assurance luxembourgeoise à poursuivre son développement.
Mais le dynamisme commercial est une chose, la rentabilité en est une autre. Que faut-il penser de la situation financière des entreprises d’assurance, dont l’ACA déplore qu’elle se soit fortement détériorée en 2011?
Des distinctions s’imposent à cet égard puisque les résultats des entreprises d’assurance ont principalement deux sources : d’une part leur activité d’assureur proprement dit qui génère des résultats techniques ; d’autre part leur activité de gestionnaire des actifs acquis en représentation des provisions techniques, qui engendre des produits financiers.Sur le premier point, l’année 2011 se présente plutôt bien pour les assureurs non-vie. Grâce à une amélioration de la sinistralité et une bonne maîtrise des frais généraux, ils peuvent se prévaloir d’un ratio combiné (sinistres + frais d’acquisition + frais généraux/primes acquises) de 83,96 pour cent, qui laisse un bénéfice technique appréciable.En revanche, les faibles performances des actifs ont fait chuter les produits financiers des assureurs non-vie dans une proportion importante (- 31,91 pour cent). Malgré cela, leurs résultats 2011 restent positifs ; et leur rentabilité est élevée, même si le taux de rendement sur fonds propres affiché pour 2011 (25,80 pour cent) s’explique en partie par des bénéfices non récurrents.
Pour les entreprises d’assurance-vie, ce taux de rendement n’est que de 4,37 pour cent, en forte régression par rapport à l’exercice précédent. Cette détérioration des résultats de l’assurance-vie est la conséquence d’un effondrement des revenus de placement. Ainsi, les actifs représentatifs des contrats d’assurance-vie en euros à rendement garanti par l’assureur ont rapporté en 2011 seulement 3,37 pour cent. Un rendement aussi faible n’a rien d’étonnant dès lors que ces contrats sont adossés pour l’essentiel à des placements obligataires (obligations d’État et corporate bonds), dont les taux connaissent en ce moment un bas historique. Et comme le relève le CAA, ce rendement est tout juste suffisant pour financer la revalorisation des contrats qui s’est élevée en moyenne à 3,25 pour cent pour 2011 ; il ne permet pas à l’assureur de prendre sa participation aux bénéfices financiers. Quant aux contrats en unités de compte, adossés à des instruments financiers plus volatils, leurs actifs représentatifs ont perdu 3,93 pour cent (- 5,17 pour cent pour les contrats grand public et - 3,47 pour cent pour les contrats à fonds dédiés qui bénéficient en principe d’une gestion plus sophistiquée). Cette perte est certes supportée par le client ; mais elle affecte également les revenus des entreprises dans la mesure où elle rétrécit l’assiette des frais de gestion prélevés sur les contrats. Bref, la situation des marchés financiers n’est guère favorable aux entreprises d’assurances. Et comme si cela ne suffisait pas, le projet de directive Solvency 2 les détourne, sous peine d’avoir à payer un lourd tribut en fonds propres supplémentaires, d’investir dans des classes d’actifs à risques comme les actions et certaines obligations d’entreprises. En sorte que le principal souci des assureurs est aujourd’hui de trouver des investissements qui soient à la fois rentables et, si possible, peu pénalisants pour leurs fonds propres au regard de la future réglementation européenne.
On comprend dans ces conditions les appels à la mo-dération lancés par l’ACA afin de réduire le poids de réglementations de plus en plus coûteuses pour les assureurs. S’il en était besoin, la récente augmen-tation de la contribution des assureurs aux frais de fonctionnement du CAA apporterait la démonstra-tion que ces réformes incessantes ont un prix.