Piratepartei Lëtzebuerg

À l'abordage !

d'Lëtzebuerger Land du 08.10.2009

Une chaloupe peut-elle concurrencer les gros vaisseaux des partis populaires traditionnels dans la course au succès électoral ou s’agit-il juste d’un phénomène éphémère ? Dimanche, un nouveau parti est né avec une ­poignée de membres : Piratepartei Lëtzebuerg, voguant sur la lame de fond des partis pirates existants en Suède – avec un député européen – ou en Allemagne, où la Piratepartei a réussi à obtenir deux pour cent lors des élections il y a deux semaines. 

Pourquoi ce nom loufoque ? « Parce que nous sommes régis par le principe de la démocratie de base, comme c’était le cas sur les navires pirates d’antan », explique le président Sven Clement, étudiant en systèmes d’informations, tout en se défendant de faire l’apologie des écumeurs de mer romanesques, « il faut savoir qu’ils avaient même leurs caisses de maladie, la collectivité payait lorsqu’il y avait des victimes. » Une deuxième référence a été la fermeture forcée des serveurs du site d’échanges de fichiers Pirate Bay en Suède en 2006. Cette affaire a donc été le symbole de l’entrée en action politique des membres des partis pirates qui militent pour un libre accès à Internet et l’abolition des barrières permettant de copier et de reproduire des œuvres culturelles. 

Maintenant, la question reste posée si les quelques points du catalogue de revendications suffiront à mobiliser un électorat suffisamment important pour avoir droit à la parole. « Nous estimons que nous allons évoluer un peu comme le parti des Verts dans les années 1980, présume le président. 

À l’époque, ce parti s’était surtout positionné par un programme réduit aux questions écologiques et a ensuite étendu ses compétences à d’autres sujets. » Son parti s’est fixé l’échéance des prochaines élections législatives et européennes en 2014 et, éventuellement, la participation au scrutin communal de la Ville de Luxembourg dans deux ans. « Participer cette année déjà aux élections aurait été trop tôt, car nous avons commencé il y a cinq mois avec treize personnes – ça aurait été cause perdue, concède Sven Clement. Mais il ne faut pas nous sous-estimer. Nous avons l’appui des partis des autres pays avec lesquels nous fonctionnons en réseau et nous sommes sur le point de créer un organe international à Berlin regroupant les partis satellites. Maintenant, nous sommes en train de consolider notre base. » 

D’ailleurs, le jeune président de vingt ans se réjouit que depuis l’annonce par les médias de la création du nouveau parti, celui-ci compte en moyenne un nouveau membre quasi toutes les deux heures. Sven Clement n’est pas nouveau en politique, car jusqu’ici, il a été membre des jeunes socialistes. Étonnant qu’il n’a pas tenté d’y développer ses idées avec les autres membres de la génération Internet. « Le LSAP est trop idéologique dans ses fondements, critique-t-il. Personnellement, je suis plus pragmatique et je trouve que les partis traditionnels sont trop linéaires – ce qui a du sens pour ces partis-là. Mais les sujets sont trop adaptés au schéma X qu’ils représentent. Maintenant, il se peut que notre parti dérive aussi dans un sens idéologique, comme ça a été le cas pour les Verts. » Le terme « post-idéologique » est son mot favori. Et d’ajouter que son parti est ouvert à tout le monde, même à ceux qui sont affiliés à d’autres groupements politiques. 

À côté de revendications qui pourraient aussi être celles d’une union des consommateurs sur Internet, le parti des pirates se veut aussi être le défenseur de la protection des droits fondamentaux comme la protection des données personnelles. Or, le grand-duché s’est doté d’une législation et d’une commission nationale pour la protection des données, chargée de veiller au respect scrupuleux de ces droits. « Le Luxembourg ne se trouve pas du tout à la pointe du progrès en la matière, soutient Sven Clement. La protection des données devrait être contrôlée par une instance indépendante du gouvernement. En plus, elle doit avoir la possibilité de mieux sanctionner les transgressions. Un exemple est le registre national avec la matricule personnelle des citoyens. Je trouve aberrant que de simples étudiants aient accès à cette base de données lorsque je voudrais m’inscrire au conservatoire de musique par exemple. » 

La surveillance par des caméras n’est pas justifiée non plus, ajoute Sven Clement, la criminalité n’en est que délogée vers un autre endroit. Qu’en est-il de l’argument que le citoyen en règle n’a rien à craindre puisqu’il n’a rien à cacher ? « Il y a deux illustrations en réponse, ajoute le président, d’abord le code pin de votre carte bancaire, pourquoi ne pas le transmettre ouvertement aux autres tant qu’on y est ? Ce que je veux dire, c’est que chacun a des secrets et chacun doit pouvoir décider lui-même ce qu’il souhaite en dévoiler. Deuxièmement, lorsque je suis dans le train et que je lis un livre, je trouve très désagréable qu’une autre personne se penche par-dessus de mon épaule pour lire aussi. C’est pareil avec la surveillance caméra. L’État n’a pas à me suivre dans mes gestes. Le message disant que personne n’a rien à craindre de l’État du moment qu’il n’a rien fait de mal n’est pas acceptable. »

Le parti pirate est contre toute censure et contre toute tentative d’inter­vention de l’État visant à interdire l’accès à certains contenus illégaux comme des sites de pornographie infantile par exemple. En Allemagne, la loi permettant de fermer des sites à caractère pédophile a provoqué un tollé parmi la population criant à la censure, provoquant une fissure entre ceux qui considèrent qu’Internet ouvre grande la porte aux terroristes aux pervers de tous bords et ceux qui considèrent le Net comme une place où ils peuvent pleinement profiter de leurs libertés personnelles et organiser leur vie privée comme bon leur semble. « Nous ne sommes pas contre tout contrôle et toute intervention de l’État, estime Sven Clement. Mais d’un point de vue technique, il est tout simplement ridicule de vouloir contrôler Internet. Mais ce n’est pas un endroit en dehors des lois. File-sharing, pornographie infantile, les appels à la violence etc. doivent être poursuivis dans le Net. Mais il n’est pas acceptable qu’on le fasse en amont alors qu’off-line, les poursuites se font après-coup. » Mais en pratique, il est beaucoup plus difficile d’appliquer les procédures classiques de la justice à des exactions virtuelles, ultrarapides et volatiles. Un casse-tête qui n’est pas près d’être résolu. 

En Allemagne toujours, la Piraten­partei se voit critiquée parce que certains de ses membres sont soupçonnés de pédophilie ou de sympathiser avec l’extrême droite. Le risque que les objectifs du parti soient détournés par des personnes malveillantes n’a pas l’air de tourmenter le président de la section luxembourgeoise. « De toute façon, le trafic de matériel pédo-pornographique se fait moins on-line que l’on ne pense. Le gros se fait off-line. Mais nous nous opposons au fait qu’un gouvernement puisse bloquer des sites juste parce que ça lui chante ! Nous ne sommes pas contre l’intervention de la police, mais il faut absolument éviter qu’elle obtienne des moyens de censure. Il faut une solution à la source ! En Allemagne, la police a le droit d’interférer et de stocker tous les mails, même avant d’avoir un soupçon concret. Cela va trop loin. »

Un autre point qui fâche est le principe des droits d’auteur. Là encore, la Piratepartei Lëtzebuerg dit ne pas être totalement pour une abolition pure et simple, mais pour une « adap­tation selon les développements récents, c’est-à-dire pour des alternatives comme le paiement de ‘flat-rates pour la culture’, un fonds alimenté par les consommateurs de culture pour payer les artistes et les intellectuels. Ce qui permettrait de consommer gratuitement du moment que le forfait a été payé. » 

En outre, le parti voudrait plus de transparence au niveau des administrations de l’État qui devraient mettre automatiquement des données à disposition du public. « Cela montre aussi une certaine mentalité de retenir des informations – posséder une information, c’est avoir du pouvoir et ne pas la partager, c’est se rendre indispensable. »

Selon Sven Clement, les positions et les revendications de son nouveau parti ne sont pas incompatibles avec celles d’autres partis traditionnels. C’est la raison pour laquelle il se dit ouvert au dialogue avec tous les mouvements, à condition qu’il respecte les fondements de la démocratie. « Je ne pense pas que nous heurtons un quelconque parti, ce sont plutôt certains politiciens qui vont peut-être se retrouver dans une position inconfortable, » dit-il avec une certaine mésestime pour des responsables politiques qui ne comprendront rien au sujet et qui tenteront quand même d’imposer des lois sur une réglementation des nouveaux médias, tout en sachant que ce sont les prochaines générations qui seront concernées. Et le fait de se servir du réseau pour augmenter leur cote de popularité en montrant leur faciès sur Facebook et d’y collectionner les « amis » n’ajoute rien à leur crédibilité. Un conflit de générations ? Les membres des partis pirates ont en règle générale une trentaine d’années. Beau­coup sont sidérés par l’ignorance technique des décideurs qui tentent désespérément de réglementer l’espace digital. 

D’un autre côté, les détracteurs du parti lui reprochent d’être des conservateurs dont le but principal est de maintenir le statu quo, sans véritable alternative pour régler les zones d’ombre d’Internet et protéger des vic­times potentielles. « Nous sommes pour une amélioration de la situation existante, répond Sven Clement, pas pour une aggravation. Nous appuyons le traité de Lisbonne, même si cela implique que certaines directives risquent d’être adoptées qui menacent la protection des données. » Pour le Luxembourg, l’avancée du traité ouvre la possibilité de départ du Premier ministre Jean-Claude Juncker (lire page 2-3). « C’est dans l’intérêt de la protection des données et des droits des citoyens qu’il reste à son poste au Luxembourg, estime Sven Clement, car dans la politique nationale, il n’y a aucune alternative, appuyée par le CSV pour le remplacer, qui serait acceptable de notre point de vue. »

Politiquement, le nouveau parti se dit neutre, un électron libre au-dessus de la mêlée gauche-droite. À y regarder de plus près, il se range néanmoins dans la sphère gauche libérale. Demain samedi, il participera par exemple à la manifestation contre la surveillance et la censure Freedom not fear, aux côtés de déi Lénk.  

Les grands partis traditionnels ont-ils raté le train, perdu le contact avec une frange de la population, jeune surtout ? Jusqu’à présent, il n’y a pas eu d’engouement pour ce sujet. Peut-être que l’apparition de ce nouveau parti forcera-t-elle les grands partis à s’adapter et à se pencher sur le sujet. Tout comme les Verts ont à l’époque forcé le barrage pour les questions écologiques.

anne heniqui
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