Dans une ambiance très contemporaine, forcément un peu anachronique, le public (beaucoup de scolaires !) découvre un nouvel Alceste et sa misanthropie, Le Misanthrope, version Myriam Muller, au théâtre du Centaure. Le décor baigne dans un jaune canari (couleur de la trahison), recouvre les panneaux qui délimitent la petite scène, des portraits photos au mur très glossy, l’inscription « Zeitgeist » qui annonce la couleur, quatre chaises design et une pile d’albums photos – un véritable environnement de post-trentenaire bobo, très efficace malgré l’exiguïté des lieux. Un parfait choix de texte datant de 1666 pour une époque de fin des temps, la nôtre ; il peut être transposé à tous les niveaux de la société, aussi bien à la politique, où l’on s’imagine bien qu’il doit y avoir un homme, un, ou une femme qui résiste contre le fléau de la malhonnêteté, de l’hypocrisie. Mais Le Misanthrope peut tout aussi bien coller au microcosme de l’art contemporain, de la littérature ou même du théâtre, domaines dans lesquels il n’est que difficilement possible de dire toute sa vérité et rien que sa vérité.
Dans le meilleur texte de Molière de cette nouvelle version luxembourgeoise, il nous est permis de constater à quel point ce texte comique (à forte tendance tragique) en cinq actes, est actuel et pamphlétaire.
Alceste interprété avec punch par Jules Werner, toujours comme tenu par son rôle de policier de film d’action dans Doudege Wénkel de Christophe Wagner, permet de ce fait ce drôle de personnage qui, intrigué par la vie, la vraie, se doit de s’éloigner du mensonge constant que fabriquent ses contemporains. Il ne supporte plus les jeux d’intrigues que s’imposent les gens avec qui il est censé créer une communauté. Au milieu de ceux-ci, une belle – sa belle Célimène – offerte à nous par l’électrisante et lumineuse Laure Roldan, dans des tenues ultra-sexy (créées par Caroline Koener) une jeune femme consciente de sa puissance de séduction, qui en même temps, dans son rôle bien travaillé ne peut qu’être soumise à toutes ces relations dénuées de valeurs humaines, nobles, elle s’y perd. Mais Alceste, malgré tout ce qu’elle représente et malgré toutes ses futiles connexions humaines qu’elle entretient avec une cour de prétendants, aime sa Célimène. Et là, voici le paradoxe de l’amour ; les êtres semblent être attirés par leurs contraires et peut-être que réside là-même le véritable combat d’Alceste, celui de la recherche de la vérité ultime de ce que sont les sentiments amoureux, les sentiments d’amitié.
Dans un début frontal et sans aucune longueur, sur fond de bande sonore, proche des créations musicales d’un Ghédalia Tazartès et qui fonctionnera tout le long comme un sombre refrain permettant la digestion un à un de tous les actes (souvent accompagné de noirs complets), l’ami de toujours, Philinte (bel et discret Olivier Foubert dans le rôle du philanthrope) tente de nuancer la hargne d’Alceste contre ses semblables, prenant à partie le public et faisant directement penser à la récente mise en scène du berlinois Thomas Ostermeier de L’ennemi du peuple d’Ibsen. Mais ici, heureusement on n’insiste pas, on ne prendra pas en otage le public et tant mieux.
Quoi qu’il en soit, scène après scène, acte après acte, on palpe entièrement l’intérêt du propos et l’amertume presque ancestrale et cyclique qui découle des relations humaines. On découvre également à quel point les personnages qui se succèdent sont bien tenus par les acteurs (pour certains novices, comme Fred Neuen et son large sourire qui nous livre un marquis impeccable, accompagné de ces deux compères de même statut et stature, interprétés par Raoul Schlechter et Brice Montagne). Tous sont dans leurs bottes, une Valérie Bodson en prude, digne et frustrée Arsinoé, légèrement semblable dans son jeu à la metteure en scène elle-même ; Christine Muller, toute douce Eliante et un exceptionnel Valéry Plancke en furieux et drôle Dandy-Oronte, avide de reconnaissance et de gloire artistique. Oui, Myriam Muller sait diriger cette bande de jeunes acteurs, c’est indubitable.
En tout cas, dans ce Misanthrope, on ressent la rigueur, l’exercice mais aussi autant d’élasticité intellectuelle, en somme un parfait travail sur les nombreux sujets qui traversent la pièce : entre autres et pour ne citer que ceux-ci, les relations humaines, l’hypocrisie, l’amour, l’égocentrisme, la recherche absolu de vérité et la haine de l’être humain.
Et si seulement l’espace était plus vaste, plus large, le son plus fort encore et les mots encore plus percutants. Car oui, la mise en scène de Myriam Muller, la scénographie de ReedandSimon et la bande sonore de Bernard Vallery, ainsi que la troupe d’acteurs appellent à une grande scène, à un endroit moins marqué, plus neutre. On s’impatiente donc déjà de voir évoluer cet excellent travail à travers sa tournée... locale pour l’instant.
Claude Reiles
Kategorien: Theater und Tanz
Ausgabe: 14.12.2012