Après plus de deux ans d’intense lobbying et de négociation, l’adoption de la directive AIFM (Alternative Investment Fund Managers), jeudi 11 novembre, a mis un terme à une longue période d’incertitude. Après publication au Journal Officiel de l’UE, la phase de mise en œuvre de la directive, d’une durée de deux ans maximum, pourra alors s’ouvrir. Elle verra l’élaboration des mesures techniques, dites de niveau 2, ainsi que la rédaction des lois de transposition dans les différents États membres. C’est dire que si le cadre est là, le détail reste à définir. Cette nouvelle étape nécessitera une forte mobilisation de l’industrie du Private Equity (PE) pour s’assurer que les mesures adoptées sont appropriées et, autant que faire se peu, adaptées à cette industrie dont on regrettera qu’elle n’ait pas été davantage différenciée de celle des fonds hedge, tant son rôle en matière de risque systémique et dans l’avènement de la crise financière de 2008 reste à ce jour non avéré.
La directive AIFM introduit en Europe une réglementation harmonisée des gestionnaires de fonds non-UCITS, dits fonds alternatifs, et donc des fonds de PE en particulier. Au terme d’un processus de mise en place à plusieurs vitesses, elle s’appliquera ultimement aux gestionnaires européens, que les fonds gérés soient eux-mêmes européens ou non, et aux gestionnaires non-européens gérant un ou plusieurs fonds alternatifs européens ou désireux de distribuer leurs produits en Europe. En contrepartie d’une réglementation accrue, la directive introduit un passeport permettant aux gestionnaires autorisés d’offrir leurs services de gestion et de distribuer leurs produits dans l’ensemble de l’Union européenne au moyen d’une autorisation unique. Pour obtenir une autorisation, un gestionnaire devra se conformer à un ensemble de dispositions relatives à sa gouvernance, à sa structure organisationnelle, à ses systèmes de protection et de contrôle des risques, à ses ressources financières ainsi qu’à des exigences accrues en matière de transparence et de reporting.
Certaines dispositions s’appliquent au gestionnaire, comme les dispositions relatives aux capitaux minimum à détenir ou les règles relatives à la conduite des affaires ; d’autres, en revanche, capturent indirectement les fonds alternatifs sous-jacents : dispositions relatives à la banque dépositaire ou au rapport annuel, par exemple. Si la directive s’adresse en premier lieu au gestionnaire qu’elle régule, elle capture donc également dans son champ d’application les fonds alternatifs, les prestataires de service à ces fonds et à leurs gestionnaires ainsi que les investisseurs.
Le texte voté reste largement fidèle au principe du traitement unique d’industries aux modèles opérationnels non comparables (capital investissement, immobilier et fonds hedge). Certaines dispositions spécifiques au PE existent cependant, que nous passerons en revue avant d’analyser les impacts potentiels de la directive sur cette industrie.
Le champ d’application de la directive prévoit certaines exemptions applicables aux gestionnaires de fonds de PE de taille moyenne (fonds gérés dont le montant, levier inclus, ne dépasse pas 100 millions d’euros ou dont le montant ne dépasse pas 500 millions lorsqu’il n’y a pas de levier au niveau du fond et que les investisseurs ne peuvent pas procéder à des cessions de leurs parts pendant une période de cinq ans) moyennant un enregistrement auprès du régulateur financier de leur État membre et le respect de certaines exigences en matière de reporting. Toutefois, cette exemption destinée aux fonds de taille moyenne pourrait s’avérer souvent inopérante en pratique, notamment si certaines catégories d’investisseurs en PE adoptaient une politique consistant à ne plus investir que dans des fonds dont le gestionnaire est sous statut AIFM.
Certaines dispositions de transition, dites clauses de grandfathering concernent également le PE. En règle générale, les maisons de PE devront avoir pris « toutes dispositions nécessaires pour se mettre en conformité avec les règles nationales édictées en relation avec la directive » et avoir déposé un dossier d’autorisation dans l’année suivant la date finale de transposition, soit début 2014. Toutefois, les maisons de PE gérant des fonds fermés totalement investis avant début 2013 (date butoir de transposition) pourront continuer à les gérer sans autorisation. De même, celles gérant des fonds fermés, dont la date de clôture est antérieure à début 2011 (date d’entrée en vigueur de la directive) et dont la liquidation interviendra avant 2016, peuvent poursuivre leurs activités si elles se conforment aux dispositions relatives au rapport annuel et aux participations significatives.
Enfin, les dispositions relatives au démembrement des entreprises en portefeuilles dites asset stripping provisions figurent dans le texte final. Ces dispositions découlent largement de la deuxième directive sur le droit des sociétés et visent à empêcher les actionnaires de recevoir des distributions ou un retour sur investissement lorsque de telles sorties d’argent ne peuvent être supportées par le niveau d’actif net de la société cible et ce pendant les deux ans suivant la prise de contrôle. Ces dispositions ne sont pas applicables aux investissements des fonds PE dans des cibles du type PME. Leur impact devrait rester limité pour la majorité des maisons de capital investissement dont le modèle opérationnel consiste à créer de la valeur à moyen terme dans les entreprises détenues. Toutefois, les restrictions imposées pourraient peser sur les opérations portant sur des créances douteuses et des actifs en danger (distressed) ainsi que de manière plus générale sur les opérations de restructuration.
Parmi les autres dispositions susceptibles d’avoir un impact significatif sur le PE, nous citerons :
- Le champ d’application, lequel requiert l’identification d’un gestionnaire AIFM pour chaque fond. Pour le PE, ceci nécessitera une analyse au cas par cas dans la mesure où il n’existe pas de structure unique au niveau des fonds mis en place, ni de modèle opérationnel standard qui permettrait de répondre aisément à la question : qui est l’AIFM ?
- Les dispositions relatives aux pays tiers – gestionnaires et/ou fonds non UE – s’ancrent sur le principe « mêmes droits, mêmes devoirs ». Elles prévoient que les gestionnaires non-européens pourront continuer à distribuer leurs fonds en Europe sous les régimes de placement privés de chaque État membre jusqu’à 2018, et se voir accorder un passeport pour la distribution de leurs fonds dans l’UE sur la base d’une autorisation unique à partir de 2015. Elles stipulent également que les gestionnaires européens pourront continuer à distribuer en Europe leurs fonds non UE sous placement privé jusqu’à 2018, avec des dispositions allégées en matière de banque dépositaire et disposer d’un passeport à partir de 2015. L’impact sur les maisons de PE dépendra largement des réponses apportées par chacune à des questions telles que : ai-je avantage à continuer à distribuer mes fonds non EU au travers d’un régime de placement privé à moyen terme, moyennant le respect de règles allégées ? Une grande partie de la réponse dépendra de la réaction des investisseurs, institutionnels notamment (investissements prioritairement vers des fonds répondant aux exigences de l’AIFM à l’avenir ?). De même, les États membres pourraient modifier leurs régimes nationaux de placement privés pour les mettre en conformité avec certaines exigences de la directive, et plus largement avec les attentes des investisseurs en faveur d’une transparence accrue. Ces éléments pourraient jouer en faveur d’une domiciliation en Europe des gestionnaires ou de leurs nouveaux fonds.
- Les règles en matière de capitalisation pourraient également impacter les maisons de PE, surtout au travers de l’exigence d’un capital au moins égal à 25 pour cent des frais généraux fixes de l’exercice précédent, capital qui devra en plus être investi dans des actifs liquides et donc peu rémunérateurs.
- Les règles en matière de transparence obligeront les fonds de PE et leurs gestionnaires à divulguer des informations nouvelles, et souvent considérées confidentielles jusqu’à présent, telles que des informations plus complèetes sur la rémunération du gestionnaire ou encore des informations relatives au développement futur des sociétés contrôlées. Ces informations nouvelles pourraient conduire à une concurrence accrue entre gestionnaires via une comparaison plus aisée qu’aujourd’hui.
La mise en œuvre concrète des règles en matière de gestion du risque, exigeant une séparation fonctionnelle et hiérarchique des unités opérationnelles constituera un défi certain pour les maisons de PE de taille moyenne notamment. De même, si l’absence d’exigence de recours à un évaluateur externe doit être saluée, la séparation fonctionnelle requise pour cette fonction pourrait également nécessiter un certain nombre d’ajustements opérationnels, voire le recours à des prestataires externes, ce qui pose alors le problème de la mise en œuvre concrète des règles en matière de délégation.
Forte de son expérience des fonds de PE régulés, incluant la présence d’une banque dépositaire, le Luxembourg dispose de solides atouts pour accueillir les fonds qui souhaiteraient se domicilier en Europe. Surtout, le Luxembourg dispose d’un avantage concurrentiel lié à sa position de first mover pour la création d’une industrie des fonds PE régulés dès 2004 et a ainsi déjà acquis une expérience extrêmement valable eu égard à bon nombre d’exigences de la nouvelle directive.
Par ailleurs, et compte tenu des dispositions relatives à l’autorisation des fonds UE et non UE, le rôle du régulateur national semble plus important que jamais. Dans une industrie comme le PE où prévaut une approche sur-mesure, il sera particulièrement important de pouvoir établir un véritable partenariat avec ce dernier. L’expérience acquise en matière de PE depuis la promulgation de la loi SICAR en 2004 ainsi que les qualités traditionnellement attribuées à la CSSF telles que la rapidité de réaction et l’approche pragmatique devraient également constituer des atouts de taille.
Comme il l’a fait avec succès lors de la transposition de la directive UCITS, le Luxembourg pourrait également tirer pleinement bénéfice de sa capacité d’action et de mobilisation de l’ensemble des acteurs locaux du PE pour transposer la directive de manière rapide, pragmatique et efficace.
Si la priorité doit être d’attirer les fonds d’investissements et de devenir ainsi la première place de domiciliation et d’administration des fonds PE estampillés AIFM en Europe, Luxembourg doit aussi regarder plus loin et saisir cette occasion pour attirer sur son sol les gestionnaires et autres General Partners des maisons de PE. La nature spécifique du PE (notamment les voyages fréquents des deal teams) et les mesures fiscales défavorables édictées par certains pays d’accueil traditionnels des GPs à la faveur de la crise financière pourraient constituer autant d’opportunités à saisir pour donner forme à cette ambition. Attirer les gestionnaires de fonds alternatifs pourrait de surcroît engendrer la création d’un cercle vertueux se répercutant sur les gestionnaires de toutes les autres classes d’actifs. Ceci implique toutefois que des actions audacieuses soient mises en place tant par les organismes publics que privés.
La directive AIFM devrait avoir un impact structurel fort sur l’industrie du Private Equity. En particulier, ses ramifications s’étendent bien au-delà d’un simple exercice de conformité au texte et posent à l’ensemble des acteurs de l’industrie du PE des questions d’ordre stratégique. La nouvelle réglementation ira de pair avec de nouveaux coûts pour l’industrie. Néanmoins, le Luxembourg peut également en faire un outil marketing puissant au travers de l’établissement d’un véritable « brand » AIFMD, label de qualité qui facilitera la commercialisation des fonds alternatifs à l’international.