Comment vous est venu l’idée de lancer une coopérative d’habitation ?
Claude Ballini : Au début 2014, nous étions un groupe d’une demi-douzaine de personnes qui se sont retrouvées un peu par hasard pour réaliser un projet d’habitat groupé. Le but était alors de créer, ensemble avec des personnes que l’on souhaite avoir comme voisins, un projet qui réponde à nos besoins, et que nous puissions définir comme nous le souhaitons. Par exemple en prévoyant des unités modulables et transformables ou des chambres d’amis partagées. Novices en la matière de créer un tel projet, nous avons organisé une conférence en juillet 2014 avec des experts. C’est à l’issu de cette conférence, qui a rassemblé une centaine de participants, que nous nous sommes dirigés dans la direction d’une coopérative d’habitants.
Au Luxembourg, il n’existe aucune tradition de coopératives d’habitation. Comment ceci s’explique-t-il ? Par la mentalité ? Par la prédominance des promoteurs ?
Il y plusieurs raisons qui expliquent cette absence. Tout d’abord, pendant des décennies, le gouvernement a activement promu l’accès à la propriété privée. Les subventions étatiques, aides à la pierre, « bëllegen Akt » sont dirigés vers les personnes physiques. La deuxième difficulté à l’heure actuelle, c’est qu’il n’y a aucun cadre juridique clairement défini qui règle la relation entre l’État ou les communes et une éventuelle coopérative d’habitants. Une réforme de la loi de 1979 a été retirée début mars 2015. Depuis il n’y a plus eu de communication à ce sujet. Le troisième écueil est de trouver des investisseurs ou créanciers prêts à s’engager sur le long terme dans un tel projet. En Suisse, les villes et fonds de pension se sont fortement impliqués dans le financement. Ils y contribuent avec des garanties et du capital. Finalement, le Luxembourg est un pays de propriétaires. Or, face à la crise du logement actuelle, la question d’acquérir un bien adéquat se pose de moins en moins pour les jeunes. Ils ont tout simplement abandonné l'idée de devenir un jour propriétaire.
Des questions de financements aux plans architecturaux, vous mobilisez beaucoup des ressources en interne. Cela vous permet de court-circuiter les marges des promoteurs et autres intermédiaires, mais l’effort doit être considérable…
Nous gérons effectivement beaucoup de choses en interne pour réduire les coûts. C’est une voie d’économies que nous avons retenue pour rendre le projet abordable à toutes les personnes engagées. C’est également un processus d’apprentissage. Pour les sujets où nous ne disposons pas des compétences nécessaires nous nous encadrons d’experts. Toutefois la maîtrise d’œuvre et la construction de l’immeuble sont des missions externes et contractuelles. Du fait que la coopérative est le développeur ainsi que l’exploitant du projet nous évitons des frais d’intermédiaires dans un ordre de grandeur de vingt à trente pour cent.
Il s’agit de promouvoir un autre modèle de cohabitation, plus participatif. Or, les prises de décisions ne risqueront-elles pas de dégénérer en discussions interminables ?
La gestation d’un projet participatif prend d’office plus de temps qu’un projet traditionnel. Dans tout projet il y a des risques et il faut les maîtriser. Evidemment un projet de cette envergure nécessite un comité de pilotage qui est fortement impliqué dans le cadrage des discussions. Une gestion des conflits interne et externe fait autant partie d’un tel projet que des ateliers de co-création. Et dans le contexte luxembourgeois avec ses trois langues officielles, la communication à l’intérieur d’une coopérative est déjà un défi en soi.
S’agit-il d’un moyen pour casser la spirale spéculative ou le projet va-t-il au-delà ; une réalisation d’une utopie urbanistique ?
Ad-hoc est une plateforme qui nous a permis de lancer un débat autour de l’habitat participatif, de rassembler des personnes intéressées et de créer de façon pragmatique la base pour une première coopérative d’habitants. Nos ambitions sont plus modestes, nous ne cherchons pas directement à changer le monde, nous agissons à l’échelle du quartier. Toutefois, en nombre suffisant, des coopératives d’habitants peuvent apporter une certaine résilience à l’économie locale et y agir contre les dérives de la spéculation. L’argent investi reste durablement affecté au logement abordable et au territoire luxembourgeois. Si on est optimiste on peut s’attendre à ce que beaucoup de nouveaux quartiers voient le jour dans les années à venir sur des sites non encore développés ou en friche. Or, faire la ville sans impliquer les citoyens comporte toujours un risque. Les coopératives d’habitants – plus encore que l’habitat groupé – offrent ici des possibilités pour faire participer les futurs résidents dès l’élaboration des projets d’urbanisme.
Depuis deux ans vous êtes à la recherche d’un terrain à bâtir en bail emphytéotique. Jusqu’ici, sans grand succès. Des pourparlers avec les responsables politiques et communaux sont-ils actuellement en cours ?
Oui, cela fait effectivement deux ans que nous sommes à la recherche d’un terrain. Alors que dans un certain nombre de communes l’accueil était plutôt positif, nous avons constaté qu’il y a tout simplement un manque de terrains adéquats pour monter un tel projet. Le terrain devra pouvoir accueillir un immeuble multifonctionnel d’au moins vingt unités et se trouver à proximité de transports en commun, donc quelque part de central. Évidemment il doit aussi se trouver en possession d’une commune qui a la volonté de porter un tel projet.
Les communes et la Caritas semblent préférer lancer elles-mêmes leurs projets de coopératives, plus institutionnels et administrativement encadrés. Quel degré d’autonomie revendiquez-vous ?
Depuis le début nous collaborons entre autre avec la Caritas qui a fait un précieux travail pour faciliter l’émergence de coopératives. À mon avis, c’est très positif de voir qu’un nombre croissant d’acteurs travaille sur le thème des coopératives d’habitants et que les choses bougent. Chaque coopérative est un peu différente de l’autre, toujours avec un agenda et des valeurs bien particulières. Certaines s’orientent plus vers des thèmes écologiques, d’autres ont des priorités sociales, économiques ou culturelles. En tous les cas, c’est le principe de fonctionnement démocratique qui permet aux habitants de décider de la direction de la coopérative et de la faire vivre. Après, dans une coopérative, il y a deux niveaux de membres, ceux qui investissent et ceux qui en plus y résident. Tout investisseur cherche une contrevaleur sous une forme ou une autre.
L’accès au financement est un autre défi. Quel accueil les banques vous ont-elles réservé ?
Les échanges que nous avons eus avec les banques luxembourgeoises ont été plutôt constructifs. Toutefois, une coopérative est, comme le prévoit d’ailleurs la loi, une société commerciale. Le projet est donc évalué à travers les critères usuels et dans le cadre réglementaire en vigueur, sans toutefois considérer la dimension durable et novatrice. Bref, sans garantie étatique, un financement sur le le long terme, permettant une distribution équitable de l’effort entre toutes les générations de résidents, reste difficile. Dans les conditions actuelles l’emprunt joue donc un rôle mineur dans le financement de notre projet.
Vous tentez de trouver d’autres moyens de financement, notamment auprès du Fonds de compensation. Quels ont été les échos ?
C’est en conclusion du parcours de « 1, 2, 3 – Go social » que nous nous mettons aujourd’hui à la recherche d’investisseurs privés et publics. Prendre contact avec le Fonds de compensation nous semblait évident puisqu’il s’agit d’un investisseur avec une perspective à long terme et une mission d’investir jusqu’à cinq pour cent de son capital dans le secteur immobilier luxembourgeois. À ce jour, nous n’avons pas encore eu d’échos. En attendant, nous restons positifs et continuons à sonder le terrain