C’est au château de Malbrouck, dans l’ancienne seigneurie de Sierck que se déroule en ce moment l’exposition monographique de Stephan Balkenhol. Malbrouck, un château fort, presque entièrement reconstruit à la fin des années 1990, où l’artiste a choisi de montrer une partie de son œuvre sculptural, mais aussi toute une suite de travaux graphiques.
Fils de prof, Stephan Balkenhol a partagé sa jeunesse entre ses études à l’école européenne à Luxembourg et Kassel, à l’époque ville excentrée à la frontière de la RDA, ou l’on a curieusement cru devoir implanter la Documenta en 1955. Le fait d’exposer dans une vallée isolée de cet étrange No man’s land culturel que l’on appelle aujourd’hui l’espace transfrontalier, semble donc tout a fait opportun pour cet artiste qui a aujourd’hui son atelier non loin de là, à Meysembourg.
Stephan Balkenhol s’est imposé au marché de l’art international à partir de la deuxième moitié des années 1980. Il a réussi cela, à une époque où l’on célébrait une figuration simplifiée, plutôt apolitique et souvent décorative. Et pourtant les figures sculptées de Balkenhol se détachaient clairement du lot. Dans son univers de formes, il y a un personnage (parfois l’on est proche d’un univers de la BD contemporaine) qui est devenu une sorte d’image de marque pour le sculpteur allemand. Depuis la fin de ses études aux Beaux-arts de Hambourg, Balkenhol a développé une collection de stéréotypes pour ses sculptures dont le plus connu est son personnage à la chemise blanche et aux pantalons noirs. Et c’est dans son médium favori, la sculpture sur bois, que l’on retrouve toute une variété de ces figures emblématiques dans l’exposition à Malbrouck.
En fait, Balkenhol ne reproduit pas d’après nature, mais il produit une image de l’esprit. Dans un registre de poses qui n’est pas sans rappeler l’art égyptien archaïque, il sculpte des figures qui se sont émancipées de la représentation figurative individuelle par une physionomie qui se rapproche du portrait-robot. Les personnages de Balkenhol ne sont jamais à l’échelle humaine, ils sont ou bien agrandis à l’échelle monumentale, ou alors réduits dans leur taille par rapport au visiteur. Mais dans chaque cas de figure, Balkenhol se distancie de tout pathos inhérent, par exemple aux monuments de la fin du XIXe et du début XXe. Ni Bismarck, ni Lénine, son personnage principal est un anonyme aux traits moyens, qui se soustrait à tout portrait parlé par la réduction extrême de son expression faciale.
Les personnages de Balkenhol ont des visages, mais ils sont sans identité. Cette conceptualisation de la figure humaine est la base théorique de ce travail où, cependant, la sensualité a clairement repris le dessus. Depuis une bonne vingtaine d’années, Stephan Balkenhol excelle dans l’art de traiter un matériau brut, en laissant apparent la trace de son burin. Il réussit, dans une intelligence plastique impressionnante, à associer le côté brut du geste à un détail subtil du masque quotidien, entre autres aussi par le rehaussement de la couleur qu’il applique presque systématiquement à sa sculpture sur bois.
Mais si les personnages de Balkenhol sont bien des femmes et des hommes ordinaires, ils ne sont certainement pas des moutons enragés, mais plutôt des versions contemporaines d’une passivité hiératique qui n’interroge plus vraiment le visiteur de l’exposition. Une bonne moitié de l’exposition est également consacrée aux dessins, dont Balkenhol a décidé de constituer un œuvre en soi qui va bien au-delà du simple croquis de préparation. Il y a dans cette application à produire une affirmation graphique quelque chose qui rappelle la vigueur de certains croquis de Kutter vers la fin des années trente.
En bon stakhanoviste de l’art, Balkenhol s’impose un horaire de travail qui encourage une production rapide et efficace. Cela donne une production d’une centaine de pièces sculpturales par an et conduit certainement à un sentiment de déjà-vu un peu dérangeant que l’on éprouve en parcourant les couloirs et les oubliettes du château mosellan. Le propos de Balkenhol est clair, son esthétique est tranchée et sa maturité expressive est plaisante. Mais l’on visite un peu trop aisément ce faux labyrinthe, situé dans une place forte où la figuration contemporaine s’est faite une niche, un lieu de retraite où l’on ne pose plus de questions d’actualité.