Maisouetdoncornicar La proposition d’enfouir des déchets nucléaires en Wallonie a provoqué une levée de boucliers de part et d’autre de la frontière luxembourgeoise. La récente consultation du public menée (entre mai et juin) par l’organisme fédéral des déchets radioactifs, l’Ondraf, a eu lieu au moment où la justice européenne, sauf surprise, est en train d’offrir un boulevard à l’industrie nucléaire pour la construction de nouvelles centrales nucléaires, lesquelles produiront encore plus de déchets. Le long procès que l’Autriche et le Luxembourg ont intenté à la Commission européenne à propos des aides d’État accordées à la centrale nucléaire d’Hinkley Point C arrive à son terme. Les conclusions récentes d’un avocat général ne présagent rien de bon pour les opposants au nucléaire.
La consultation publique organisée par l’Ondraf, que le Covid 19 a rendu plus confidentielle, a récolté quelque 10 000 commentaires. Elle portait sur le principe de la gestion des déchets nucléaires des centrales belges par stockage géologique. Une fois le principe de l’enfouissement au plus profond du sol adopté – l’Ondraf cite le chiffre de 13 000 tonnes – il faudra, dit-il, procéder par étape et envisager les aspects sociaux, éthiques, financiers et techniques du projet. Dans son rapport sur les incidences environnementales du 15 avril 2020 l’Office belge admet en effet ne donner à ce stade ni le où (formation géologique hôte), ni le comment (concept de stockage), ni le quand (« début de l’exploitation dans plusieurs décennies au mieux »). L’Ondraf ajoute, qu’à ce stade, elle ne peut pas encore évaluer les incidences sur l’environnement et sur l’homme. L’accord sur le principe, l’enfouissement d’abord, d’autres consultations suivront.
Les parties concernées trouvent la ficelle un peu grosse. Pour la Région wallonne, il n’existe pas d’étude d’incidences à l’étranger sur le stockage géologique des déchets en tant que « concept ». Elles sont toutes basées sur des éléments d’analyse concrets (type de sous-sol, les risques d’infiltration, etc). Le gouvernement luxembourgeois voit rouge, constatant qu’aucune incidence transfrontalière n’est envisagée. Il s’inquiète pour les conséquences sur l’approvisionnement en eau du Grand-Duché. Qu’adviendrait-il de l’aquifère du Grès du Luxembourg en cas de contamination par les substances radioactives stockées ?
Enfin, pour ne citer qu’une ONG, Greenpeace qualifie le projet de « coquille vide ». Un projet sans échéance pour un concept vague. Un plan qui ne répond pas aux exigences de la directive européenne de 2011 sur la gestion des déchets nucléaires laquelle impose à chaque État membre – le Luxembourg en est dispensé –, d’avoir un plan national de gestion, avec des échéances claires, des solution techniques, des estimations financières et de la transparence. La Belgique est sous le coup d’une procédure d’infraction pour ne pas encore avoir soumis son plan. Dans un rapport de 2017 la Commission fixait à 3 313 000 m3 le volume total de déchets radioactifs sur le territoire de l’UE.
Poubelle verte Alors, la Commission, championne de l’environnement ? Elle a récemment créé sa liste verte européenne, la première au monde, dit-elle fièrement. Un système de classification des activités économiques durables – ou taxonomie – qui, selon ses termes, permet de créer un langage commun que les investisseurs peuvent utiliser lorsqu’ils investissent dans des projets et activités économiques qui ont un impact dur le climat et l’environnement. L’industrie nucléaire y a été écartée. Elle produit de l’électricité à faible émission de carbone, mais elle génère des déchets. Une victoire pour les anti-nucléaires. Sous la pression de la France notamment, elle a ensuite accepté qu’un groupe de travail étudie la possibilité future de l’y intégrer. Victoire pour le lobby nucléaire. Un dossier que tous suivent de très près pour voir de quel côté la Commission va pencher.
Pour les écologistes, l’exécutif européen joue quand même un double jeu, notamment dans le dossier Hinkley Point C, la centrale nucléaire que construit EDF en Angleterre, dans le Somerset. Un dossier un peu perdu de vue tant la procédure est longue, mais d’une importance capitale pour l’industrie nucléaire si elle veut poursuivre ses constructions de nouvelles centrales notamment dans les pays de l’Est, un marché qu’elle convoite. La Commission a choisi son camp. Il faut repartir du 8 octobre 2014, date à laquelle la Commission européenne a surpris son monde en autorisant les aides très importantes accordés par le Royaume Uni à EDF, lequel, avec son partenaire chinois, est à la tête du projet Hinkley Point C.
La Commission avait tout d’abord été hostile à ces aides les considérant comme des aides d’État illégales. Puis après que le Royaume-Uni a légèrement remanié son projet, sans toucher vraiment à ce que la Commission lui reprochait – les juristes l’ont souligné – cette dernière a finalement autorisé ces aides à une majorité de voix très faible, à trois semaine de son départ pour faire place à la Commission Juncker. Une décision politique dénoncée à l’époque. Protestation immédiate de l’Autriche. Le Chancelier Werner Faymann annonce qu’il va poursuivre la Commission européenne en justice. Les Autrichiens ont une aversion pour le nucléaire. « Un politicien pro-nucléaire serait un politicien mort », explique l’un d’eux.
L’Autriche a combattu pour annuler la décision de la Commission. Elle n’avait eu aucune difficulté à avoir accès au prétoire contrairement à des sociétés privées productrices d’énergie verte allemande qui, parallèlement, ont voulu en faire autant parce que, disaient-elles, la centrale d’Hinkley Point C, lourdement subventionnée, allait leur faire de la concurrence illégale sur le grand marché commun de l’énergie. Elles ont été déboutées parce que, ont dit les juges européens, elles n’avaient pas d’intérêt individuel à agir. Fureur de leur avocate à la lecture de l’arrêt. « Ce n’est pas l’Europe que je veux ! », indiquait alors Dörte Fouquet avocate au cabinet allemand Becker Büttner Held spécialisé dans les infrastructures énergétiques. « Nous sommes allés dans les détails. Nous avons montré, chiffres à l’appui, comment la centrale nucléaire d’Hinkley Point allait influencer le prix de base de l’électricité à la bourse, affecter chacune de nos clientes qui produit de l’électricité verte. Le juge européen nous dit que nous n’avons pas qualité à agir parce que Hinkley Point ne nous concerne pas ! »
Lëtz party Le Luxembourg est aussi partie au procès. Il va intervenir au côté de l’Autriche. La ministre de l’Environnement luxembourgeoise, Carole Dieschbourg, en explique les raisons à Europaforum : « Nous voulons empêcher une renaissance de l’énergie nucléaire et une nouvelle orientation de la politique énergétique européenne. » Elle précise que si le feu vert de la Commission au principe des aides d’État au nucléaire n’était pas annulé par les juges, Hinkley Point C constituerait un précédent et encouragerait d’autres pays à construire des centrales nucléaires. Sans aides d’État, le nucléaire n’est pas viable. La France, la République tchèque, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie et la Slovaquie sont entrés en lice, mais du côté de la Commission.
Parmi ses arguments, l’Autriche disait que dans le traité Euratom sur l’énergie atomique créé en 1958, il n’était nullement question de création de nouvelles centrales ni a fortiori d’aides d’État dont pouvait bénéficier l’industrie nucléaire. Elle dit aussi que et que si la Commission estimait, comme elle l’a fait, qu’il fallait appliquer les dispositions manquantes en prenant celles qui figurent le Traité de l’UE, – c’est-à-dire celles concernant les aides d’État – il fallait prendre aussi les dispositions sur la santé et sur l’environnement du Traité de l’UE. Des arguments balayés par la Commission. Petit rappel juridique : Dans le Traité de L’Union, il est dit, article 107, que les aides d’État sont interdites, car elles faussent la concurrence et risquent de favoriser certaines entreprises. Sauf, entre autres raisons, si elles « sont destinées à promouvoir la réalisation d’un projet important d’intérêt européen ».
L’Autriche et le Luxembourg soutiennent qu’Hinckley Point C n’est pas un projet d’intérêt européen puisqu’une partie des États membres est opposée au nucléaire. Le 12 juillet 2018, le
Tribunal européen leur répond que le Royaume-Uni a clairement un « intérêt public » à construire la centrale puisqu’elle veut augmenter ses capacités énergétiques, ce qui est suffisant. Quant à l’intérêt commun prévu dans le Traité, « il ne doit pas forcément s’agir d’un intérêt de tous les États membres ou d’une majorité d’entre eux ». Substituer un intérêt national à l’intérêt commun fait bondir les écologistes. L’Autriche se pourvoit en cassation. Le 7 mai dernier, l’avocat général Hogan propose que la Cour de justice européenne confirme l’analyse du Tribunal et estime « que le développement de l’énergie nucléaire est, comme cela résulte du traité Euratom, un objectif clairement défini du droit de l’Union et que cet objectif ne saurait être subordonné à d’autres objectifs de ce droit, comme la protection de l’environnement ». Nouvelle indignation des anti-nucléaires.
Politique du fait accompli : Sans attendre l’issue du procès, le 1er juin dernier, EDF annonce que, malgré la pandémie, elle a posé une dalle de béton de 49 000 tonnes qui supportera le deuxième réacteur EPR de la centrale Hinkley Point C. Au même moment, le gouvernement hongrois indique qu’il autorise les travaux de terrassement de sa centrale Paks II, avec l’appui des Russes, sans attendre l’avis de son agence nationale de l’énergie atomique. La Commission européenne avait autorisé les aides prévues pour ce projet dans une décision qualifiée aussi de très politique par les médias. L’Autriche et le Luxembourg ont aussi demandé l’annulation des aides à Paks II devant la justice européenne laquelle a suspendu l’affaire en attendant l’arrêt Hinkley Point C qui sera rendu en 2021.