d’Land : Dans vos interventions publiques, vous évoquez l’option de construire des immeubles de résidence en hauteur. Où en sont ces réflexions ?
Marc Hansen : Dans un pays exigu et à forte croissance, il faut poser la question de la densification, aussi en hauteur. Évidemment, elle ne se posera pas pour les communes rurales. Mais je le constate ici au Kirchberg : mon bureau est au douzième étage, le bâtiment de la Cour de Justice de l’Union européenne compte 29 étages ; or, en face, je vois des résidences à quatre ou cinq étages.
Encore faudra-t-il convaincre les gens à emménager au vingtième étage d’un immeuble. Il n’y a pas de tradition d’habiter en hauteur.
Oui, mais vous et moi, on voyage à Bruxelles, Amsterdam, Munich ou Paris et on y voit de hauts immeubles qu’on trouve jolis et intéressants. Il faut le faire de manière intelligente, qualitative. Tout ce que je peux faire c’est lancer la réflexion. Il faudra en discuter dans un débat public pour voir où on pourra construire en hauteur.
Déi Lénk vient de mettre en ligne une carte interactive qui localise les logements « vides depuis un bon moment » et veut ainsi dénoncer la spéculation. Quel regard portez-vous cette initiative ?
Elle soulève des questions de principe. Comment peut-on prétendre savoir qu’il s’agit d’une maison vide sans disposer de toutes les informations ? Et si la maison appartenait à quelqu’un qui est hospitalisé ? Ou à une grand-mère à la maison de retraite ? La définition de « vacant » n’a rien d’évident : Si une maison est occupée – et ne serait-ce qu’une semaine par année – est-elle toujours à considérer comme vacante ? C’est la grande problématique, et elle est extrêmement complexe. Là, le premier venu qui fait une photo et la poste sur Internet peut statuer : « ça c’est une maison vacante ». Je trouve cela… courageux. Ou spécial, pour le dire de manière diplomatique.
Pourtant cinq communes se sont dotées d’un règlement les autorisant à percevoir une taxe annuelle sur les immeubles non occupés.
Oui, mais là aussi, c’est loin d’être évident. Si l’un ou l’autre propriétaire, auquel on dit que sa maison est vide, aura soudain l’inspiration d’y emménager pour une semaine, je peux m’imaginer que les communes rencontreront des difficultés juridiques.
Cela fait des décennies que les gouvernements successifs promettent une baisse des prix. Or, objectivement, ni les électeurs ni les banques n’y ont un intérêt. Cette confluence d’intérêts pèse-t-elle sur la politique ?
Bien sûr que cela existe, et tout le monde en est conscient. Lorsqu’on cherche à comprendre comment la situation a pu en arriver là, il faut le garder en tête. Nous voulons créer du logement qui soit libéré de la croissance et des effets de spéculation. Mais c’est un secteur complexe et on ne peut démêler en deux, trois ans ce qui a poussé durant des décennies. L’accord gouvernemental parle bien de « maîtriser » l’évolution des prix. Une chute dramatique du jour au lendemain serait une mauvaise chose, aussi bien pour le propriétaire, qui a un acquis sous forme de valeur immobilière, que pour le système dans son ensemble.
Concrètement, vous visez quoi ? Une hausse annuelle des prix de deux ou trois pour cent au lieu des cinq pour cent actuels ?
Je ne donnerai pas d’objectifs chiffrés. Nous devons, et cela me semble très important, interroger ces chiffres et ces rumeurs qui circulent sur des prix extrêmes. Je ne veux nier la tendance : les prix sont en croissance, mais il faut nuancer.
En l’occurence, ces cinq pour cent de hausse annuelle sont issus de statistiques de l’Observatoire de l’habitat.
Oui, mais l’Observatoire a également élaboré un prix au mètre carré affiné qui soustrait les annexes et les garages. Et nous avons fait faire une étude sur le prix du mètre carré foncier (lire p 24). J’insiste qu’on regarde aussi ces chiffres. Car, sur le marché, certains opèrent avec les chiffres qui les arrangent. Or, entre les prix affichés et les prix affinés, la différence est de dix à quinze pour cent. Donc à ce stade je reste prudent. Et je recommande à tout le monde qui est actif sur le marché de se renseigner. L’étude sur les prix du foncier, basés sur les actes notariaux, elle donne les faits.
Vous voulez calmer le marché ?
Je veux que tous puissent entrer sur le marché avec des informations correctes : le vendeur autant que l’acheteur. Je viens de faire le tour des communes. À chaque étape, le premier point sur l’ordre du jour était la présentation de l’étude sur le foncier. Certains bourgmestres étaient stupéfaits. Ils avaient vu les prix affichés dans les nouvelles cités et pensaient qu’il s’agissait des prix effectifs. En fait, ils auraient pu vérifier très simplement en envoyant un fonctionnaire aux Hypothèques, où tous les actes notariaux sont librement accessibles.
Vous êtes très réticent à avancer des objectifs politiques chiffrés. Et pourtant : le Luxembourg connaît un solde migratoire annuel dépassant les 10 000 et la place financière cherche à inventer une substance (c’est-à-dire un bureau et deux ou trois employés) aux quelque 50 000 Soparfis. Avec quels scénarios travaillez-vous ?
Il y a une imprévisibilité. Personne n’avait vu venir la crise des réfugiés. Aujourd’hui, il faudra ajouter le nombre de réfugiés au solde migratoire. D’autres événements pourront survenir. Et, puis, dans le solde migratoire, on trouve des catégories très différentes. Faudra-t-il créer du logement social ? Or, pas tout le monde qui s’installe ne sera confronté à un problème de logement. Pour ceux qui viennent travailler dans les institutions européennes ou parce qu’on leur offre un emploi, le problème du logement est souvent réglé avant même qu’ils ne débarquent. Cela explique ma prudence lorsqu’il s’agit de fixer des objectifs chiffrés.
Les commissions des agences immobilières sont actuellement payées par les locataires. Y a-t-il des projets concrets pour les faire porter par les propriétaires ?
Je suis en train de considérer sérieusement la question. Mais il faudra analyser les répercussions et implications éventuelles sur le marché. Lorsque je dis que j’analyse la question cela veut dire ce que cela veut dire. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien changer.
En théorie, le loyer annuel est limité à cinq pour cent des investissements dans le bien immobilier. Or, quasi aucun propriétaire ne fait ce calcul. C’est le marché qui joue.
Il y a peu encore, un locataire a remis en cause son loyer en se basant sur cette règle des cinq pour cent ; et son loyer a été revu à la baisse. Ce droit existe, cette jurisprudence existe. Ce n’est pas évident de les faire valoir, mais il y a bel et bien un frein aux loyers.
Mais, en pratique, les réclamations devant la commission des loyers sont extrêmement rares.
Effectivement. Et c’est pour cela que nous allons tenter de la réformer. Nous réfléchissons à instaurer une commission des loyers nationale afin de la professionnaliser.
L’accord de coalition évoquait l’introduction d’un Mietspiegel, qui donnerait, quartier par quartier, voire rue par rue, un indice des loyers. Était-ce promettre trop de transparence dans le pays du secret bancaire ?
Nous sommes en train d’analyser cette piste. Je ne peux, à l’heure actuelle, vous dire s’il s’agira des prix rue par rue, quartier par quartier ou de fourchettes générales. Le Mietspiegel n’est pas un outil évident, même si dans la location les prix annoncés sont beaucoup plus proches que dans la vente, puisque les locataires négocient moins.
Depuis janvier, certains ménages à faible revenu pourront demander une subvention de loyer. Le patronat revendique depuis longtemps de telles aides étatiques en réponse aux demandes d’une hausse du salaire social minimum (SSM).
On peut naturellement le voir ainsi. Les subventions loyer, qui commencent à 124 euros, constituent des montants substantiels par rapport aux revenus de ces gens. C’est donc une aide qui est importante. Or le mécanisme opère uniquement pour les personnes qui louent sur le marché locatif. Nous suivons le dossier de très près. D’abord pour déterminer si les gens qui y ont droit, y ont recours. Nous avons contacté les offices sociaux et les communes pour qu’ils informent leur clientèle qu’une telle aide existe.
Quels moyens vous donnez-vous pour empêcher que la subvention ne s’évapore dans des hausses de loyers et finisse dans les poches des propriétaires ?
Le propriétaire ne sait pas si son locataire perçoit une telle subvention ou non. Or, de toute manière, je ne pense pas que les propriétaires vont augmenter les loyers de locataires qu’ils hébergent depuis des années et desquels ils ont toujours perçu les mensualités. Du moins, c’est comme ça que je vois la chose. Il faut se départir de cette idée que tous les propriétaires n’auraient qu’une idée en tête et que celle-ci serait de percevoir 120 euros de plus. Et puis, nous avons nos commission loyers…
… Dont quasiment personne ne connaît l’existence. Au Luxembourg il n’y a pas de lobby des locataires.
Il y a l’Union des consommateurs qui peut jouer ce rôle. Mais il serait important que les gens s’organisent. En tant que ministre, je me réjouis toujours d’avoir un interlocuteur. C’est plus simple que de devoir courir derrière une multitude d’organisations. C’est également la raison pour laquelle dans mon autre ministère nous discutons d’une représentation permanente des étudiants.
La coopérative d’habitants Ad-hoc tente de définir et de mettre en pratique de nouvelles formes d’habitat. Y êtes-vous favorable ?
Et bien, ici, pour une fois, on a un mouvement qui vient des gens. Ad-hoc s’est bien entouré, avec des chercheurs de l’Uni.lu et des juristes. Dans l’accord de coalition, le gouvernement a dit vouloir promouvoir d’autres formes d’habitat. Or, Ad-hoc est confronté à des problèmes juridiques et financiers lorsqu’ils approchent les banques. Le ministère, ensemble avec d’autres acteurs qui accompagnent le projet, a formé des groupes de travail pour donner un soutien et trouver des solutions. Nous travaillons ensemble sur un projet pilote.