S’il n’a pas une conception « mitterrandienne » du Service de renseignement (« Je ne suis pas voyeuriste », a-t-il dit hier, jeudi), le Premier ministre Jean-Claude Juncker, CSV, faute probablement de vouloir lui donner une vision d’avenir et d’en avoir une lui-même, en a quand même fait un instrument non pas au service de l’État et de la sécurité extérieure, mais plutôt une officine travaillant pour les intérêts particuliers des ministres (souvent rivaux) de la coalition CSV et LSAP. Dans la conversation volée qu’il a eue en janvier 2007 avec Marco Mille, alors directeur du Srel, Jean-Claude Juncker confirme avoir donné son feu vert à la mise sur écoute pendant un week-end de l’ingénieur M. et sa société d’installation de systèmes d’alarmes à l’aide d’un appareil GSM de test du service, fonctionnant un peu comme un miroir, sans passer par la procédure réglementaire (une autorisation écrite, même en cas d’urgence, donnée par trois juges) et sans que la Commission de contrôle parlementaire du Srel en fut jamais avertie (voir le verbatim an bas de page). Le Land l’a mentionné dans son édition de vendredi dernier, ainsi que le fait que M. avait été mis sous pression pour se tourner vers le Service de renseignement luxembourgeois plutôt que d’autres services pour donner copie d’un autre enregistrement clandestin entre le Grand-Duc Henri et le Premier ministre en 2006. Aussitôt qu’une copie de l’enregistrement entre Mille et Juncker fut entre leurs mains, les membres de la Commission du contrôle parlementaire du Service de renseignement se sont montrés indignés du peu de considération dont le Premier ministre, chef du directeur du Srel, aurait fait preuve à leur égard et du respect des procédures pour mettre sur écoute l’ingénieur M. À l’unisson, les quatre grands partis politiques (CSV, LSAP, DP et Verts) ont choisi de crever l’abcès pour qu’une commission d’enquête se penche sur le fonctionnement et les dysfonctionnements supposés du Srel. Parallèlement, une information judiciaire est ouverte sur les conditions et les circonstances de ces enregistrements. Il faut, bien sûr, faire la lumière sur les pratiques du Service de renseignement, celles d’un passé qui n’est pas si vieux, et déterminer pour qui au juste ses agents, tous ses agents même au plus haut de la hiérarchie, travaillent et travaillaient. Il ne serait pas inutile alors que la commission d’enquête s’interroge aussi sur les conditions de la récupération de K., cet ex-agent du Srel et ex-officier de la Police judiciaire (d’Land du 30 novembre) dans le service de l’Analyse de risques et Politiques de sécurité au sein du ministère de l’Économie. K. est présenté comme celui qui a informé Jean-Claude Juncker de l’existence et du contenu de l’enregistrement que son chef avait fait au ministère d’État, avec sa complicité d’ailleurs. Cette dénonciation lui aurait valu sa nouvelle affectation au ministère de l’Économie. K. avait auparavant officiellement quitté le Srel, où il était devenu persona non grata, pour réintégrer, pour la pure forme, la PJ. Or, son arrivée au ministère des l’Économie, alors tenu par Jeannot Krecké, LSAP, ne fit pas l’unanimité : le ministre de l’Intérieur Jean-Marie Halsdorf, CSV, s’y opposa, ainsi que le patron de la Police, mais Jean-Claude Juncker eut le dernier mot et imposa son « homme ». Et avec lui, une certaine « vision » du renseignement économique qui aurait dû faire partie intégrante du Srel, comme la réforme de 2004 le prévoyait d’ailleurs. Juncker était assez réticent à cette conception. Il n’y a sans doute rien d’anodin dans cette promotion de K., qui a amené avec lui ses méthodes et a certainement aussi fait appel à son ancien réseau d’indicateurs. Jeannot Krecké ne dit que du bien de son Monsieur Sécurité : « Il fut pour moi un collaborateur fiable et loyal ; je lui ai donné une seconde chance », explique l’ancien ministre au Land. Il reconnaît aussi que le département d’analyse du ministère de l’Économie a fait appel, à ses débuts, à une firme privée pour confectionner des rapports sur des investisseurs et dont le dirigeant fut aussi, dans une autre vie, un indicateur du Srel. Il produisit quatre rapports, facturés en tout 2 000 euros. La sous-traitance fut toutefois de courte durée. Le rapport d’activité 2010 de la Commission de contrôle parlementaire du Srel évoque la proposition de coopération stratégique entre le ministère de l’Économie et le Service de renseignement pour la protection du « patrimoine économique » et trace des lignes de partage entre les deux services, notamment pour « la recherche et le traitement de renseignements à l’égard d’investisseurs étrangers désirant soit s’installer au Luxembourg, soit nouer des partenariats avec des sociétés luxembourgeoises ». Cette idée de coopération fut présentée par Jeannot Krecké aux membres de la Commission le 23 février 2010, deux semaines après que fut évoquée la vacance du poste de directeur du Srel.
Kategorien: Affäre Srel
Ausgabe: 07.12.2012