d’Lëtzebuerger Land : On a pour la première fois parlé de votre candidature au poste de membre luxembourgeois de la Cour des comptes européenne, et donc successeur de François Colling (CSV), en automne 2004, après les élections législatives, que le DP a perdues. Vous sortiez alors d’unmandat de cinq ans de ministre de l’Économie et des Transports publics et votre candidature à ce poste européen fut soutenue dès le début par le Premier ministreJean-Claude Juncker. Depuis votre audition devant la commission de contrôle budgétaire du Parlement européen, le 6 novembre, et l’aval donné par ce même parlement, le 29 novembre, le Conseil del’Union européenne a accepté votre candidature lundi. Quelle est la suite ?
Henri Grethen : Mardi matin, j’ai envoyé ma démission au président de la Chambre des députés pour le 19 décembre à 14 heures. Pourquoi cette date précise ? Parce que les 18 et 19 décembre, il y a une réunion de la commission de contrôle budgétaire européenne avec les présidents des commissions nationales. Ayant passé mon audition devant eux, je voulais avoir la politesse d’y assister en tantque président de la commission luxembourgeoise. Mais je voulais quitter le parlement luxembourgeois avant la fin de l’année et laisser ma place à Eugène Berger : il pourra encore être assermenté lors de la dernière séance del’année, le 20 décembre. D’ailleurs, mon collègue de parti, Emile Calmes, quittera la Chambre au même moment et sera remplacé par Fernand Etgen. Le groupe parlementaire du DP aura donc deux nouveaux membres en 2008.
Vous avez toujours clamé que vous comptiez laisser votre place à Eugène Berger cette année encore, quel que soit le résultat de la procédure de nomination au postede la Cour des comptes… Pourquoi ? Étiez-vous las de la politique luxembourgeoise ? N’avez-vous pas digéré l’échec aux élections de 2004 ou le fait de vous retrouver sur le banc d’un député de l’opposition après avoir été ministre ?
J’ai été élu pour la première fois au parlement en 1984 et suis au DP depuis plus de trente ans – je n’avais même pas trente ans quand je suis devenu une première fois secrétaire général –, c’est long ! J’estime qu’il faut faire place à une nouvelle générationmaintenant.Je suis de ceux qui ont toujours soutenu la carrière de l’actuel président du DP, Claude Meisch : en 1999, lors des discussionsde coalition avec le CSV, c’est moi qui ai insisté pour que le DP ait sept membres de gouvernement, avec un deuxième membre du Sud. C’est ainsi que Claude Meisch a pu accéder au parlement. À partir de là, il est devenu maire, puis a fait son formidable score de 2004. Vous savez, il n’y a pas de place pour deux éléphants dans un petit enclos comme le DP dans la circonscription Sud : deux mâles alpha,c’en est unde trop. Je trouve que c’est formidable d’être élu jeune etde pouvoir décider le moment de sa sortie – j’ai eu ces deux privilèges.
Est-ce un départ définitif de la politique ? Est-ce que, à 57 ans, vous estimez vos chances de redevenir une nouvelle fois ministrecomme étant minimes ? Ou est-ce la confirmation de ce que rapportent vos anciens collègues que vous disiez toujours : « être une fois ministre me suffit » ?
La vie est bien plus que la politique, je peux tout à fait imaginer unevie sans mandat public. Néanmoins, j’aurais aimé rester ministre après 2004, et j’aurais surtout beaucoup aimé participer à une présidence de l’Union européenne. Mais les électeurs en ont décidé autrement. Ma candidature pour la Cour des comptes remonte à un entretien que j’ai eu avec Jean-Claude Juncker lors d’une réunion Ecofin avant les élections de 2004 : il m’a demandé mon pronosticpour les élections, et je lui ai dit que, selon mon sentiment, le CSV allait gagner et nous allions perdre. C’est à ce moment-là que je lui ai dit que que, même si mon parti allait participer au prochain gouvernement, j’aimerais, après la présidence, relever un défi européen et que le poste de membre à la Cour des compteseuropéenne m’intéresserait bien. Il trouvait ça une idée étrange. Mais il m’a donné sa parole qu’il allait appuyer cette candidature, promesse renouvelée après les élections. À l’époque, nous pensions que François Colling allait partir en 2005, avec l’accomplissementde ses 65 ans, mais cela a duré deux ans de plus.
En attendant, j’ai quand même été le premier président de la commission parlementaire de contrôle du service de renseignements – auquel, pour l’avoir analysé de près, je peux en âme et conscience certifier un excellent travail – et, depuis 2004, le président de la commission de contrôle de l’exécution budgétaire.
Vous avez été un président très discret de cette commission de contrôle de l’exécution budgétaire, à l’opposé de votre prédécesseur Jeannot Krecké (LSAP), qui faisait beaucoup plus de publicité autour de ses activités et rapports. Pourtant, un des principaux succès de la Comexbu de cette législature est d’avoir introduit, en automne 2005, une nouvelle procédure législative pour les grands investissements d’État…
J’ai fait ce travail dans la discrétion parce que je me rallie à l’expression de mon homologue du Parlement européen, le socialiste Herbert Bösch, qui dit que la commission de contrôle budgétaire ne doit pas être un limier, mais un chien de garde. Il faut faire des contrôles là où ils s’imposent. Notre principal travail depuis 2004 ajustement consistéàélaborerune procédure réaliste et praticable pour les investissements publics dépassant les 7,5 millions d’euros, seuil au-delà duquel, selon l’article 99 de la Constitution luxembourgeoise, il faudrait une loi pour pouvoir engager l’argent. Ce qui impliquait les dépassements budgétaires que nous avons connus ces dernières années.
Avec la nouvelle procédure, les ministres des Travaux publics et celui des Transports nous présentent une liste des projets sur lesquels ils travaillent, et, en cas d’aval par les députés par le biais d’une motion, ils peuvent alors engager les frais d’étude et d’élaborationd’un avant-projet détaillé avant de soumettre le projet de loi définitifau vote des députés. Cela leur donne plus de flexibilité et permet unemeilleure préparation des projets, avec des budgets prévisionnels plus réalistes. En outre, la commission fait le suivi de ces projets avec un monitoring qui a lieu deux fois par an, et je peux dire que jusqu’à présent, les budgets sont respectés – sauf cas exceptionnel, comme le lycée de Wiltz. Ce travail de la Comexbu n’est pas spectaculaire, mais il m’a intéressé.
Henri Grethen, l’entrepreneur : fils de commerçant, ancien secrétaire général de la Confédération luxembourgeoise du commerce, conseiller économique indépendant depuis 1989, homme d’affaires vous-même et libéral convaincu, vous avez toujours promu l’esprit d’entreprise. Il est un peu étonnant, dès lors, de vous voir partir vers une institution aussi rigide et très administrative que la Cour des comptes européenne. D’où vous vient cet engouement ?
La mission de la Cour des comptes n’est ni de chercher la petite bête,ni le scandale, ni d’ailleurs de crier au dysfonctionnement à tout boutde champ. Au contraire, elle doit contrôler la légalité et la régularitédes dépenses ; elle veille, pour le citoyen, sur la bonne gestion financière des deniers publics et assure la transparence des comptes.Pour moi, personnellement, ce poste constitue aussi un défi personnel : dans les débats sur le traité de Maastricht, j’ai acquis bien malgré moi une réputation d’eurosceptique parce que j’avais mis en garde devant l’incompatibilité de la citoyenneté européenne avec notre Constitution.
Or, je suis un Européen convaincu. Un mandat européen m’a toujours semblé un dernier grand défi dans ma carrière, et ce poste à la Cour des comptes est un des seuls qui m’ait été accessible. C’est un contrat à durée déterminée de six ans, après cela, rien ne m’empêche de redevenir entrepreneur.
Qu’adviendront vos participations dans les nombreuses entreprises privées ? Est-ce que c’est conciliable avec votre obligationd’indépendance ?
Je ne suis majoritaire dans aucune de ces entreprises, j’ai des associés qui les gèrent, des gens fort compétents qui s’en occuperont avec talent. Durant les six ans, mes participations resteront au repos. La Cour m’oblige à faire une déclaration financière à l’entrée et une à la sortie de mon mandat, qu’elle pourra comparer.
Votre intérêt pour le bon fonctionnement et la transparence des finances publiques remonte à quelques années déjà : vous étiez, avec Jean Asselborn, alors député, auteur et rapporteur d’une propositionde loi portant organisation de la Cour des comptes, adoptée par le parlement en 1999 et qui règle depuis lors le fonctionnement de cet organe de contrôle…
À l’époque, nous avions encore la Chambre des comptes, un organedésuet dans un État moderne, qui contrôlait chaque dépense ex ante – le moindre petit engagement financier devait d’abord passer par cette Chambre. Nous avons alors mené toute une discussion sur une gestion financière plus appropriée ; parallèlement à notre projet de loi, le parlement a aussi adopté une nouvelle loi sur la comptabilité de l’État.
Et votre bilan, après huit ans de fonctionnement de la Cour ? Êtes-vous satisfait du résultat ?
Il faut lui laisser le temps de grandir, je crois. On ne peut pas créer un tel organe ex nihilo et demander qu’il atteigne immédiatement le même degré dematurité que, par exemple, son homologue français, qui vient de fêter ses 200 ans. Mais son travail est prometteur.
Avec votre recul d’un quart de siècle : comment avez-vous vu évoluer les institutions politiques au Luxembourg ?
Je me suis toujours passionné pour la politique, au grand dam de mon père, qui voulait que je devienne boucher comme lui et reprenne l’entreprise familiale. Dès seize ans, j’ai assisté aux séances de la Chambre des députés, en tribune, et ai donc encore connu les débats-marathon sur le budget de l’État, qui se terminaient souvent tard dans la nuit, après des repas arrosés. Je regrette aujourd’hui que cette convivialité se soit perdue depuis lors. Jadis, il y avait de vrais « personnages » comme le communiste René Urbany avec ses allocutions hautes en couleur, mais on se côtoyait et s’estimait au-delà des familles politiques.
Avec la réforme des procédures et la limitation des temps de parole, tout ce côté un peu folklorique s’est perdu. En ces 23 ans, le travail du parlement s’est professionnalisé, il est devenu plus complexe aussi : aujourd’hui, la politique européenne a apporté un flot d’informations quasi ingérable, l’administration du parlement et celledes groupes parlementaires se sont agrandies, on est constamment joignable par mail ou blackberry – mais il ne reste plus guère de temps pour approfondir l’ensemble des dossier ou pour le contact humain.
En tant que ministre de l’Économie, on vous a souvent reproché de ne pas en avoir fait assez – surtout les socialistes estimaient que vos efforts pour la diversification économique n’étaient pas suffisants. Quel regard portez-vous alors sur le travail de votre successeur, Jeannot Krecké (LSAP) ?
Je m’étais imposé la règle de ne pas juger mes successeurs, même si, parfois, cela me démange… Je peux juste dire que, en analysant ce qu’il fait aujourd’hui à la lumière de ce qu’il disait de moi à l’époque, le résultat est édifiant. Après son mandat, j’ai envie de faire un bilan, et on pourra comparer qui a attiré le plus d’entreprises et qui a créé le plus d’emplois. Il faut avouer que c’est devenu beaucoup plus difficile dans la « société du savoir » d’aujourd’hui que ce ne l’était dans les années 1960 et 1970, quand Paul Elvinger, Marcel Mart et Gaston Thorn ont fait venir les Monsanto, Dupont de Nemoursou Luxguard… Mais les bases de l’actuelle niche du commerce électronique, elles ont été jetées au cours de mon mandat, sous le gouvernement précédent, avec Jean-Claude Juncker, Gaston Reinesch et Georges Schmit.
Même question dans les domaines des Transports publics : Quel est votre bilan du travail de Lucien Lux (LSAP) ?
Il a l’avantage de s’être moins prononcé sur ce domaine avant son arrivée au ministère. Néanmoins, je peux vous assurer que son projet 2020 est entièrement copié sur mon concept Mobilitéit.lu.
Quel est votre plus grand regret en politique ?
Avec le recul, je regrette de ne pas avoir assez communiqué autour du travail que je faisais en tant que ministre. J’étais tellement enthousiaste de faire ce job que je me suis attelé corps et âme à la tâche. J’avais à gérer deux ministères complexes dans desdomaines en pleine mutation, cela demandait tout mon investissement. Mais aujourd’hui, quand je vois ce que font mes successeurs, je regrette de n’avoir pas « semé » des informationspar-ci, par-là – comme durant la grève annoncée des pilotes de Luxair ou la restructuration chez Villeroy [&] Boch. Mais j’ai respecté la discrétion que mon mandat et la confiance des entreprises m’imposaient, avec comme résultat quemon travail, le travailaussi de mes collègues libéraux est demeuré méconnu – et les électeurs nous ont fait payer cela en 2004.
Et quelle est l’action politique dont vous êtes le plus fier dans votre carrière ?
Sans hésiter : l’abolition de l’Office des prix. Je l’avais promis à mon père, qui n’a jamais supporté qu’on lui impose un prix pour ses produits. Il disait toujours que ce sont les clients qui fixent les prix, en les payant ou en ne venant plus chez ce commerçant. Parallèlement, j’ai introduit un droit de la concurrence moderne auLuxembourg, qui, le cas des taxis le prouve, n’est certes pas encore tout à fait au point, mais les bases sont là.
Vous avez préparé votre départ ces trois dernières années, après la débâcle de 2004 dont vous avez d’ailleurs assumé une partie de la responsabilité, prônant un rajeunissement radical du DP et laissantla direction du parti à Claude Meisch et Georges Gudenburg, et la présidence du groupe parlementaire à Charles Goerens. Est-ce que le « rajeunissement » du DP, que vous avez appelé de vos voeux, a réussi ? Et est-ce que ce DP « rajeuni » a des chances de gagner en 2009 ?
Je n’ai pas peur pour mon parti. Nous devons défendre nos idées et nos valeurs libérales – responsabilité individuelle, liberté, égalité des chances et solidarité – et être plus inconfortables, déranger davantage. Nous devons être plus conséquents dans notre politique et refuser les compromis. Tout cela, la jeune garde autour de Claude Meisch le fait.
Est-ce que vous deviendrez un observateur et commentateur averti de la vie politique, ou votre mandat vous oblige-t-il à la discrétion la plus absolue ?
La Cour des comptes nous demande discrétion et neutralité, ses règles sont très strictes. Ces six prochaines années, je ne commenterai donc ni la vie politique luxembourgeoise, ni la vie de mon parti. Mais je compte bien communiquer autour du travail de la Cour des comptes, en présentant son rapport budgétaire également au Luxembourg par exemple, ou en offrant à mes collègues de la commission de contrôle de l’exécution budgétaire de venir leur présenter l’un ou l’autre rapport, s’ils le désirent.