Soixante ans et plus grand que jamais : au moins en ce qui concerne son format, d’Lëtzebuerger Land ne court aucun risque de passer inaperçu. Qu’en est-il du contenu ? Alors que la presse écrite traverse une crise profonde, doit-on s’inquiéter du jeune sexagénaire, qui depuis juin 2012 sort vendredi après vendredi en broadsheet des rotatives de Saint-Paul Luxembourg ?
Il existe, heureusement, un certain nombre d’éléments qui permettent de répondre par la négative. Fidèle à ses origines, le Land apporte indéniablement toujours une valeur ajoutée spécifique au paysage médiatique luxembourgeois. Le Land, écrivait Romain Hilgert lors du lancement du format broadsheet « steht, wie keine andere Zeitung hierzulande, für ausgereifte Analysen, gewissenhafte Recherchen, aktuelle Hintergrundberichterstattung und unabhängige Kommentare aus Politik, Wirtschaft und Kultur ».
Certes, un peu de distance critique est aussi utile par rapport à ses propres mythes fondateurs. Les quotidiens luxembourgeois ont significativement évolué non pas seulement depuis 1954, mais aussi par rapport à 1974, 1994 et même 2004.
Il reste toutefois indéniable que tant par la forme que par le fond, le Land sait soigner sa différence. Il y parvient notamment du fait qu’il s’agit d’une des rares publications luxembourgeoises à se limiter consciemment à un lectorat spécifique. Même si l’hebdomadaire thématise régulièrement des questions d’équité sociale : ses lecteurs sont loin de représenter la population moyenne.
Le Land n’est pas seul à connaître le succès avec cette formule. Le tirage du journal allemand Die Zeit, le modèle de toujours, court depuis des années de record à record. Alors que ni la presse de qualité, ni la presse populaire, ni même la plupart des magazines d’information n’échappent au marasme généralisé du secteur, l’hebdomadaire de Hambourg ne trouve pas seulement davantage de lecteurs, mais en plus des lecteurs issus de classes socio-professionnelles particulièrement prisées par les annonceurs.
Si la survie du Land ne constitue dès lors pas vraiment un défi quotidien, on aurait tort de sous-estimer le challenge au moins hebdomadaire auquel la rédaction doit faire face. Le succès du Land ne résulte aucunement d’un « continuons à faire ce que nous avons toujours fait ». La mise en page et le langage visuel constituent l’exemple le plus frappant. Le début se situait aux niveau des photos de Martin Linster, relayé depuis par Patrick Galbats. Le prochain pas est venu du nouveau lay-out, réalisé par Silvano Vidale et le regretté Tom Gloesener, avant que le Land n’assume pleinement cette différence en traduisant ces signes distinctifs au format broadsheet.
Le constat se poursuit au niveau du contenu. Plutôt que de s’enfermer dans un train-train confortable, l’hebdomadaire a veillé au mélange d’articles courts et longs ainsi que consciemment introduit de nouvelles formes. Les pages « blog », « ticker » et « tablo » en sont des exemples. L’éditorial s’est vu délogé de la une sans regrets. La rubrique culture a su recruter de jeunes auteurs, ouvrant les pages de l’hebdomadaire à un nouveau public. Quinze ans plus tôt encore, un non-initié concluait sans doute à première vue au kiosque, qu’il a à faire à un journal guère plus progressiste que la presse des milieux agricoles. C’est avec la même détermination – et la même réussite – que le Ländchen, à bout de souffle, a dû laisser la dernière page du journal à la nouvelle rubrique « Stil ».
Le succès donne raison au Land. Il y a quinze ans, les sondages concluaient à un taux de pénétration de deux pour cent pour l’hebdomadaire. En 2013, le chiffre s’établit à 3,6 pour cent ou 16 100 lecteurs. Le journal ne réussit donc pas seulement à augmenter son nombre de lecteurs. Il est surtout un des rares à Luxembourg à augmenter son taux de pénétration auprès d’une population en croissance certes, mais dont accroît surtout la diversité.
Les félicitations sont donc amplement méritées à l’occasion de ce soixantième anniversaire. Qu’il soit permis d’espérer que, malgré son application iPad, le Land soit aussi demain apprécié d’abord comme journal papier.