L’art est libre. Comme l’est la parole. C’est, réduit à l’extrême, le grand principe qui dicte l’approche du Land vis-à-vis de l’art et de la culture, celui dont découlent sa philosophie et sa ligne éditoriale. Si, dans l’absolu, l’art doit être libre de toute pression, économique ou idéologique, nous allons donc toujours nous opposer à toutes les entraves à cette liberté, en premier lieu par la censure, qu’elle soit politique, économique ou de banale bien-pensance (ce qui n’est pas mieux). Depuis toujours, et il suffit pour cela de relire par exemple les archives des premières années et les articles sur l’artiste collaborationniste Théo Kerg, que l’État essaie actuellement de réhabiliter avec une double exposition, le journalisme culturel au Land fut un journalisme militant. Impossible d’être objectif quand on parle de culture.
Si, pour beaucoup de lecteurs, ceux qui s’intéressent en premier lieu à la chose politique ou économique, le cahier culturel substantiel est ce qui suit dans la deuxième moitié du journal, il y a aussi toute une frange du lectorat du Land qui commence par l’arrière : le Stil, plus léger et décontracté, la culture et les pages d’opinion, faisant intervenir des chroniqueurs réguliers – comme Guy Rewenig et sa rubrique Made in Happyland, heureusement incontrôlable, Yvan et ses Mauts dits et Jean Lasar et sa Chronique Internet – et des auteurs invités. C’est par la culture aussi que le lectorat et les auteurs du Land se sont rajeunis, grâce à sa trentaine de free-lances de tous horizons, une équipe toujours en mutation, et pour laquelle nous recherchons constamment de nouvelles plumes.
Parallèlement à l’évolution de la scène culturelle depuis Luxembourg ’95, avec sa multiplication d’institutions, d’associations et de créatifs (réunis, côté financier, par le terme générique barbare de « porteurs de projets »), la presse s’est diversifiée. À côté des généralistes, un certain nombre de magazines de communication, entre autres culturelle, se sont créés, qui, à la pêche aux annonceurs culturels, resservent les mêmes communiqués d’annonce à toutes les sauces. Une aubaine pour le Land, qui, dans son orgueilleuse ambition progressiste, essaye toujours de sentir, voire de précéder les changements, et a pu se radicaliser dans son cahier culturel : moins de bla-bla, plus de profondeur. Au lieu de ne booster que la consommation de tickets de concerts, de livres ou de CDs, notre humble ambition est de stimuler la pensée ou, du moins, la réflexion, et d’aiguiser le regard ou d’entendre les artistes.
Le discours est politique bien sûr, et accompagne avec une approche critique les ministres successifs et leurs programmes culturels, leurs grandes annonces et leurs ratés. Il est idéologique aussi et essaye de comprendre ces petits glissements sémantiques qui font qu’aujourd’hui, on ne parle plus que de « gouvernance », « d’export » et « d’audits » dans le monde culturel, parce que les comptables ont pris le dessus sur les professions de foi sur les nécessités de l’art. La culture – qui n’est pas forcément synonyme d’art – est devenu un secteur économique qui emploie des centaines de gérants, de programmateurs, de médiateurs et de techniciens, souvent, hélas, dans des conditions de travail précaires et hyperflexibilisés. L’idéologie est aussi dans le contenu des spectacles et des œuvres qui trouvent leur chemin jusqu’au public : contemplatif, inoffensif, décoratif ou subversif, ce n’est jamais un hasard. Le discours des pages culture du Land essaye aussi d’être esthétique, d’accompagner les artistes dans leurs réflexions et leurs recherches, de les écouter en dehors de tout impératif commercial, de les inviter à intervenir dans les pages du Land, d’être un partenaire dans des projets ambitieux. Soigner l’esthétique du journal lui-même, sa maquette et les visuels, avec une place de choix accordée aux images, n’est qu’une déclinaison de cette approche.
Là où le tablo essaye chaque semaine de donner une orientation subjective sur les spectacles, publications ou expositions à ne pas rater ou sur les débats et polémiques en cours, les autres pages sont celles de la critique, de l’analyse, de l’annonce, du débat et du compte-rendu. Toutes les formes et toutes les expressions artistiques doivent pouvoir coexister dans un même support, respectant le style individuel de chaque auteur, avec toutefois deux grandes orientations de principe : l’implication locale, Verortung en allemand – on parle de ce qui se passe dans nos parages –, et l’inscription temporelle dans notre contemporanéité (Beethoven, Goethe, Verlaine ou Diderot ont bien d’autres tribunes pour les anniversaires de leur mort).
S’il est forcément devenu impossible d’être exhaustif et de tout relater de la richesse culturelle du moment au Luxembourg, il faut oser faire des choix – et assumer de se tromper (ça rend modeste). Or, ce courage, le même qu’il faut pour affronter les coups de gueule et, oui, les poings levés (qui distribue des critiques doit aussi encaisser, c’est évident) de ceux qui se sentent agressés, voire les suppressions d’annonces par des décideurs mécontents d’un papier, devrait être la première évidence dans une démocratie. Mais ce n’est peut-être qu’une conviction outrageusement romantique.