« T’ass d’Realitéit »

d'Lëtzebuerger Land du 04.07.2025

Mercredi, une séquence du débat public sur la pétition demandant des sanctions contre Israël peut s’ancrer dans les mémoires. La pétitionnaire, Dalia Khader, diffuse au micro l’enregistrement de l’appel passé le 29 janvier 2024 au Croissant rouge palestinien par la petite Hind Rajab. Cette enfant de six ans demandait secours après que la voiture avec laquelle elle et sa famille fuyaient le Nord de la bande de Gaza avait essuyé les tirs de l’armée israélienne. Elle seule avait survécu à cette attaque. Mais son corps déchiré sera retrouvé après le retrait de Tsahal douze jours plus tard dans l’ambulance qui l’avait secourue, elle-même pulvérisée par un missile israélien. Ces mots poignants diffusés dans les enceintes du Krautmaart cette semaine ont été les derniers prononcés par la jeune Hind Rajab. Les députés les ont écoutés la mine grave. Quelques minutes plus tard, Laurent Zeimet (CSV) demandera benoitement comment les pétitionnaires qualifient l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023, le sort réservé aux otages israéliens et s’ils contestent l’existence d’Israël, « la seule démocratie dans la région ». Laurent Mosar (CSV) interrogera lui la Luxo-palestinienne Dalia Khader sur ce qu’elle pense de l’abandon des Palestiniens par les pays arabes alentour, qu’ils soient réfugiés à l’étranger ou bloqués dans la bande de Gaza.

Avant cela, devant une quinzaine de députés présents pour ce débat public, Dalia Khader a porté « la voix d’un peuple réduit au silence ». En français (comme il lui a été instruit alors qu’elle maîtrise mieux l’anglais), collier en forme de pastèque (il lui a été demandé de retirer son keffieh à l’entrée du Parlement au prétexte que cette tenue traditionnelle ne serait pas « neutre »), Dalia Khader a reproché aux dirigeants luxembourgeois de continuer le dialogue avec des ministres israéliens qui ont exigé de raser la bande de Gaza où se serrent plus de deux millions de Palestiniens, avant de les affamer. « Ce n’est pas un conflit. C’est un génocide », a poursuivi celle qui avait déjà demandé, par voie de pétition au Parlement, de reconnaître la Palestine (d’Land, 28.06.2024). À ses côtés, il y a douze mois comme ce mercredi, l’internationaliste François Dubuisson rappelle au gouvernement luxembourgeois ses obligations en matière de droit international. Des avis de la Cour internationale de justice enjoignent les États parties de « prendre des mesures » pour juguler le risque de commission d’un génocide ou d’un crime contre l’humanité. Les pétitionnaires demandent de fermer le Luxembourg Trade and Investment Office à Tel Aviv, de suspendre les accords avec les universités israéliennes, de cesser le commerce des biens et services à double usage avec Israël (comme ceux fournis par NSO Group, opérant à Luxembourg) et de veiller à ce que les transactions financières n’abondent pas les entreprises qui opèrent dans les Territoires occupés ou tuent à Gaza. En somme, de limiter au possible tout ce qui favorise la poursuite de l’occupation israélienne et les crimes contre l’humanité. Que cela soit au niveau européen ou au niveau national.

En amont, a paru lundi un rapport des Nations unies au titre évocateur : « From economy of occupation to economy of genocide ». La rapporteure sur la situation des droits de l’Homme dans les territoires occupés, Francesca Albanese, y détaille « le soutien des entreprises dans l’occupation illégale israélienne et dans sa campagne génocidaire en cours à Gaza ». Sont identifiés des marchands d’armes, des groupes technologiques (dont NSO, l’éditeur de Pegasus), des entreprises du bâtiment, des industries extractives, mais aussi des banques, des fonds de pension, des assureurs, des universités et même des œuvres prétendument caritatives.

Mais à la Chambre ce mercredi, le ministre des Affaires étrangères, Xavier Bettel (DP) a ignoré toutes les sanctions évoquées par les pétitionnaires. « Il a joué sur les mots et s’est réfugié derrière l’unanimité requise au niveau européen pour prononcer des mesures restrictives contre des personnes physiques », a réagi Franz Fayot (LSAP) face au Land. Reste néanmoins la possibilité, au niveau de l’UE, de prononcer des mesures d’ordre commercial à la majorité qualifiée. En vue du conseil le 15 juillet, la Haute représentante pour la politique étrangère, Kaja Kallas, présentera la semaine prochaine aux États-membres des options pour sanctionner Israël, coupable d’avoir violé ses engagements en matière de respect des droits de l’Homme dans le cadre de l’accord d’association.

Malgré la désunion des pays européens (Xavier Bettel a martelé les écueils, « t’ass d’Realitéit »), le vice-Premier ministre s’est voulu résolu à obtenir un cessez-le-feu dans les plus brefs délais : « Dire que le Luxembourg ne fait rien, que le Luxembourg ferme les yeux, c’est faux », a-t-il conclu. Les députés n’ont néanmoins pas pu s’entendre sur des conclusions, CSV et DP privilégiant l’attentisme. Le LSAP demandera à la cellule scientifique de la Chambre d’évaluer ce que risque le Luxembourg s’il ne remplit pas ses obligations en matière de prévention des crimes de masse, mais aussi sa marge de manœuvre pour prononcer au niveau national des mesures restrictives à l’encontre d’invididus. Un processus que le ministère des Affaires étrangères dit avoir engagé afin de présenter des conclusions aux députés d’ici la fin de l’année. 

Pierre Sorlut
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