Une célébration de l’indépendance américaine dans un contexte géopolitique orageux

A storm is coming

Les invités  de l’ambassade américaine mercredi
Photo: Gilles Kayser
d'Lëtzebuerger Land du 04.07.2025

Mercredi, 19h. Le ciel au-dessus du Limpertsberg et de l’ambassade américaine se charge de nuages quand débute le cérémonial. L’on fête le 249e anniversaire de la déclaration d’indépendance sur le thème du cinéma* et, surtout, dans un contexte de tensions grandissantes entre les États-Unis et la Chine... avec le Luxembourg entre les deux. Le vent se lève et les guirlandes de stars and stripes cliquettent. « Si je dois retenir une chose de mes trois années à Luxembourg, c’est ‘ne crois jamais que la météo est prévisible’ », introduit le chargé d’affaires et numéro un par intérim de l’ambassade, Michael Konstantino, alors que les bourrasques renversent déjà les lettres géantes, « H.O.L.L.Y.W.O.O.D », le long du tapis rouge et walk of fame.

Michael Konstantino remercie les présidents, Marc Thewes (Conseil d’État) et Claude Wiseler (Parlement), le ministre des Finances Gilles Roth (CSV). Parmi les 250 invités et outre les partenaires d’affaires (comme Gerard Hoffmann, Proximus, ou Adel Al-Saleh, SES) figurent aussi la présidente de la BEI, Nadia Calvino, ou encore John Petry, Procureur général d’État. Mais c’est surtout le couple Xavier et Gauthier qui a été remercié, pour les soirées Eurovision et crémant, mais particulièrement pour leur « immensément généreuse amitié » depuis l’arrivée du diplomate américain (sous la présidence Biden et l’ambassadeur Tom Barrett) et de son mari, Shalom. Voilà pour le volet
micro/privé.
Pour ce qui concerne les relations entre les deux pays, Michael Konstantino parle de « partenariat de principe » fondé sur des « intérêts alignés » et des « résultats tangibles ». Il appuie son propos sur les relations économiques : « US companies are thriving here and many more are eager to come and grow. » Konstantino se réfère ensuite aux questions sécuritaires. Les États-Unis et le Luxembourg comprendraient que les « défis mondiaux » exigent « davantage d’ambition de la part de chaque allié de l’Otan » et surtout qu’un seul pays ne peut plus financer la paix à lui tout seul. « For that reason, the five per cent defense spending pledge Luxembourg and our other Nato allies agreed to last week in The Hague is a welcome and big step forward », salue le chargé d’affaires.

Konstantino se félicite des discussions plus « animées » avec ses interlocuteurs luxembourgeois. « Strong partnerships aren’t just built on the things we agree on. They’re also tested and strengthened perhaps by how we handle the things we don’t », poursuit-il, comparant les relations bilatérales aux barnums à cet instant chahutés par le début de tempête. Il mentionne les thématiques de la défense, du « fair trade » ou de la réglementation du numérique. Mais le diplomate originaire de Los Angeles (« comme l’ambassadeur nominée by the way ») tait le sujet-polémique que tout le monde a sur les lèvres ce mercredi : L’audition de l’ambassadrice désignée par Donald Trump, Stacey Feinberg, devant la commission de nomination du Sénat. Son président, Steve Daines (Républicain et ancien cadre de Procter & Gamble en Chine) l’a interrogée le 12 juin dernier (les médias luxembourgeois n’ont vu l’enregistrement que cette semaine, et en premier lieu Luxtimes) sur le Grand-Duché, son régime fiscal et réglementaire favorable qui « fait que de nombreux grands groupes internationaux sont très contents d’investir au Luxembourg » et ses « relations étroites avec la Chine » dans le secteur technologique « en dépit des préoccupations américaines concernant la sécurité des données ».

L’ambassador nominee attendue cet automne au Limpertsberg a d’emblée qualifié la Chine de « bad actor ». « The EU and Luxembourg in particular are not educated like we are ». « Lucifer does not show up looking like the devil », croit cette femme d’affaires, arrivée dans l’entertainment après avoir débuté dans le cabinet de son père, agent de joueurs de basketball. « They [the Chinese] don’t come in the front door, they come in the cross spaces », a poursuivi Feinberg. L’institut Confucius serait un outil de propagande, les associations d’étudiants des canaux via lesquels ils « prennent la propriété intellectuelle et la ramènent en Chine ». « We have to work with Luxembourg to help them with the investment screening, in particularly the Chinese », a encore expliqué la future ambassadrice, ciblant plus particulièrement la prolifération des banques chinoises au Grand-Duché (sept) ou la participation au capital du deuxième établissement bancaire du pays, la BIL (mais un désengagement serait en cours selon la presse internationale). Stacey Feinberg aidera donc le Luxembourg a « uncouple from China »… « and we will offer our protection when the Chinese will make it difficult to uncouple ».

Avant d’être interrogée, Feinberg, bienfaitrice de la campagne de Donald Trump, s’était présentée dans un exercice libre. Dépourvue d’expérience diplomatique, elle avait notamment insisté sur l’importance de son cercle familial, son mari Steve O’Brien (sourire bright derrière elle sur les images de l’audition) et ses quatre enfants. Rappelant aussi ses grands-parents qui ont fui l’Europe et les pogroms. Le partenariat avec le Luxembourg serait construit sur des valeurs communes que sont la liberté, la sécurité et le pouvoir de l’économie de marché. Feinberg voudrait que les deux nations luttent ensemble contre « the undue influence and economic coercion » de la Chine en Europe, le Luxembourg jouant un rôle particulier en tant que centre financier.

L’ambassade de Chine a réagi via une sortie rarissime… sur son mur Facebook. Elle qualifie les propos de « manichéens, empreints de préjugés idéologiques et de logique à somme nulle. Ils bafouent les normes fondamentales des relations diplomatiques », poursuit-on depuis Dommeldange. Inciter à la « théorie de la menace chinoise » pour contraindre d’autres pays à prendre parti ne contribuerait pas « à sa propre grandeur » et n’entraverait pas « le développement des relations sino-luxembourgeoises », selon l’ambassade de Chine. En effet, les relations entre la Chine et le Grand-Duché sont au beau fixe, particulièrement depuis l’installation de la coalition CSV-DP en novembre 2023. Les ministres de l’Économie (Lex Delles, DP), du Commerce extérieur (Xavier Bettel) et des Finances (Gilles Roth) se sont successivement rendus dans l’Empire du Milieu.

Mercredi, le député socialiste Franz Fayot (associé à son camarade Yves Cruchten), a demandé par voie de question parlementaire si « Monsieur le ministre des Affaires étrangères et du Commerce extérieur pense pouvoir obtenir des informations pertinentes concernant les relations sino-luxembourgeoises auprès de l’ambassade des États-Unis ? ». Pour rappel, ministre de l’Économie, Franz Fayot, avait demandé sous pression américaine en 2020 à ce que Post Group ne s’associe pas au prestataire chinois Huawei pour l’installation du réseau 5G luxembourgeois. Face au Land à l’ambassade américaine mercredi soir, Xavier Bettel répète les réponses données dans la journée à L’Essentiel. Que le Luxembourg « n’est le vassal ni de la Chine ni des États-Unis ». Le Grand-Duché aurait des « partenaires » dont il gèrerait les relations de manière « pragmatique ». Puis Xavier Bettel salue ses hôtes et les quitte, sous la pluie.

La fermeture plus à l’ordre du jour

La fermeture de l’ambassade des États-Unis envisagée en avril dans un rapport de l’administration Trump pour réduire les dépenses administratives est écartée. « As we noted via our social media accounts on April 18, Embassy Luxembourg is not closing », répond sa porte-parole Meghan Dean ce jeudi. Est-il prévu de réduire la taille de l’ambassade, elle qui emploie 80 personnes, diplomates et employés locaux ? « There are no current plans to downsize the U.S. Embassy. Our operations continue as normal and we continue to proudly represent the American people », continue-t-elle.

*Michael Konstantino explique le choix ansi : « American movies inspire, connect, and sometimes even change how we see the world or other people. When I look back on my own life, I wonder if I ever would have fully absorbed the tragedy of the Holocaust had I not seen Schindler’s List, if I would have ever decided to become a career diplomat had I not seen Casablanca or if I would have ever had the courage to come out if I hadn’t seen The Bird Cage. »

Pierre Sorlut
© 2025 d’Lëtzebuerger Land