La directive européenne sur la scission des banques a peu de chances de voir le jour

Du plomb dans l’aile

d'Lëtzebuerger Land vom 23.01.2015

Qui se souvient du rapport Liikanen ? Remis à la Commission européenne en novembre 2012, il contenait diverses propositions pour isoler les activités risquées que les banques réalisent pour leur propre compte sur les marchés financiers, garantissant ainsi que les dépôts des clients ne seraient pas affectés.

À sa suite, une proposition de directive sur la « réforme structurelle des banques » a effectivement été déposée en janvier 2014, mais les travaux, qui avaient peu progressé, ont été suspendus pour cause d’élections européennes et dans l’attente de la nomination d’une nouvelle commission. Ils n’ont repris qu’à la fin de l’automne, sans grand enthousiasme. À vrai dire, la réforme pourrait purement et simplement être enterrée, en raison de l’opposition de plusieurs États membres.

C’est ce qui ressort clairement de la lettre que Jonathan Hill, le commissaire (britannique) chargé des services, a adressée en novembre dernier à Frans Timmermans, le premier vice-président de la Commission. Tout en admettant qu’il serait prématuré d’abandonner le projet dès maintenant, il écrit que son retrait « pourrait être une option l’an prochain si le soutien des pays membres ne remonte pas ». Or, depuis l’origine, plusieurs États ne voulaient pas de la réforme, car dépourvus des quelque trente établissements systémiques sur lesquels elle devait finalement porter et estimant que la scission des banques se ferait au détriment du financement de l’économie en renchérissant le coût du crédit.

M. Hill se prononce en faveur d’une évaluation globale de l’impact de toutes les réformes mises en œuvre depuis la crise financière de 2007, ce que les banques réclament depuis longtemps mais que refusait son prédécesseur français Michel Barnier. La priorité du nouveau commissaire est plutôt de faciliter l’accès des entreprises moyennes et intermédiaires aux marchés financiers pour réduire leur dépendance aux crédits bancaires.

Pour couronner le tout, le « draft report » publié début janvier par le Parlement européen va dans le sens d’un assouplissement des règles prévues pour organiser la séparation des activités. Selon l’agence Reuters, le rapporteur du Comité aux affaires économiques, le suédois Gunnar Hökmark « n’est pas connu pour vouloir à tout prix faire aboutir le dossier ». Il écrit d’ailleurs que « rien ne nous dit que le trading est plus risqué que les prêts » et il propose en conséquence de mieux protéger (donc de ne pas isoler) les activités de trading utiles à l’économie. Selon lui le terme « séparation » devrait même être supprimé !

Les députés européens, qui, à son image, ont manifesté leur scepticisme quant au projet initial, sont ouvertement accusés d’être influencés par les grands groupes bancaires et le lobby de la profession, la Fédération Bancaire Européenne, qui n’a d’ailleurs pas tardé à faire connaître sa satisfaction. « Les grandes banques ont tout fait pour que cette loi n’arrive jamais », déclare un parlementaire qui en est réduit à espérer, avec d’autres, que la Lettonie qui préside le Conseil de l’UE au premier semestre 2015, mettra la séparation bancaire dans sa liste des priorités, car ce pays ne possède aucune banque systémique capable de faire pression sur le gouvernement

Politiquement, un abandon définitif du projet serait difficile à faire passer, en raison de l’opposition probable du Parlement européen, très sourcilleux sur ce thème. De plus, Jonathan Hill, dont la nomination comme commissaire à la stabilité financière, aux services financiers et à l’union des marchés de capitaux avait déjà suscité quelques remous en raison, notamment, de sa nationalité, ne veut pas être accusé, en laissant tout tomber, de favoriser le secteur financier de son pays d’origine, pourtant pionnier en Europe en matière de séparation des activités bancaires, avec la création de la commission Vickers en juin 2010.

Car c’est bien là le paradoxe de la situation actuelle. Tandis que le projet peine à progresser au niveau européen, il a déjà été mis en œuvre dans plusieurs pays européens, et non des moindres. Parmi ceux qui ont pris les devants figurent la France, avec en juillet 2013 la « loi sur la séparation et la régulation des activités bancaires », et la Belgique où une nouvelle loi bancaire comprenant un volet « séparation » a été votée en avril 2014. Indépendamment du fait que ces réformes ont été voulues par des gouvernements socialistes, ces deux pays présentaient un point commun, celui d’avoir déjà connu, et pendant une longue période, une séparation légale des activités des banques : entre 1934 et 1993 en Belgique et de 1945 à 1966 en France, où elle existait de facto depuis la fin du XIXe siècle, selon la fameuse « doctrine Germain » (du nom du fondateur du Crédit Lyonnais).

Dans les deux pays, l’activisme du lobby bancaire avait déjà réduit à la portion congrue la partie des activités bancaires à filialiser : lors des auditions préparatoires à loi française, le PDG de la Société Générale Frédéric Oudéa avait reconnu qu’elles représentaient moins de un pour cent des revenus totaux de sa banque !

Au Royaume-Uni, à défaut de loi, la commission présidée par John Vickers a émis dès septembre 2011 des recommandations précises, supposées être appliquées avant 2019. Mais le secteur bancaire traîne les pieds, craignant à la fois une baisse de ses profits et le coût de la mise en place des réformes, estimé entre cinq et neuf milliards d’euros.

Les banques, auxquelles la Bank of England avait donné jusqu’au 6 janvier pour lui soumettre leurs premières propositions sur les mesures qu’elles comptaient prendre, ne cessent de se plaindre et de demander des exemptions. Par exemple la Lloyds voudrait échapper à une recommandation-clé, qui est de doter la filiale « cantonnée » d’un conseil d’administration différent de celui de la maison-mère. Mais selon le Financial Times, les grandes banques ont aussi des approches radicalement différentes de l’application des nouvelles règles. Barclays et HSBC auraient une conception très étroite du cantonnement à réaliser, de façon à pouvoir mieux développer, et à moindre coût, les activités restantes. De leur côté, Lloyds et RBS devraient présenter un plan où les « entités cantonnées » recevraient le maximum possible d’activités, jusqu’à 90 pour cent chez Lloyds.

En Belgique, où le ministre des finances de l’époque, Koen Geens avait déclaré en novembre 2013 que « séparer banques de dépôts et d’affaires n’est pas une bonne solution », la faible portée de la réforme a provoqué la mobilisation d’associations comme le réseau Financité ou l’ONG FairFin pour qu’elle soit renforcée quand elle passera au niveau européen.

Il y a peu de chances pour que cela se produise car les pays qui ont déjà entrepris la séparation des activités bancaires en semblent satisfaits, avec l’appui de l’Autorité européenne de supervision bancaire, dont la présidente française Danièle Nouy a déclaré en décembre 2014 que la loi de séparation bancaire française, « qui est d’ailleurs la même que la loi allemande, allait dans le bon sens » car elle était « équilibrée et raisonnable ».

La France, l’Allemagne, la Belgique et le Royaume-Uni, estimant avoir bien traité le problème dans leur cadre domestique, ne voient plus l’intérêt de pousser les feux au niveau européen : pour eux, une directive pourrait même nuire à l’application des législations nationales déjà en place, ce qui est aussi la position de la Fédération Bancaire Européenne. Finalement les pays qui ont réalisé la scission rejoignent, mais pour d’autres raisons, ceux qui comme la Suède ou la Pologne y étaient opposés.

Madame Nouy considère d’autre part que « plus le mécanisme de résolution est convaincant et opérationnel, moins on a besoin de pousser le problème de la séparation bancaire ». Si la BCE s’y met aussi, une directive européenne sur la scission des banques a vraiment du plomb dans l’aile.

Georges Canto
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