Démesure. S’il fallait trouver un mot pour définir l’homme de théâtre Marc Olinger, mort le 8 janvier à Lyon des suites d’une crise cardiaque à l’âge de 69 ans, c’est la démesure. C’était celle de son corps, dont l’embonpoint n’était qu’une matérialisation de son hédonisme ; c’était celle de son amour pour les planches, pour lesquelles il vivait ; c’était celle aussi de tout son être, de ses coups de gueule homériques, de sa générosité et de son rire.
Cette démesure, je l’ai rencontrée une première fois au lycée, il y a trente ans, lorsque le monsieur impressionnant des publicités de La Luxembourgeoise et du film de guerre Déi Zwéi vum Bierg vu sur RTL Télé Lëtzebuerg essayait de me faire correctement prononcer le « Petit pot de beurre quand te dépetitbeurreriseras-tu... » durant des cours de diction au Conservatoire. Malgré un énervement certain, Marc Olinger restait patient face à une absence totale de talent, persuadé que sur dix élèves super-nuls comme moi, il y en aurait un avec cette étincelle promettant une belle carrière. De telles jeunes pousses, il en a dénichées par dizaines, certaines voyant en lui un deuxième père, celui de leur carrière d’acteur. Il leur donnait une chance, encourageait des metteurs en scène à leur confier un premier rôle, prenait des risques en offrant des mises-en-scène à des débutants presqu’inconnus.
La vie de Marc Olinger était une vie de théâtre et il a côtoyé tout de monde dans cet univers. Les hommages qui affluent depuis une semaine, aussi bien de confrères que d’anciens ennemis, de réels amis ou de responsables politiques, prouvent le respect qu’ils avaient pour lui, malgré tous les différends passés.
Revenant de ses études parisiennes au début des années 1970, des idées plein la tête et de l’énergie à revendre, Marc Olinger créa avec son épouse Claudine Pelletier et des amis comme Pol Greisch et Juliette François, Ger Schlechter ou Henri Losch, le Théâtre ouvert luxembourg qui allait devenir la scène du nouveau théâtre français, surtout absurde, de Ionesco à Genet. Le Tol était alors un peu le pendant francophone au Casemates de Tun Deutsch. En 1985, la Ville de Luxembourg lui confie le Capucins, le plus grand théâtre de création au Luxembourg, ce sera un pas important vers la professionnalisation de la scène autochtone – jusqu’à ce que les responsables le poussent à la retraite en 2011, ce qu’il a très mal supporté, craignant que la création allait pâtir de la fusion des deux théâtres municipaux. Durant son temps à la direction du théâtre, beaucoup lui reprochèrent des méthodes peu transparentes et un certain clanisme, ce qui a entre autre mené à une scission douloureuse en 1996, avec la création du Théâtre national du Luxembourg par Frank Hoffmann.
Mais peut-être que la direction de la maison n’était qu’un moyen pour Marc Olinger d’assouvir sa passion : celle de l’acteur. Il était une bête de scène, jouant en allemand, en luxembourgeois et surtout en français. Il aimait les classiques français, mais pouvait aussi jouer Tchékhov et Shakespeare. Excessif et ultraprésent dans les grands rôles, il ne sonnait pourtant jamais aussi juste que dans les textes intimes de Pol Greisch, comme De laangen Tour, où les silences assourdissants rendaient palpables l’absurdité de la vie, où sa bonhommie s’ouvrait sur sa grande humanité. Dans les Lëtzebuerger Owender concoctés par Frank Feitler, on le voyait désopilant aux côtés de Luc Feit, Josiane Peiffer et Fernand Fox (une équipe que je qualifiais à l’époque de « Gurkentruppe » pour son côté chaotique et farceur assumé), n’ayant pas peur de se ridiculiser en nain de jardin ou de se vautrer par terre pour une bonne pointe. Son corps hors norme ne donnait guère l’impression d’être un obstacle.
Ces soirées illustraient à merveille l’approche du théâtre de Marc Olinger : un art populaire, qui va vers les gens. Les metteurs en scène trop ambitieux, arrogants, l’exaspéraient, surtout les représentants de ce Regietheater qui révolutionnait la scène germanophone à la fin du XXe siècle. Mais il laissait faire, amusé de voir réalisées des idées qu’il pouvait juger saugrenues. Marc Olinger était aussi un des pionniers de la fiction à la télévision luxembourgeoise, avec ces téléfilmés bricolés avec deux bouts de ficelle et un chewing-gum avec Menn Bodson et Gast Rollinger durant les années 1980. Au cinéma, on le retrouvait chez Andy Bausch, bien sûr, mais aussi et toujours dans des coproductions internationales – sa dernière apparition aura été celle dans L’enquête, sur l’affaire Clearstream, qui sortira au printemps. Ces derniers mois, Marc Olinger avait retrouvé les planches avec des rôles dans des productions populaires locales, De Rousegaart de Jean-Paul Maes, Ofgeschminkt de Jemp Schuster, De Wollef kënnt heem de Raoul Biltgen. Toutes devaient être reprises ces prochains mois. La vie en a décidé autrement.