Indie rock

Dance to the radio

d'Lëtzebuerger Land du 09.12.2022

Il est 21h30 en cette soirée de Saint-Nicolas. Les enfants sages sont au lit depuis belle lurette. Les parents consciencieux ont déjà préparé la table avec les jouets avant de s’échapper dans la nuit froide et moite, direction Bonnevoie et les Rotondes pour un concert qu’on attend comme une délivrance de cette période de pandémie désormais révolue (?). Une playlist easy listening nous fait patienter, les lumières s’éteignent, et s’échappe alors des enceintes le son horripilant de Tubthumping de Chumbawamba, sorte d’hymne de stade pour fêtards alcoolisés. L’espace d’un refrain survitaminé, on croit s’être trompé d’endroit. Quelques uns chantent les paroles au premier rang, ce qui n’augure rien de bon. Puis le quatuor de Porridge Radio fait son entrée sur scène, sourire en coin, fier de son effet.

La charismatique Dana Margolin et ses faux airs de David Bowie prend place au centre, bardée de son groupe aux trois quarts féminin. Un riff de guitare démarre. « One two three four, don’t you know what I’ve been waiting for? », déclame-t-elle de sa voix mystérieuse. Oui, on sait ce qu’on a attendu : enfin découvrir Porridge Radio sur scène, plus de deux ans après le formidable album Every Bad, sorti exactement au moment où tout le monde se calfeutrait à la maison pour combattre ce satané virus. Un album révélation dont est tiré Give / Take, le morceau d’ouverture de cette prestation aux Rotondes, à l’invitation de l’Atelier.

Et quelle prestation ! La bande à Dana alterne brûlots indie à la saveur DIY et ballades viscérales, dont End of Last Year, tirée du dernier album Waterslide, Diving Board, Ladder To The Sky, où on perçoit cette singularité à fleur de peau d’une jeune formation navigant sans réelle certitude entre les détours de la vie. Sur Birthday Party, Dana répète inlassablement « I don’t wanna be loved » (57 fois pour être exact), comme si elle voulait s’en convaincre, jusqu’à ce que ses mots trouvent enfin sens, sans vraiment y croire (on l’espère). Le morceau se termine en déflagration, avant que ne s’échappent les notes de synthé de U Can Be Happy If U Want To, jouées à l’orgue Hammond pour une messe aussi sombre qu’intime (« My skin is tied to your skin/So everything you touch, I touch »), à la puissance cathartique évidente.

À l’heure du recyclage musical à tout va et du copier-coller abusif, le quatuor de Brighton, fruit du génie de sa meneuse de revue androgyne, se détache facilement du lot. On y perçoit des bribes de PJ Harvey, des reflets des Pixies, ou encore des fragments hérités d’Electrelane (autre groupe féminin de Brighton, aujourd’hui défunt). Mais plus que ces comparaisons issues forcément du passé, c’est surtout l’irrésistible talent d’écriture de Dana et les formidables trémolos dans sa voix écorchée qui font de Porridge Radio beaucoup plus qu’une sensation passagère.

Au bout d’une petite heure et un final explosif (le bien nommé Back To The Radio à l’intensité renversante), Dana se présente à nous de nouveau, seule avec sa guitare, pour un rappel touchant, où elle interprète Waterslide, Diving Board, Ladder To The Sky, plage titulaire du dernier disque, morceau magnétique au lyrisme contenu. Quand ses trois acolytes la rejoignent, c’est pour totalement se lâcher sur Sweet, ode adolescente revendiquée, sèche et tendue, remplie d’énergie primale, aux guitares tranchantes, entre onirisme et brutalité enfantine. « Sometimes, I am just a child, writing letters to myself », chante Dana, avant d’expulser ses frustrations via des incantations hurlées.

Porridge Radio transpire le débordement, la passion, la spontanéité, voire la rage. La facilité avec laquelle Dana Margolin alterne riffs incendiaires et mélodies à la fragilité exacerbée est remarquable. Sa musique, ses états d’âmes et ses observations acerbes sont l’hymne d’une certaine génération, à l’heure d’une génération qui n’écoute que du rap. Les thèmes abordés, entre mal-être et espoir, rappellent les meilleures heures de The Cure, dans un autre style, quoique. Les sonorités slacker, entre synth-pop et post-punk pour faire court, se moquent des classifications. Pas de doute, on a affaire à de futurs grands.

Sébastien Cuvelier
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