Jean Morby a écrit une lettre officielle de demande de subside « dans les formes et les délais, » à la ministre de la Culture, Octavie Modert (CSV), souligna le député-maire de Mamer Gilles Roth (CSV) vendredi dernier devant la presse, mais il n’a pas encore reçu de réponse. Ce jour-là, la commune dévoilait son somptueux centre culturel Kinneksbond, signé Jim Clemes, avec sa belle salle entièrement modulable pouvant accueillir presque 450 spectateurs et un orchestre de soixante personnes dans sa fosse, avec ses loges luxueuses, ses salles de musique agréables et autres espaces communs. À l’arrivée, cela représentera un investissement de quelque vingt millions d’euros, dont une partie substantielle, de l’ordre d’un quart de la somme, aura déjà été financé par l’État (dans le cadre de la convention sur l’accueil de la deuxième École européenne sur son territoire).
Ce centre culturel s’inscrit dans un investissement global de cent millions d’euros sur huit ans pour de nouvelles infrastructures, notamment scolaires, sportives et d’accueil des enfants, que la commune y a opéré. Riche bourgade aux abords directs de la capitale comptant actuellement 7 700 habitants, Mamer table sur un accroissement notable de sa population à 10 000 habitants d’ici quelques années, grâce surtout aux nombreux projets immobiliers en construc-tion. Avec ce centre culturel, elle vise une population régionale, « jusqu’à Arlon » et mise sur une programmation mêlant proximité et ambition de qualité. Jean Morby, donc, est le président de l’association exploitant ce centre culturel, qui ouvrira ses portes le week-end prochain, et doit donc trouver des financements additionnels aux subsides directs de la commune, qui sont de l’ordre de 250 000 euros annuels. L’État y est alors forcément le premier interlocuteur invoqué, Gilles Roth espère que sa commune obtiendra des aides « du même ordre de grandeur que d’autres centres régionaux comparables », comme Niederanven ou Marnach. En attendant, le Kinneksbond ne peut fonctionner qu’avec une équipe réduite de trois personnes.
L’État se sent souvent pris en otage par de telles demandes de la part des communes, comme ici en culture : les communes prennent la décision d’investir en toute autonomie, mais invoquent l’aide de l’État a posteriori, plaidant surtout l’égalité de traitement et une politique de redistribution juste et équilibrée. Ainsi, le ministère de la Culture, pour rester avec notre exemple, investit 5,3 millions d’euros en 2010 pour co-financer la construction et le réaménagement des infrastructures communales ; 3,8 millions sont inscrits au budget pour 2011. Après une stagnation aux alentours de 80 000 euros, le budget pour la participation aux frais de fonctionnement des infrastructures culturelles régionales est passé cette année à 232 000 euros, seuil qu’il atteindra aussi en 2011. Le même phénomène se produit dans d’autres domaines, notamment les infrastructures sportives ou touristiques – ces nombreuses piscines wellness flambant neuves qui bordent les villes et villages – de sorte à ce que l’État se sente souvent pris au dépourvu.
Ceci pourrait être une des explications pour l’appel à la prudence que le ministre de tutelle des communes, Jean-Marie Halsdorf (CSV), vient de leur adresser dans la circulaire budgétaire qu’elles ont reçue la semaine dernière : « Je fais appel aux communes pour qu’elles aient cure de leur situation financière et qu’elles évitent d’ores et déjà toute initiative comportant des charges récurrentes pouvant hypothéquer l’avenir de l’équilibre financier » (page 2) et de continuer que les communes « pourront par ailleurs vérifier leurs engagements actuels en distinguant entre l’utile, le nécessaire et l’indispensable » et propose qu’elles établissent un programme pluriannuel d’investissement et de financement.
Aussi, il leur recommande de limiter l’emprunt nouveau en 2011 « au strict nécessaire » et de n’en engager qu’après avoir tenu compte du résultat effectif du budget 2010, soit après avril 2011, n’excluant pas de légères plus-values de recettes des principaux impôts entrant en compte pour le financement du Fonds communal de dotation financière et de l’impôt commercial communal de l’ordre de 5,72 pour cent par rapport au compte de l’année 2009. Jean-Marie Halsdorf exhorte donc les communes à limiter l’augmentation de leurs dépenses de fonctionnement à 5,9 pour cent, voire de ne pas épuiser l’intégralité de cette marge de progression, mais d’utiliser le solde positif ainsi libéré pour soit renforcer le Fonds de réserve budgétaire, soit alimenter leur budget extraordinaire afin de réduire le recours éventuel à un emprunt (page 6).
Après deux années de stagnation à zéro pour cent du PIB, le budget des administrations locales – qui joue désormais pour les critères de Maastricht – augmente de 0,1 pour cent du PIB ou 22,3 millions d’euros dans le projet de budget de l’État pour 2011. Pour mémoire : le gouvernement prévoit des économies de l’ordre de 1,4 milliard d’euros sur le budget de l’administration centrale en 2011, soit moins 3,4 pour cent du PIB. Les communes ne s’en tirent donc pas trop mal.
« Cet appel à la prudence ne vaut strictement rien, » rétorque pourtant Dan Kersch (LSAP), président du Syvicol (Syndicat des villes et communes luxembourgeoises) et maire de Mondercange, joint par le Land. « Les communes ont engagé un certain nombre de projets, rappelle-t-il, et elles doivent bien les payer. D’ailleurs pas plus tard que l’année dernière, le ministre nous a même appelés à faire une politique d’investissement anti-cyclique afin de soutenir l’économie nationale en temps de crise, ce que nous avons fait. » Comme le ministre, il s’attend plutôt à une révision vers le haut des recettes d’impôts cette année, tout en soulignant le caractère volatile des chiffres qui sont fournis par le Conseil supérieur des finances communales et qui sont constamment adaptés soit vers le haut, soit vers le bas. Dan Kersch estime donc qu’en fait, le ministre demande aux communes de sous-estimer leur budget pour 2011 par rapport à la réalité.
Mais ce qui agace le plus le président du syndicat des communes, c’est l’appel à la prudence en ce qui concerne les projets engageant des frais récurrents, notamment de fonctionnement : « La plupart des augmentations de ces frais nous sont imposées par le gouvernement ! » lance-t-il. Des exemples ? « Les augmentations des salaires des enseignants de l’école fondamentale : c’est le gouvernement qui les a décidées, pas nous ! » Si le gouvernement demande la construction de maisons-relais sur tout le territoire, aux communes d’engager le personnel nécessaire pour leur gestion, idem pour les logements communaux. Sans parler de la réforme des services de secours, qui ne pourront vraiment se professionnaliser, aux yeux de Dan Kersch, qu’avec une augmentation des effectifs de quelque 400 à 450 personnes à travers tout le pays. Une participation financière des autorités locales à ce projet présupposerait une réforme des finances communales.
Ces deux thèmes seront au centre des débats du premier Congrès des élus locaux organisé par le Syvicol demain, samedi 23 octobre, à Junglinster. « Les réformes des finances communales sont un sujet toujours d’actualité, parce que le processus n’a pas encore abouti, affirme le président. Nous demandons toujours à ce que les missions des communes soient définies en amont, avant de pouvoir les chiffrer. » Parmi les sujets qui fâchent les élus et les administrations locaux, il y a aussi le nouveau calcul du prix de l’eau – mais sur ce point, il n’y a pas de consensus au sein de l’organisation. « Nous allons simplement demander au gouvernement de faire tout ce qui est dans son pouvoir pour viser une harmonisation de ces prix, dit-il. À mon avis, l’article 12 de la loi permettrait déjà aujourd’hui de le faire, en se référant aux conditions géographiques1 ». Sur les autres points, il est prévu que le congrès de demain adopte une résolution commune.
Bien que leur cadre financier semble retrouver des eaux plus calmes, l’année 2011 s’annonce comme très mouvementée pour les communes, et ce non seulement pour les nombreuses réformes toujours en cours ou à venir – enseignement fondamental, foyers de jour, réforme de la gestion de l’eau, pacte logement, réorganisation territoriale, réforme administrative, réforme des offices sociaux, réforme des services de secours... – qui font perdre leur latin à plus d’un élu ou fonctionnaire communal, mais aussi et surtout en vue de l’échéance du 9 octobre 2011. Qui sera précédé de son inévitable marathon d’inaugurations de projets prestigieux. Le centre culturel de Mamer en fait partie.