Le « budget de sortie de crise » pour 2011 confirme ce que Jean-Claude Juncker avait annoncé en mai : finie la politique d’investissements ambitieuse

Fonds de tiroir

d'Lëtzebuerger Land du 07.10.2010

Soutenir l’économie, notamment le secteur de la construction et l’artisanat, et créer des emplois sont, selon le ministre des Finances, Luc Frieden (CSV), les objectifs premiers de la politique d’investissements du gouvernement. Une politique qui se veut une transition entre le programme extraordinaire de soutien à la conjoncture de 2008, touchant à sa fin en décembre, et la politique d’austérité budgétaire annoncée jusqu’en 2014 afin d’assainir les finances publiques. Avec quatre pour cent du produit intérieur brut (1,688 milliard d’euros d’investissements directs et indirects) ou treize pour cent du total des dépenses de l’administration centrale, cette enveloppe réservée aux investissements directs et indirects serait un compromis entre la demande des différents départements ministériels (2,1 milliards d’euros en tout) et ce que l’État peut se payer (moins 500 millions d’euros), avec la volonté de ­« rendre la sortie de crise moins brutale ».

Or, à y regarder de plus près, l’ambition est bien modeste. Au contraire, les investissements baissent considérablement par rapport au budget précédent, moins 14,7 pour cent par rapport à cette année, dans les investissements directs de l’administration centrale à 944 millions d’euros. Même si Luc Frieden souligne que c’est beaucoup plus qu’en 2009 encore (735 millions). C’est sur le moyen terme que l’exercice de freinage des dépenses d’investissement devient le plus visible : par rapport au dernier plan pluriannuel de dépenses en capital, datant d’octobre 2009, ces dépenses ont été réduites d’un montant total de 360 millions d’euros pour la seule année 2011 (page 32*).

En ce qui concerne les infrastructures publiques, à réaliser par le biais des principaux fonds publics d’investissements (administratifs, scolaires, d’entretien et de rénovation) relevant du ministère du Développe­ment durable et des infrastructures, l’investissement baissera de 13,3 pour cent ou 84 millions d’euros par rapport à 2010, à 548 millions cette année.

Il y eut un temps où on pouvait lire dans le budget pluriannuel de l’État les grands axes de la politique du gouvernement : engagements de policiers plutôt que d’enseignants, construction d’infrastructures culturelles ou européennes, grandes voiries routières ou ferroviaires... Or, ce gouvernement-ci ne peut guère se permettre de grands sauts, mais doit surtout racler les fonds de tiroir pour arriver à construire les routes, gares périphériques, écoles et infrastructures européennes qu’il a promises. Le Premier ministre Jean-Claude Juncker (CSV) l’avait annoncé dans sa déclaration sur l’état de la nation début mai : les investissements devront être étalés dans le temps, afin d’être soit ­réalisés plus tard – comme la Bibliothèque nationale ou le tram, après 2014 –, soit sur une période plus longue. On ne trouve guère de surprises par rapport à cette annonce dans le budget.

Les principales augmentations du côté des dépenses entre 2010 et 2011 sont en rapport direct avec les retombées sociales de la crise économique : plus 60 millions d’euros pour le Fonds pour l’emploi, plus 38,6 millions pour le revenu minimum garanti (que touchent de plus en plus de personnes), plus quinze millions pour l’allocation de vie chère...

Par contre, c’est la lecture du deuxième volume du projet de budget, sur le Programme pluriannuel des dépenses en capital qui s’avère édifiant : d’ici 2014, les principaux fonds d’investissements seront non seulement vides, mais carrément déficitaires. Si actuellement, ils disposent encore de quelques réserves, et bien qu’il soit prévu de les alimenter par des dotations annuelles stables et régulières de plus de 100 millions, ces Fonds d’investissements publics chuteront, selon ces prévisions (page 42) de 210 millions en début de l’exercice 2009, en passant à 167 millions en 2011 à -226 millions d’euros en fin d’exercice 2014.

Ces sommes sont très majoritairement utilisées par les projets déjà en cours de réalisation, entre 65 et 87 pour cent de cet argent est déjà engagé, selon le fonds, ce qui laisse très peu de place à de nouvelles politiques. La Cour des comptes a d’ailleurs plusieurs fois déjà mis en garde devant une trop grande instabilité des Fonds d’investissements, qui sont en outre alimentés par les excédents des recettes de l’État, lorsque les entrées d’impôts dépassent les estimations.

Pour pouvoir garantir une certaine continuité dans les chantiers routiers – liaison Micheville, projet Cita, ban de Gasperich, échangeur Burange, pont Adolphe... – et ferroviaires – mise à double voie de la ligne Pétange-Luxembourg, nouvelle ligne Luxem­bourg-Bettembourg, gares périphériques de Howald et Kirchberg... –, le gouvernement prévoit de contracter, si nécessaire, des emprunts de l’ordre de cent millions pour chacun des deux fonds. Le projet de loi de budget demande l’autorisation de lancer, en cas de besoin, un emprunt de 500 millions d’euros au total.

Or, bien que fragiles et très dépendants des entrées fiscales de l’État, les fonds d’investissements seront désormais encore plus fortement sollicités pour le financement des infrastructures de l’État, puisque l’augmentation, en juin 2009, à 40 millions d’euros du seuil au-delà duquel une loi spéciale pour un projet est nécessaire a quasiment généralisé le recours rapide aux moyens de ces fonds, seuls les très grands projets (lycées, gares, bibliothèques, université..) se situant au-delà et demandant une enveloppe propre. En outre, la nouvelle procédure d’élaboration des projets de construction instaurée dès 2006 par Claude Wiseler et visant à limiter les dépassements budgétaires – les projets sont désormais votés par le Parlement au stade d’avant-projet détaillé avec déjà un budget assez précis des coûts – implique également un autre traitement comptable des frais d’études et de planification : ils seront aussi imputés en amont aux fonds d’investissements respectifs. Le même phénomène se produit par exemple avec les budgets des Ponts et chaussées, dont certains projets ont été transférés vers le Fonds des routes.

Les travaux préparatoires pour le tram en sont un bel exemple : si Jean-Claude Juncker a annoncé le report du projet à proprement parler à l’échéance 2014 – cette année-là, l’État contribuera substantiellement, avec 22 millions d’euros, soit 50 pour cent, au capital de Luxtram – les analyses de terrain et les études de faisabilité afin de pouvoir estimer les coûts réels de la construction, sont en cours. Avant la fin de cette année, le ministre du Développement durable aimerait faire avaliser la suite des travaux par le vote d’une motion valant déclaration d’intention politique au Parlement. Les grandes discussions sur le bien-fondé ou non du projet sont donc autant étalées dans le temps que les investissements. Ce saucissonnage a aussi pour effet de diluer les sommes globales en jeu.

Car le plus important pour le tandem Frieden/ Wiseler est de paraître responsables, d’agir en « bons pères de famille » en politique d’investissement, de ne pas donner l’impression d’être des têtes brûlées qui se construiraient des monuments prestigieux avec les allocations familiales des frontaliers. Or, à une deuxième lecture, même le volontarisme timide en faveur de l’économie nationale s’avère peu sûr. Pourvu que la reprise dure et que les recettes fiscales de l’État augmentent à nouveau, ce que porteraient à faire croire les derniers chiffres. Sinon, l’atterrissage en 2014 sera vraiment brutal.

josée hansen
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