Panzi est amoureux. Par deux fois même. Très vieux déjà, l’ami grincheux de Catherine dite Kätt Musch et de son père, qui habite leur immeuble et les côtoie au quotidien, rencontre d’abord une passionnée des fleurs au centre de jour pour personnes âgées, puis, lorsqu’il n’avance plus qu’avec un déambulateur, une infirmière à la retraite. Les deux exagérèrent à leur manière, et à la fin, Panzi est plus qu’heureux de redevenir ce célibataire endurci qu’il fut toujours.
Tortikolli de Guy Rewenig et Klaudia Kampa, qui vient de paraître aux éditions Ultimomondo (après l’arrêt de leurs activités éditoriales, la FGIL reprend leur catalogue de livres pour enfants) est le quatrième volume des aventures de Kätt, qui ont accompagné beaucoup d’enfants luxembourgeois durant vingt ans. En 1990 paraissait Muschkilusch, déjà avec des dessins de Klaudia Kampa, Kätt a alors neuf an. Dans Zebra Tcherri, elle en a dix, dans Schallümo onze et maintenant, dans Tortikolli, 33. La fille qui a grandi avec son père et Panzi, sans maman, est devenue une jeune femme, vit toujours avec son père et Panzi, mais est elle-même mère, des jumeaux Kim et Mik, qui ont aujourd’hui dix ans et dont le père est inconnu (enfin, c’était une aventure d’une nuit, dont Kätt n’aime pas trop se souvenir).
En une quarantaine de petits épisodes, Guy Rewenig raconte dans un luxembourgeois riche, moderne et créatif les aventures quotidiennes – bien qu’un peu décalées – de ce quintette improbable. Et il le fait avec toute cette tendresse qui caractérise sa littérature pour enfants, qui ne les prend pas pour des cons, mais au contraire, regarde le monde à travers leurs yeux émerveillés, et on se demande bien si ne sont pas eux qui ont raison. Dans la famille Musch en tout cas, on s’amuse tous les jours, même si la vie n’est pas simple. Guy Rewenig observe ses contemporains et les modes que suivent les enfants, mais jamais ne les condamne ou ne les ridiculise. Comme cet épisode succulent sur la propension des jeunes à vouloir aimer le heavy metal et à composer des chansons en toute vitesse sur leur ordinateur – tout en ayant besoin de la mère pour écrire une ligne de texte sirupeuse. Avec beaucoup de dignité et sans tam-tam, il raconte cette histoire de père absent et la quête d’identité des deux garçons, qui aimeraient bien savoir. Ou l’histoire d’amour naissante entre Kätt et le postier Max.
La poésie des petites aventures banales racontées par Guy Rewenig touche les enfants, qu’ils aiment qu’on leur lise les textes à voix haute ou qu’ils les lisent eux-mêmes, parce qu’il accorde une importance à ces choses qui les concernent, comme ces épisodes de mobbing dans la cour d’école ou l’ennui structurant d’une après-midi à la maison. Il ne fanfaronne pas, n’affiche pas cette mission didactique de premier degré qui rend tellement de livres pour enfants si insupportables (on va t’en apprendre sur ton identité unique, on va te dire que le mieux dans la vie, c’est de rester à sa place, de ne pas vouloir péter plus haut que son cul et d’aimer son prochain…)
Bien qu’incroyablement vitale (pour les fêtes de fin d’année, il y avait au moins une nouvelle parution par semaine), l’édition de livres pour enfants est aussi problématique parce que souvent, ils sont tout simplement très mauvais : mal dessinés, moralisateurs, prenant les enfants de haut justement. Donc agaçants. Plusieurs auteurs et éditeurs en sont conscients et essaient de s’y prendre autrement. À côté du pionnier Guy Rewenig, ancien instituteur, dont les enfants furent toujours un public-cible privilégié, une autre auteure s’adressant aux enfants en langue luxembourgeoise est Christiane Ehlinger, la créatrice de Kloni Klunnes et de Zarabina, également institutrice à la retraite. Elle vient de publier, toujours aux éditions Imprimerie Centrale, Maximax, les aventures du petit Max qui est « un peu enrobé » (comme Obélix aime à décrire son obésité) et souffre des moqueries de ses camarades. Jusqu’au jour où ses collègues d’école découvrent son don extraordinaire pour le jeu d’échecs – et veulent soudain tous devenir ses amis. Christiane Ehlinger a eu la bonne idée de changer d’illustrateur, elle a travaillé avec la graphiste et illustratrice Éléonore Warmont, qui donne au livre une touche d’understatement typiquement belge – ce qui lui fait le plus grand bien. En trois traits deux couleurs, Max prend vie, sa solitude, ses joies deviennent palpables. En format poche, le livre gagne en qualité par sa modestie.
Une des publications les plus originales est D’Buch ouni Biller de B.J. Novak, dont Georges Hausemer et Susanne Jaspers des éditions Capybara se sont procurés les droits de traduction juste avant que le livre s’établisse à la tête des meilleures ventes du New York Times. En quelques semaines, The book with no pictures du producteur, réalisateur et acteur américain – connu entre autres par la série The Office ou par Inglorious Basterds de Tarantino –, est devenu un phénomène éditorial, parce qu’il prend un contre-pied radical à l’hyperprofusion d’images dans le monde qui entoure les enfants : il n’en publie pas. Mais offre aux enfants de les faire naître dans leurs têtes par la force des mots et des onomatopées. Dans la traduction luxembourgeoise de Georges Hausemer, le livre est idéal à lire aux plus petits, du premier ou deuxième cycle, parce qu’il impose au lecteur de lire à voix tout ce qui est écrit – aussi des mots et des instructions complètement ridicules. Ce qui transforme ce moment privilégié en une joie et un émerveillement partagés.
« Les livres pour enfants furent dès le début un des axes de développement de notre maison d’édition », explique Susanne Jaspers de Capybarabooks. Et parce qu’ils étaient conscients des problèmes de qualité dans ce domaine, ils n’ont jusqu’à présent publié que des traductions de classiques étrangers : Janosch, Hans de Beer ou Jeff Kinney. L’édition de livres pour enfants n’est que peu attractive financièrement, sur ce point, tous ceux contactés pour cet article s’accordent. D’abord parce que le lectorat potentiel est forcément limité, un tirage normal se situant entre mille et 1 500 exemplaires. Puis parce que les livres sont assez chers dans la production, souvent en quadrichromie et dans des formats généreux. Petit tirage plus production chère équivaut à un prix élevé – plus élevé que ceux des concurrents internationaux, ce qui dessert souvent au comptoir, de cela, les éditeurs sont persuadés.
Un livre pour enfants en luxembourgeois leva des fonts baptismaux la jeune maison d’édition Kremart : Mammendag de Christiane Kremer et Anne Mélan, paru en 2013 et qui raconte l’histoire de Sarah qui a deux pères – en toute normalité. « Nous ne voulions pas faire du porte-à-porte avec ce texte que Christiane avait écrit suite à nos discussions sur le sujet », se souvient Luc Marteling. Ils ont donc fondé leur propre maison d’édition. Père de famille nombreuse engagé et hyper-actif dans la vie professionnelle, Luc Marteling a vite eu l’idée de traduire des livres qu’il lisait à ses enfants en luxembourgeois. Et fut étonné de voir que les éditeurs des originaux, comme Ravensburger ou Andersen Press, étaient enthousiastes à l’idée de conquérir d’autres marchés. Les traductions des aventures de l’éléphant multicolore Elmar, un classique de David McKee, en furent le coup d’essai – qui s’avéra vite un coup de génie. Le premier tome, paru en été dernier, a même été tiré une deuxième édition. Avant Noël est paru le deuxième, Den Elmar an d’Nilpäerd, trois autres tomes sont prévus pour 2015. Tout comme Krem-art a encore d’autres livres pour enfants, pas seulement des traductions, en tête. Mais ce sont les modalités de soutien du Focuna notamment qui freinent leur ardeur : elles limitent le nombre de demandes d’aide par maison d’édition à quatre livres par an. Elmar n’en a pas profité.