Coup de théâtre dans la matinée du vendredi 12 juin. Un communiqué de presse de la Philharmonie annonce la programmation d’une série de concerts surprises. Back to live peut-on lire sur le document en question. De vrais concerts, si tôt, sans rire ? On se pince et on assimile l’information. C’est que les amateurs de concerts s’étaient fait une raison, celle de l’attente. L’annonce d’un premier gros événement live post-confinement, qui aura lieu quelques jours plus tard à peine, était inespérée. Jeudi 19 juin, les portes de l’institution sont grandes ouvertes. Des dizaines de spectateurs masqués traversent le foyer. Il n’y a ni vestiaire, ni bar, une flèche pointe directement vers les entrées du grand auditorium. Une fois installé, le port du masque n’est plus de rigueur, entre chaque groupe de spectateurs, trois ou quatre sièges de distance en guise de précaution. Au programme ce soir, le trio Reis-Demuth-Wiltgen, dont chaque concert en terrain conquis est en soi un petit événement.
Ce n’est pas tant le peu de spectateurs en place qui interpelle – 271 personnes en tout ce soir-là –, mais le discernement du public. Consciente que chaque quinte de toux ferait l’effet d’une grenade qu’on dégoupille, l’audience est particulièrement calme. Des connaissances d’un bout à l’autre de la salle se saluent chaleureusement et se font la discussion, avec des gestes et des mimiques, et sans ouvrir la bouche. Ou quand la distance rapproche. Dans son discours d’ouverture, Paul Wiltgen rend hommage à LeFloria Robertson, l’arrière-grand-mère de son fils. L’enterrement de cette dernière, une femme noire américaine qui a quitté le sud ségrégationniste pour élever ses enfants, a lieu au même moment à 6 700 kilomètres de là, à Milwaukee. Le concert lui est dédié, et les mots du batteur du trio ont une résonnance particulière. Ou quand une actualité en dépasse une autre. Les trois musiciens enchaînent sans trêve, une heure vingt durant des morceaux devenus incontournables comme Freedom Trail et des compositions extraites de leur prochain album à paraître chez Cam Jazz, Sly. Vendredi soir, le trio rejoue sur la même scène pour une session digitale dans le cadre du projet Phil Live doheem. Un concert d’une bien moindre saveur.
D’autres institutions à travers le pays ont elles aussi décidé de franchir le pas. Samedi 20 juin au soir, des concerts se déroulent à Echternach, à Dudelange ou encore à Esch-sur-Alzette, où la Kulturfabrik propose son Kufa Summer Bar. Sur le parvis de l’institution eschoise sont installées de nombreuses tables. Ici et là, des guirlandes, des plantes et des luminaires. Le tout baigne dans une atmosphère branchée et conviviale. C’est un peu comme si les Rotondes s’étaient délocalisées dans cet ancien abattoir, où le double portrait de Thierry van Werveke surveille toute cette agitation. Qu’on se le dise, les gestes barrières ne sont respectés qu’à moitié. Dans un coin, surgissent
Sayoko Onishi et Emmanuel Fleitz. La performance (gratuite) des deux membres de la troupe Man’ok & Cie vient couronner une résidence artistique de quinze jours durant laquelle ils ont peaufiné leur spectacle Namakemono glisse à vau-l’eau.
Emmanuel Fleitz, en chemise rouge et au visage strié à la peinture blanche joue de sa contrebasse. A l’aide de son échantillonneur, il élabore une musique effrénée. Sayoko Onishi, visage pâle et inquiétant, d’abord stoïque, se met à déambuler entre les tables. Tout en dansant, elle tourmente certains spectateurs, feint de vouloir les toucher. Elle joue de la distanciation et avançant toujours sur une corde raide, manque souvent de faire vaciller le tout. La performance est chaudement applaudie. La plupart des personnes présentes viennent probablement d’assister à leur premier spectacle post-confinement et de manière générale, ce week-end marquera non pas un retour à la normale, mais le début d’un nouveau cycle. Construire un monde nouveau, réinventer le spectacle vivant, en voilà tout un programme.