Jean Asselborn avait bien préparé son intervention. Assez discret aussi bien durant la campagne électorale que durant les négociations de coalition, laissant le principal travail à Etienne Schneider, tête de liste, Alex Bodry, président du parti, et Lucien Lux, alors encore président du groupe parlementaire socialiste, il demanda la parole en dernier mardi soir au Casino syndical, après deux heures de présentation et de débats sur le programme de coalition que les délégués allaient adopter juste après son discours. Venant d’enchaîner deux mandats consécutifs en tant que ministre des Affaires étrangère et vice-Premier ministre, il profite désormais du statut de « vieux sage » du parti et est très écouté par les militants. « Aujourd’hui, lance-t-il à la salle bondée de 400 personnes, est une journée très importante, historique, pour nous et pour notre pays », avant de s’élancer dans une description dithyrambique de ce qui ressemble à une émancipation de la domination CSV que le LSAP a connu ces dernières décennies. La salle est enthousiaste, l’acclame – et adoptera le programme avec 332 voix de délégués et quatorze abstentions.
Parmi ceux qui se sont abstenus, Véra Spautz, probable nouvelle bourgmestre de la ville d’Esch-sur-Alzette, une des dernières militantes de l’aile gauche et syndicale du parti. « Oui, nous sommes contents que les électeurs aient envoyé le CSV dans le désert, concède-t-elle. Mais cette euphorie ne doit pas nous aveugler. » Tout en saluant les réformes sociétales qui seront sans conteste possibles dans la coalition DP-LSAP-Verts, comme notamment la séparation entre l’État et l’Église, elle met en garde devant les incompatibilités entre l’approche libérale et l’approche socialiste en politique : pourquoi un lobbyiste patronal comme ministre des Finances ? Ne faudrait-il pas alors aussi un président ou haut fonctionnaire de l’OGBL au ministère du Travail ? Et que penser de termes comme « sélectivité sociale » quand il s’agit de politique familiale, « un terme qui pour moi n’a qu’une acception négative » ?
Ben Fayot, dont c’était le dernier jour comme député, se montra lui aussi plus critique que jamais lors de son intervention. D’abord vis-à-vis de la participation de Pierre Gramegna, non élu, au gouvernement : « J’ai un problème institutionnel et politique avec cela, surtout si on sait que la politique des finances est centrale dans le fonctionnement d’un gouvernement ! », lança-t-il. Etienne Schneider ne pouvait que rétorquer que chaque parti doit décider lui-même de sa politique d’attribution des postes, et que d’ailleurs lui non plus n’était pas élu quand il a repris le ministère de l’Économie en février 2012. Le deuxième grand regret que Ben Fayot énonça à voix haute fut finalement partagé par plusieurs autres délégués et élus lors de la réunion du comité général : la crainte que le LSAP ne se soit pas assuré les ressorts centraux pour pouvoir prouver son profil social. Il a en effet abandonné des domaines essentiels comme l’Éducation nationale, l’Enfance et la Jeunesse, l’Enseignement supérieur et la Recherche, le Logement ou encore la Famille (et, pour certains, la Culture) au DP alors que les Verts peuvent entreprendre d’importantes réformes sociétales par le biais du ministère de la Justice.
Or, la composition d’un gouvernement est une alchimie savante entre partis, proportionnalité des voix, des sièges, représentativité régionale, compétence, équilibre hommes-femmes selon Etienne Schneider, qui rassura la base que le LSAP a néanmoins pu s’assurer des postes-clés lors des négociations : la présidence du Parlement, qui revient à l’ancien ministre de la Santé Mars di Bartolomeo, et le droit de proposer le prochain commissaire luxembourgeois à l’Union européenne, poste auquel pourrait être prédestiné Nicolas Schmit, qui reste ministre du Travail en attendant 2014.
« La volonté de la coalition Gambia pour un nouvel élan est énorme ! assura encore Etienne Schneider. Rouge-Bleu-Vert se voient vraiment comme des partenaires à hauteur de vue. Nous ne commençons pas la législature avec des humiliations de la part d’un partenaire dominant. » Avant de chanter les louanges de cet incroyable esprit d’équipe entre eux. Jean Asselborn pourrait avoir raison : cette coalition sans le CSV est vraiment historique pour le LSAP. Historique et libératrice.