« Nous n’aurons pas le Premier ministre, » lança Etienne Schneider, tête de liste socialiste et nouveau vice-Premier ministre du gouvernement DP-LSAP-Verts, mardi soir devant les délégués du parti réunis au Casino syndical à Bonnevoie, en présentant les ressorts occupés par son parti. « Le poste de Premier ministre, c’était la seule chose que nous ayons eue à offrir que les autres n’avaient pas ! » La boutade s’est un peu perdue dans le brouhaha général, mais c’était une confirmation discrète du fait que c’était lui, Etienne Schneider, l’orfèvre de cette coalition sans le CSV, en proposant, dès le 20 octobre au soir, à Xavier Bettel de devenir Premier ministre – le seul mandat pour lequel ce dernier était prêt à quitter le poste de maire et le seul que raisonnablement, le CSV de Jean-Claude Juncker ne pouvait lui proposer.
La constitution de l’équipe socialiste qui gouvernera ces cinq prochaines années aux côtés du DP et des Verts est un savant mélange entre ce que dictaient les résultats des urnes et quelques signes forts que voulait donner le vice-Premier ministre avec le profil de son équipe.
Il y a d’abord les anciens, plébiscités aux urnes. En premier lieu, Jean Asselborn, le ministre des Affaires étrangères, 64 ans. Ayant voulu se présenter comme tête de liste aux élections législatives, il était prêt à se retirer volontairement en faveur d’Etienne Schneider, se faisant toutefois promettre que, si le LSAP restait au pouvoir, il pourrait également rester au ministère des Affaires étrangères, qu’il affectionne tant et où il effectuera son troisième mandat consécutif. Arrivant largement en tête de la liste socialiste au Sud, avec plus de 38 000 voix, son sort était vite scellé. Il pourra ainsi terminer le mandat du Luxembourg en tant que membre non-permanent du conseil de sécurité de l’Onu, pour lequel il a travaillé si dur et qui s’achève l’année prochaine. Il pourra en outre, en tant que « mémoire vivante » de ce gouvernement, gérer la prochaine présidence du Conseil de l’Union européenne, que le Luxembourg assurera au premier semestre 2015. Avoir un sage dans un gouvernement dont la grande majorité des membres sont novices peut constituer un réel avantage pour la continuité et la connaissance des rouages du pouvoir.
Outre le portefeuille des Affaires étrangères, Jean Asselborn reprendra celui de l’Immigration et de l’Asile des mains de Nicolas Schmit, un ressort qui fut traditionnellement attaché à l’Hôtel Saint Maximin. À soixante ans, Nicolas Schmit, réélu haut la main dans la circonscription Est, garde la responsabilité du Travail et de l’Emploi, comme depuis 2009, et reprend celle de l’Économie solidaire de Romain Schneider. On le dit pressenti pour devenir le prochain représentant luxembourgeois à la Commission européenne, poste pour lequel le LSAP s’est assuré le droit de proposition lors des négociations.
Au Nord, Romain Schneider, 51 ans, premier des socialistes, a tenu à garder le ressort des Sports, qu’il avait conquis en 2009 et qui lui assure visiblement une certaine popularité, mais il reprend en outre deux autres ressorts : la Sécurité sociale des mains de Mars Di Bartolomeo et la Coopération et l’Action humanitaire de Marie-Josée Jacobs, respectivement de Marc Spautz (tous les deux CSV).
Retour dans le Sud, où Mars Di Bartolomeo, 61 ans, un autre marathonien de la politique socialiste, deuxième élu, est prêt à quitter le gouvernement pour le perchoir du Marché-aux-herbes, et Alex Bodry, troisième, voulait rester maire de Dudelange, président du parti et, depuis mercredi, également président du groupe parlementaire. Il était donc tout naturel que Lydia Mutsch, 52 ans, et depuis 2000 maire d’Esch-sur-Alzette, quatrième sur la liste du LSAP Sud, aspire à enfin accéder à un poste de ministre, auquel elle s’est tant préparée en traversant patiemment et avec détermination tous les rouages de la politique politicienne. Relais fidèle de Mars Di Bartolomeo à la Chambre des députés, en tant que présidente de la commission de la Santé, pour toutes ses batailles législatives, elle était prédestinée à lui succéder. Elle a en outre pu s’assurer le ministère de l’Égalité des chances, dirigé depuis sa création en 1995 par le CSV, un bon faire-valoir auprès des électrices, et qui nécessiterait d’urgence une dynamique un peu plus volontariste.
Même si sa nomination au gouvernement a quelque chose d’un coup de génie – impliquer un querelleur réputé comme lui dans la responsabilité le forcera à agir plutôt que de critiquer –, Dan Kersch, le maire de Mondercange, désormais quinquagénaire, la doit surtout à son bon score le 20 octobre, où il s’est classé cinquième dans la circonscription Sud. L’ancien communiste et éternel mal-aimé du parti, qui l’a laissé tomber à la présidence du syndicat Syvicol avant de le repêcher en le nommant membre du Conseil d’État il y a deux ans, constituera un peu cette « conscience sociale » de gauche que voulait représenter Lucien Lux (non réélu). En toute logique, Dan Kersch devient donc ministre de l’Intérieur, de la Fonction publique et de la Réforme administrative.
C’est dans la circonscription Centre que le renouveau du LSAP, tant voulu par Etienne Schneider, est le plus évident : avec lui-même, fringuant quadra, qui reste ministre de l’Économie avec des compétences élargies aux Classes moyennes et au Tourisme, et reprend la Défense et la Sécurité intérieure du CSV, et, à ses côtés, Francine Closener en tant que secrétaire d’État à ce « superministère », la circonscription est représentée par deux nouveaux mandataires, qui succèdent aux historiques Krecké-Goebbels-Delvaux-Fayot. Si Schneider sortait largement premier des urnes le 20 octobre, la vraie surprise est celle de l’arrivée de Francine Closener, qui, cinquième après Marc Angel, Franz Fayot et Cécile Hemmen, aurait sinon à peine réussi à devenir députée. Mais ce fait du prince a une certaine tradition dans la formation des gouvernements, la nomination de Jean-Louis Schiltz (CSV) en 2004, alors huitième au Centre, avait fait bien plus de remous à l’époque.
Francine Closener, quadra comme lui et ancienne étudiante à Bruxelles à la même époque qu’Etienne Schneider, est une proche du ministre qu’elle secondera désormais (sans droit de vote au conseil des ministres). L’ancienne journaliste politique de RTL, où elle a travaillé durant vingt ans, est nouvelle au LSAP, qu’elle a rejoint cet été seulement, à la demande d’Etienne Schneider et en vue de devenir candidate. Généraliste comme tous les journalistes au Luxembourg, elle n’a pas de connaissances particulières ni en Économie, ni en Défense, mais son métier lui a appris les rouages du pouvoir, affirma-t-elle à la télévision mercredi. Le fait qu’elle soit une femme a certainement parlé pour elle, car le LSAP moderne et dynamique d’Etienne Schneider ne pouvait se présenter avec une seule femme dans son équipe gouvernementale.