Ces dernières années, les établissements bancaires européens ont eu massivement recours aux marchés pour financer leurs crédits, grâce au développement de la titrisation. Cette évolution a eu pour conséquence le ralentissement de la collecte des dépôts, au profit du développement des opérations sur titres. La capacité d’un établissement à faire croître son ratio de crédits sur dépôts était alors considérée par les analystes comme un critère important de la performance des banques. La crise remet en question cette stratégie ainsi que le rôle de l’innovation financière dans le fonctionnement des marchés financiers. En effet, la complexité des produits structurés, conséquence directe de l’opacité provoquée par la titrisation, rend difficile la connaissance de l’exposition réelle des banques à ces produits. D’autre part, la baisse de certaines notations par les agences a accentué la perte de confiance dans les institutions financières, provoquant une incapacité croissante pour les banques à se refinancer à un coût raisonnable. Cette crise de liquidité a débouché sur une diminution drastique des crédits accordés, facteur majeur de propagation de la crise financière à la crise de l’économie réelle.
Les premières banques affectées par la crise ont été celles qui disposaient de peu de dépôts de clients, c’est-à-dire l’ensemble des établissements ayant une forte dépendance vis-à-vis des financements de marché, en particulier les banques d’investissement américaines (Lehman Brothers…). Une des préoccupations des instances de régulation bancaire fut alors d’examiner si les grandes banques européennes les plus exposées aux produits sophistiqués ont été confrontées à un problème de liquidité ou de solvabilité. La réponse à cette question n’est pas évidente car les événements qui modifient brutalement la liquidité et la solvabilité sont souvent étroitement liés et difficiles à dissocier. Pourtant, pour assurer le bon fonctionnement du système bancaire, il est essentiel de distinguer les difficultés des banques qui proviennent d’une crise de liquidité (qui nécessite un ajustement conjoncturel) de celles qui sont la conséquence de leur insolvabilité (c’est-à-dire l’incapacité de faire face à ses engagements).
La solvabilité d’une banque est mesurée par divers ratios de fonds propres, généralement dérivés des ratios réglementaires. Le ratio de capitalisation calculé comme la totalité des actifs rapportés aux capitaux propres, peut être considéré comme une mesure du risque d’insolvabilité étant donné que la substitution des dettes par des capitaux propres réduit la probabilité de faillite et diminue le coût des fonds empruntés.
Le ratio de capitalisation a touché son point le plus bas en octobre 2008 au moment de la crise. Désormais l’exigence des investisseurs sur le niveau des ratios de solvabilité a fortement augmenté, mais on observe toutefois des disparités de progression selon les pays. En 2012, en moyenne, ce ratio est de 7,49 pour cent en Irlande (+81,35%), de 8,57 en Belgique (+69,36%), de 8,17 en France (+12,22%), de 7,91 pour cent au Luxembourg (+48,68%). Le montant des fonds propres disponibles pour absorber les pertes sur prêts, a connu également une contraction dans l’ensemble des pays européens en 2008 (47,27% en moyenne par exemple au Luxembourg). L’analyse des grandes tendances de comportement des principales banques (en termes de total des titres) domiciliées au Luxembourg, montre au moment de la crise, une dégradation du levier financier et une contraction des actifs notamment pour la BIL et BGL BNP Paribas. Depuis octobre 2008, avec le phénomène de recapitalisation bancaire et la restriction des prêts bancaires, ce ratio de solvabilité s’est amélioré et a retrouvé son niveau de l’été 2008. Ce ratio a progressé à 16,95 pour cent en 2013 pour la BGL contre une progression à 7,91 pour cent pour Espirito Santo et à 5,94 pour cent pour la BIL. Si l’on compare le rythme de croissance de ce ratio, on s’aperçoit que celui-ci augmente de 94,82 pour cent entre 2005 et 2013 pour la BGL contre 73,46 pour cent pour Espirito Santo et 83,33 pour cent pour la BIL.
Les fonds propres contribuent à absorber les pertes imprévues des banques mais un renforcement de leur ratio de solvabilité est-il une incitation suffisante à la prise de risque de liquidité ? Pour le vérifier nous avons calculé plusieurs indicateurs, en particulier le ratio du volume des prêts sur les dépôts clients. Nous constatons que celui-ci continue de progresser en moyenne, notamment au Luxembourg où il passe de 47,54 en 2005 à 95,25 pour cent en 2012. Ce ratio atteint son niveau le plus haut en 2008 pour la Deutsche Bank Luxembourg (206,61%). Le ratio diminue fortement après la crise en passant à 95,60 pour cent en 2013. Pour BGL BNP Paribas, il diminue également fortement. Il est de 72,31 pour cent en 2011 mais il repart à la hausse et atteint 136,95 pour cent en 2013. Un deuxième ratio concerne celui des actifs liquides sur les dépôts des clients et passifs court terme. La mesure de ce ratio est négativement reliée à la probabilité de faillite de la banque. Un volume important d’actifs liquides par rapport au montant des dépôts à vue et à terme, permettrait alors à la banque de faire face à des retraits anticipés ou non anticipés des déposants (bank-run). Pour les plus grosses banques (en termes de total des titres), domiciliées au Luxembourg, la moyenne de ce ratio passe de 67,07 pour cent en 2008 à 60,72 en 2012. On observe une croissance de ce ratio pour la Deutsche Bank (95,60% en 2013) mais une dégradation des conditions de liquidité pour la BIL (17,59% en 2013).
Rétrospectivement, ces différents éléments de mesure ont mis en évidence l’importance du rôle des dépôts clients pour apprécier le risque de défaillance d’un établissement bancaire. Ainsi dans son nouveau dispositif (Bâle III), le Comité de Bâle souligne la nécessité de mettre en place de nouvelles exigences de liquidité bancaires, en complément avec celles de fonds propres. Pourtant, des interrogations demeurent concernant l’efficacité de ce mécanisme prudentiel. Quelle est l’influence de ces déterminants microéconomiques sur les indicateurs de performance des banques? Ou précisément quel est l’impact des ratios de liquidité et de solvabilité sur la rentabilité des banques européennes dans la période récente ? Une réponse évidente est que plus le ratio de capitalisation est élevé, moins la banque sera risquée mais plus sa performance sera faible (Ayuso et al., 2002 ; Lindquist, 2004 ; Jokipii et Milne, 2008).
L’estimation d’une relation de type linéaire entre la performance des banques mesurée par la rentabilité des actifs (ROA) et la rentabilité des capitaux propres (ROE), et les déterminants internes de la banque, a permis de valider cette affirmation. Notre base de données est composée d’un panel de 1 857 banques commerciales, coopératives et d’épargne européennes sur la période 2005-2012. Nous distinguons les banques selon leur taille (en termes de total des titres) sachant que la taille de la banque a un effet significativement positif sur les marges d’intérêt nettes. Nos résultats démontrent que le ratio de capitalisation et le ratio des actifs liquides sur les dépôts des clients et passifs court terme, sont des variables significatives qui contribuent positivement à la performance mesurée par le ROA quelle que soit la taille de la banque. En effet, les banques ayant des ratios de capitalisation élevés peuvent être considérées comme moins risquées lors d’une perte ou d’une liquidation. Sur la période actuelle, un niveau de capitalisation élevé est une sécurité permettant aux banques de maintenir leur rentabilité.
Toutefois, le comportement de la banque vis-à-vis du risque dépend également de sa politique de gestion de liquidité. Plusieurs études (Bhattacharya et Thakor, 1993 ; Repullo, 2004 ; Diamond et Rajan, 2001 ; Bervas, 2008) ont montré qu’un ratio de capitalisation élevé constitue une condition de l’activité de création de liquidité. Ainsi, les fonds propres permettent de maximiser la prise de risque de la banque en contribuant à absorber les pertes imprévues. Mais des ratios de capitalisation élevés sont également des indicateurs d’un niveau de levier financier bas et d’une rentabilité des capitaux propres plus faible. Dans notre étude, nous observons que les ratios de capitalisation ont un impact positif et significatif sur la rentabilité des actionnaires des petites banques, mais non significatifs sur les grosses banques. De plus, le ratio fonds propres sur total des prêts nets a un impact négatif sur la performance des grosses banques. Cette observation révèle l’importance de l’effet de levier financier qui différencie les deux indicateurs de rentabilité et implique que les décisions d’investissement et de collecte de dépôts diffèrent selon la taille de la banque. On souligne ainsi que le ratio total crédits/total dépôts est significatif et contribue positivement à la rentabilité financière des banques de petite taille. Toutefois, un ratio élevé pour ces banques ne signifie pas l’insuffisance des dépôts par rapport aux crédits, mais plutôt l’importance en volume des crédits accordés par ces banques. L’hypothèse selon laquelle les banques de petite taille sont plutôt spécialisées en banque de détail en se finançant largement par des actifs liquides, est ainsi vérifiée. La rentabilité de ces banques est moins élevée que celle des grosses banques qui ont la possibilité d’accroître leur effet de levier, notamment en accordant un volume important de prêts et en ayant plus facilement accès au marché des produits. Cependant, au moment de la crise, les banques de petite taille ont été moins exposées aux problèmes de liquidité que les structures complexes, devenues moins vulnérables aux chocs des taux d’intérêt, mais plus sensibles aux chocs de crédit.
La problématique concernant la corrélation entre les activités de création de liquidité des banques et leur comportement en matière d’ajustements de capital, soulève ainsi un certain nombre de débats. L’incitation à la prise de risque de liquidité par les grosses banques, ou une augmentation de leur prédisposition à créer davantage de liquidité, n’entraîne pas forcément un renforcement de leur ratio de solvabilité. Les régulateurs et les banques font face à un compromis entre la stabilité financière et l’efficience des institutions financières. Le nouveau cadre de surveillance bancaire devrait mettre en place un système de règles en fonction de la prise de risques des institutions. Ce nouveau cadre législatif bancaire permettrait alors d'évaluer rapidement et efficacement les risques de crise systémique et permettrait un rééquilibrage entre les différentes institutions financières.