Confronté à la crise financière et à une pression internationale l’ayant conduit à renoncer partiellement à son secret bancaire, le Grand-Duché doit sans cesse relever de nouveaux défis. Or, comme l’a encore constaté la Commission européenne il y a peu, l’économie luxembourgeoise est « très dépendante de son secteur financier qui représente environ 30 pour cent de la richesse créée dans le pays et 25 pour cent des recettes fiscales collectées ».
Ce constat, devrait selon nous conduire à deux types de réflexion. D’une part, on peut s’interroger sur la pertinence à moyen et à long termes d’une telle dépendance. Dans un souci de diversification, le Luxembourg se positionne heureusement déjà sur des secteurs d’avenir comme le Cloud computing ou encore le Big data. Beaucoup reste cependant à faire dans ce domaine.
D’autre part, ce même constat devrait également inciter, à plus brève échéance, à s’interroger sur les moyens à même de préserver la compétitivité et l’attractivité de notre place financière en tant que secteur économique d’excellence.
La concurrence économique internationale, y compris fiscale, n’a sans doute jamais été aussi forte qu’aujourd’hui. Les données récemment publiées par l’OCDE le démontrent. Entre la fin des années 1980 et 2012, la moyenne des taux d’imposition sur le bénéfice des sociétés au sein des États membres de l’OCDE est passée d’environ 47 pour cent à moins de 30 pour cent. En Irlande, par exemple, ce taux a chuté d’environ 50 pour cent en 1987 à 12,5 pour cent depuis 2003 et, malgré les difficultés économiques actuelles, le pays a récemment réaffirmé sa volonté de préserver son attractivité en maintenant son taux d’imposition à 12,5 pour cent. Le Royaume-Uni a, pour sa part, annoncé une réduction de son taux à 20% à compter de 2015 alors que celui-ci était encore de 23 pour cent en 2013 (et de 28 pour cent en 2010-2011). En comparaison, le taux global de 29,22 pour cent applicable au Luxembourg est donc loin d’être parmi les plus avantageux.
Cependant, dans le sillage de la crise financière, la pression internationale exercée par la Commission européenne et l’OCDE depuis quelques mois, visant à renforcer la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, va entrainer un inévitable chamboulement des règles fiscales internationales. Ce phénomène a été amplifié par les nombreuses affaires de supposée évasion fiscale impliquant des personnalités célèbres ou de grandes entreprises qui ont fait la une de la presse internationale et ont contribué à placer les sujets complexes de la transparence et de la moralité fiscales au cœur du débat public. La majorité des États occidentaux en a d’ailleurs déjà subi les conséquences. C’est également le cas du Grand-Duché pour lequel la remise en cause du secret bancaire représente une véritable révolution.
À cet égard, la transposition au printemps dernier de la première partie de la directive sur la coopération administrative a constitué une première évolution majeure en renforçant les procédures d’échange d’informations sur demande et spontané. Qui plus est, alors que la seconde partie de cette directive prévoyant un échange automatique d’informations sur les salaires, tantièmes et les pensions n’a pas encore été transposée (un projet de loi en ce sens a été déposé le 4 octobre dernier) la Commission a déjà proposé d’étendre son champ d’application aux dividendes et plus-values dans le sens d’un « Fatca européen ».
Une autre étape cruciale vers l’abandon partiel du secret bancaire a été franchie lorsque le Premier ministre Juncker a annoncé l’introduction au 1er janvier 2015 de l’échange automatique d’informations sur les paiements d’intérêts dans le cadre de la directive épargne.
Rappelons enfin l’existence d’un autre projet de la Commission, datant de 2008, mais tout récemment réactivé, visant à étendre significativement le champ d’application de la directive épargne.
C’est dans ce contexte délicat que se pose aujourd’hui pour le pays la question de ses futurs leviers de croissance et de compétitivité. Le Luxembourg doit relever ce défi et réfléchir aux moyens de promouvoir un environnement juridique, réglementaire et fiscal moderne et innovant, tout en demeurant respectueux des standards internationaux. L’acceptabilité internationale des décisions prises au niveau national est en effet devenue un défi majeur qu’il n’est plus possible d’ignorer. Pour ce faire, une vision stratégique à long terme est impérative. Certains États, comme le Royaume-Uni ou l’Irlande, l’ont déjà bien compris. La Suisse, pourtant attaquée peut-être encore davantage que le Luxembourg, s’est également lancée dans une réflexion d’envergure pour aboutir à une refonte globale de son système fiscal en vue de maintenir sa compétitivité.
Il est, par ailleurs, important de s’assurer de la continuité du message qui est véhiculé aux investisseurs étrangers et de la stabilité et prévisibilité du cadre juridique, réglementaire et fiscal du pays. On ne peut que constater que la crise financière a mis un coup d’arrêt à l’élan positif de la politique fiscale du pays.
En effet, alors que le gouvernement avait jusqu’alors introduit différentes mesures attractives pour les investissements internationaux (e.g. réduction du taux d’imposition, abolition du droit d’apport), cette dynamique n’a pas perduré. Bien au contraire, alors que le gouvernement évoquait en 2009 un objectif de ramener le taux d’imposition global des sociétés proche des 25 pour cent, celui-ci a, au contraire, été augmenté à 28,80 pour cent en 2011 puis 29,22 pour cent en 2013. En outre, un impôt sur les sociétés minimum a été instauré en 2011, avant d’être doublé dès 2013.
Sans doute des solutions devaient-elles être trouvées pour préserver l’équilibre des finances publiques, mais les décisions prises ont brouillé le signal envoyé aux investisseurs.
Le tableau qui peut être dressé de la politique fiscale des dernières années n’est certes pas entièrement noir. Le Luxembourg a, par exemple, profité de la transposition de la Directive AIFM pour mettre en place un régime fiscal favorable pour les investissements de type « private equity ». Plus récemment, le projet de loi sur la fondation patrimoniale s’est également révélé intéressant. Toutefois, ces mesures ne contrebalancent pas la nécessité d’une vision stratégique globale à propos du système fiscal luxembourgeois.
Il est aujourd’hui temps de lancer un réel mouvement de réflexion sur la modernisation de la législation fiscale du pays avec comme objectif prioritaire la réforme de la fiscalité des entreprises, tout en veillant à l’introduction de mesures fiscales compétitives et acceptables internationalement.
– une réduction du taux d’imposition global des sociétés ;
– l’amélioration du régime de propriété intellectuelle afin d’attirer les activités de recherche et de développement et favoriser l’innovation au Luxembourg ;
– l’abolition de l’impôt sur la fortune ou, à tout le moins, l’introduction d’un régime d’intégration fiscale en la matière ;
– l’introduction d’un régime fiscal de déduction d’intérêts notionnels afin d’attirer de nouvelles activités au Luxembourg, comme les centrales de trésorerie, mais également de favoriser le renforcement des fonds propres des sociétés ;
– un assouplissement du régime mère-filles de droit interne (et notamment les conditions d’exonération de retenue à la source sur les distributions de dividendes), ou encore
– un renforcement des règles de substance et de prix de transfert.
Certes, les contraintes budgétaires ne peuvent pas être ignorées, et rétablir l’équilibre des finances publiques n’est ni optionnel, ni négociable. Néanmoins, dans le cadre de la réflexion globale et stratégique que nous appelons de nos vœux, cette réforme peut avoir lieu à budget constant. En effet, les investissements étrangers contribuent largement à la prospérité du Luxembourg et une part importante de ces investissements est générée par le secteur financier. C’est donc en favorisant l’arrivée de nouveaux acteurs au Luxembourg grâce à un environnement fiscal compétitif, tout en permettant aux entreprises déjà implantées au grand-duché de croître et de prospérer, que l’on s’assurera des recettes fiscales permettant de compenser et financer un système fiscal moderne et attractif. Les exemples irlandais et britanniques démontrent la pertinence de cette démarche.
Face aux défis présents et à ceux qui s’annoncent à brève échéance, face également à la compétition économique internationale qui fait rage, y compris entre partenaires européens, l’heure n’est plus à l’hésitation, ni aux demi-mesures. Il est, au contraire, urgent d’agir et de donner un signal clair aux investisseurs. L’absence d’anticipation suffisante quant au devenir de la place financière et du Luxembourg, en se voilant la face au sujet des réformes d’ampleur qui sont indispensables pour garantir sa prospérité dans les années à venir, serait le pire des scenarios pour le grand-duché.