« La liberté est la règle et la restriction, l’exception », écrivent les conseillers d’État dans leur avis sur le projet de loi n°7606 devant de prolonger certaines mesures dans le cadre de la lutte contre le Sars-Cov-2. Ils résument ainsi tout l’esprit du moment. Mercredi 24 juin viendra automatiquement à échéance l’état de crise instauré par la loi du 24 mars. Depuis plusieurs semaines, le nombre de nouvelles infections au Covid-19 s’est stabilisé à moins d’une dizaine par jour ; dans le cadre du large scale testing, plus de 50 000 personnes jusqu’à présent, seulement une douzaine se sont révélées positives au coronavirus.
Il fait beau, nous sommes dans cet important moment de l’année où normalement, toute la nation célèbre durant une semaine l’arrivée de l’été, entre Fête de la musique et Fête nationale. Les gens ont soif de liberté. Et pourtant, il est encore trop tôt pour la frénésie, s’acharnent à mettre en garde les scientifiques : cette semaine, après une phase d’insouciance sans nouvelles infections, Beijing retourne en confinement, après une centaine de nouveaux cas déclarés en une semaine, visiblement tous liés à un marché. Au Luxembourg, l’économie peine à se relever des deux mois d’arrêt total et les milieux d’affaires avertissent qu’elle ne survivrait pas à un deuxième lockdown.
Entrer en confinement était facile : le 16 mars, tout était fermé ; le 18 mars, un règlement grand-ducal déclara l’état de crise, qui fut prorogé par une loi votée trois jours plus tard. Il s’agissait alors surtout de sauver des centaines, voire des milliers de vies humaines en interrompant les chaînes de propagation du virus, et tous les partis politiques firent front commun. Le Premier ministre Xavier Bettel (DP) était au plus fort de sa forme en appelant à « l’union nationale » avec une rhétorique basique faite de messages d’empathie et d’appels à la solidarité. Bettel s’érigea en une sorte de deuxième grand-duc, aux missions représentatives avant tout, allant visiter les Centres de soins avancés et les services d’urgence, remerciant les travailleurs et travailleuses systémiques et promettant des aides à grandes brassées.
Mais maintenant que l’état de crise se termine, l’union nationale s’effrite avec l’urgence sanitaire. L’opposition politique et les institutions se sont réveillées et critiquent vertement les mesures trop invasives prévues dans le projet de loi sur la sortie de crise – comme l’hospitalisation forcée d’un malade – ou le manque de précision des textes législatifs déposés fin mai. Au lieu d’écrire une loi pandémie, qui aurait modernisé la législation de 1885 sur les maladies contagieuses ou celle de 1980 sur les attributions de la Direction de la Santé, le gouvernement a fait un simple copier-coller de celles des mesures encore en vigueur, instaurées par les nombreux règlements (gestes barrières, distanciation sociale, interdiction de rassemblements au-delà de vingt personnes ou des discothèques…) De toutes façons, cette loi n’a qu’une durée limitée d’un mois.
Plusieurs ministres, dont Bettel lui-même, ont concédé en public ou en coulisses qu’il s’agissait de mauvais textes, que de nombreux intrevenants essaient de préciser dans leurs avis, car il en va du respect de l’état de droit. Le souverain qu’est le citoyen avait concédé de voir ses libertés fondamentales limitées afin que la santé publique puisse être garantie. Il est en train de reprendre la main, de se méfier des virologues et des conseillers économiques qui avaient joué la carte du pragmatisme et de la rapidité d’action pour gérer la crise. Il est désormais vital pour la cohésion nationale et pour faire taire les milieux conspirationnistes (tout ça n’est que de l’enfumage pour, au choix, installer la 5G, servir Bill Gates, nous imposer des vaccins ou faire allégeance à la Chine), que le pouvoir revienne pleinement aux citoyens. Lundi matin, 22 juin, la Chambre des députés devra faire un sans fautes pour prouver sa capacité de représenter dignement le peuple souverain.