Phase 4 « Nous allons abandonner les restrictions légales », annonce le Premier ministre Xavier Bettel (DP) en regardant droit dans la caméra lors d’une conférence de presse sur la quatrième phase du déconfinement ce mercredi soir. Et que les interdits seront remplacés par « de fortes recommandations ». Par exemple de respecter les gestes barrières et la distanciation sociale. Les rassemblements de plus de vingt personnes et les tablées de plus de dix sont désormais possibles, en privé et en extérieur sans masques ; en public avec places assises assignées et distances de deux mètres ou port du masque (cinéma, théâtre, concert…), les compétitions sportives (sans contact), ainsi que les foires ou salons en extérieur redeviendront possibles – mais pas de Schueberfouer pour autant, la plupart de ses manèges et restaurants étant des structures fermées. Le ministre de l’Éducation nationale Claude Meisch (DP) explique les allègements pour les enfants (voir ci-contre), tout indique un retour à la normale. Tout, sauf la pression des syndicats. Des négociations avec les partenaires sociaux, qui ont eu lieu le matin même en bipartite à Senningen et la veille au comité de conjoncture, Xavier Bettel ne dit… rien. « Je laisse à Dan Kersch le soin de communiquer à ce sujet ».
3 syndicats Flash-back à lundi 8 juin. Dans le nouveau bâtiment de la Chambre des salariés à Bonnevoie, le président du LCGB Patrick Dury, sa consœur de l’OGBL Nora Back et celui de la CGFP Romain Wolff ont l’air grave alors qu’ils attendent l’heure de début d’une conférence de presse commune. L’« union nationale » invoquée par le gouvernement devant le Parlement lors de la déclaration de l’état de crise, le 18 mars, est pour eux aussi celle « vun de schaffende Leit ». « Les grandes sociétés de consultance ont été associées à la mise en place de la stratégie de sortie de crise, s’offusque Romain Wolff, alors que nous avons appris par pur hasard que le gouvernement travaillait à l’élaboration d’une ‘loi pandémie’. Le dialogue social aurait dû être mené beaucoup plus tôt ! » « Nous avons notre rôle à jouer dans la gestion de cette crise », ajoute Nora Back. Les syndicats fustigent un pilotage à vue de la part du gouvernement et craignent que la crise sanitaire ne se transforme en crise sociale. « Nous devons à tout prix éviter que le chômage partiel ne se transforme en chômage de masse », met encore en garde Back. En faisant bloc, et ce malgré la situation foncièrement différente entre les salariés du secteur privé et ceux du secteur public durant cette crise, les syndicats font pression sur le gouvernement pour qu’il les associe à nouveau. De préférence en ayant recours à l’instrument historique du dialogue social au Luxembourg : le comité de coordination tripartite. Et ça marche : lors des discussions en bipartite ce mercredi à Senningen, une réunion de la tripartite a été annoncée pour début juillet, après la fin de l’état de crise.
1 000 000 000 euros Le principal point d’achoppement entre partenaires sociaux est l’équation financements publics-maintien dans l’emploi. Sous la pression du patronat, le gouvernement a permis la réouverture des chantiers après un mois de lockdown, le 20 avril déjà. Ne pouvant pas (ou seulement de manière partielle) avoir recours au télétravail, les secteurs de la construction, du commerce ou de l’horeca furent le plus durement touchés par le confinement total. Un tiers du salariat, à l’exception de la fonction publique et du secteur financier, se retrouva en chômage partiel durant les mois de mars et avril, écrit le Statec dans sa Note de conjoncture présentée hier, jeudi. Avant la réouverture des chantiers, 165 000 personnes se retrouvaient en inactivité, entre chômage partiel et congé pour raisons familiales, pour un coût estimé à un milliard d’euros pour l’État, selon le Statec. Grâce à ces mesures, l’augmentation du chômage a pu être limitée, à 6,9 pour cent, frappant en premier lieu l’emploi intérimaire. Mais, ajoute l’office public des statistiques, un quart de la population s’inquiète désormais pour la sécurité de son emploi.
80% Si le gouvernement veut freiner les coûts exorbitants du chômage partiel, alors que tous les secteurs économiques sont déconfinés, la question qui est discutée en coulisses est du niveau de l’ingénierie des mécanismes d’aides et des obligations liées aux aides financières directes de l’État. Est-il par exemple possible d’avoir recours au chômage partiel et d’être ainsi déchargé du payement des salaires de ses employés en inactivité tout en prévoyant des licenciements ? Une première version du nouveau régime, qui sera mis en place à partir de juillet, ne l’excluait pas pour 25 pour cent des salariés. Les syndicats s’y opposent virulemment et préconisent d’autres solutions lorsque des restructurations s’imposent : plans sectoriels de maintien dans l’emploi ou prêts de main d’œuvre, afin que les compétences ne se perdent pas. Le gouvernement les a au moins partiellement suivis sur ce point-là.
Ce que l’on sait cette semaine, c’est que les modalités d’urgence à charge administrative allégée du mécanisme « cas de force majeure Covid-19 » viendront à échéance avec la fin de l’état de crise le 24 juin. Ces trois derniers mois, et afin de garantir leurs liquidités, les entreprises se voyaient verser les 80 pour cent des salaires de leurs employés en inactivité en avance, sur base de moyennes de salaires estimées. Dans les prochaines semaines, les deux côtés devront faire les décomptes précis et des remboursements s’imposeront très certainement, de l’ordre de plusieurs centaines de millions d’euros, selon certaines sources. Les négociations qui échauffèrent les syndicats cette semaine concernaient les modalités de la continuation d’une forme plus nuancée de chômage partiel, adaptée aux besoins de différents secteurs jusqu’à la fin de l’année.
L’accord négocié au comité de conjoncture mardi et adopté par le conseil de gouvernement ce mercredi propose désormais quatre cas de figure : premièrement les entreprises industrielles qui continueront de profiter de la possibilité du chômage partiel conjoncturel pour faire face aux perturbations des marchés, mais elles ne pourront alors pas licencier. Deuxièmement et typiquement, les entreprises des secteurs dits vulnérables, soit ceux qui ne peuvent pas retourner à une activité normale comme les mesures sanitaires leur imposent de fortes limitations de leurs activités – l’hôtellerie et la restauration ainsi que le tourisme, qui peuvent accueillir moins de clients, voire l’événementiel, qui ne peut pas fonctionner jusqu’à nouvel ordre. Elles pourront avoir recours à une procédure accélérée au chômage partiel structurel et licencier jusqu’à un quart de leurs effectifs pour raisons économiques, tout en s’engageant à les réembaucher si elles reviennent « à meilleure fortune ». La troisième catégorie concerne les entreprises autres, qui peuvent avoir recours au chômage partiel structurel dans une procédure accélérée pour un pourcentage dégressif d’un quart de leurs employés en juillet et août, puis vingt, puis quinze pour cent à la fin de l’année, ceci afin d’éviter les licenciements. Et quatrièmement, au-delà du quart des personnels en chômage partiel dans les secteurs vulnérables, ces entreprises devront avoir recours aux mécanismes classiques de restructuration, avec négociation de plans de redressement ou de maintien dans l’emploi. Les conséquences de la crise sur le chômage seront ainsi atténuées, ou du moins étirées dans le temps.
260 millions En parallèle, le ministre des Classes moyennes Lex Delles (DP) vient de déposer le projet de loi sur la mise en place d’un Fonds de relance et de solidarité, que la Commission européenne a approuvé le 2 juin. « La Commission a conclu que les mesures étaient nécessaires, appropriées et proportionnées pour remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État-membre », écrit-elle dans sa prise de position. Le projet de loi déposé le 8 juin prévoit des aides directes mensuelles aux entreprises subissant une perte de leur chiffre d’affaires entre juin et novembre d’au moins 25 pour cent et qui n’ont pas licencié plus d’un quart de leur personnel. Afin qu’elles soutiennent le maintien dans l’emploi, ces subventions seront directement liées au nombre de salariés à temps plein : jusqu’à 1 250 euros par salarié en activité et jusqu’à 250 euros par salarié en chômage partiel pour le mois durant lequel l’aide est sollicitée. L’aide directe ne peut pas dépasser 800 000 euros par entreprise et est liée non seulement au chiffre d’affaires, mais aussi aux secteurs vulnérables – une liste exhaustive en énumère 25, de la pension pour animaux aux commerçants forains. À cela s’ajoute une aide directe pour micro- et petites entreprises.Cette enveloppe globale de 260 millions d’euros avalisée par Bruxelles devra aider à passer l’année. Sans perspective sur 2021, qui, même pour le Statec, est encore entourée de beaucoup d’incertitudes.