La question récurrente de l’impartialité des statistiques européennes fait débat depuis 2004, lorsque les manipulations de ces données ont été révélées dans le cas de la Grèce. Depuis, divers chantiers ont été mis en place afin de renforcer la fiabilité de ces statistiques et l’indépendance des organismes qui les produisent, tant au niveau national que sur le plan européen. Cependant, malgré ces efforts, des problèmes demeurent pour la Cour des comptes de l’UE, qui a évalué, dans un rapport publié le 21 septembre, le processus de production de ces statistiques.
Les politiques européennes sont de plus en plus tributaires des statistiques sur lesquelles se fondent les prises de décision ou de sanction, par exemple pour déficit excessif à l’encontre de certains États qui ne dépassent les plafonds déterminés. « Malgré les avancées significatives ces dernières années, il reste des points qui posent problèmes dans la production de statistiques crédibles et fiables », a déclaré, lors d’une conférence de presse, Louis Galea, membre de la Cour de comptes en charge du rapport.
Au cœur du système statistique européen se trouve l’office européen statistique, Eurostat, qui est une direction générale de la Commission basée à Luxembourg d’environ 800 personnes. Sa mission principale consiste à traiter et à publier des informations statistiques comparables au niveau européen. Pour ce faire, Eurostat s’appuie sur les données collectées et analysées par les instituts statistiques des États membres qui, avec lui, composent le Système statistique européen( SSE).
Le rapport de la Cour s’attache, non à la fiabilité des données statistiques, mais à leur production, qui conditionne leur impartialité et leur fiabilité, a encore précisé le magistrat et à la part prise par la Commission et Eurostat dans le renforcement de cette confiance en les statistiques européennes.
Pour faire cette évaluation, la Cour a passé au crible l’architecture qui encadre cette production statistique européenne. Elle se compose d’abord de l’article 338 du Traité sur le fonctionnement de l’UE, qui précise les normes présidant à la réalisation de statistiques au niveau de l’UE : impartialité, fiabilité, objectivité, indépendance scientifique... Puis un règlement du Parlement européen et du Conseil, dont la dernière modification date de mars 2009, définit ces principes et les contours de la production et la diffusion des données, puis établit le fonctionnement d’Eurostat et des autres organes impliqués. Ensuite, sur la base de ces principes, un code de bonnes pratiques de la statistique européenne, adopté en le 24 février 2005, précise la manière dont les statistiques doivent être développées, produites et diffusées. La Commission propose en outre un programme d’action quadriennal, l’actuel couvre la période 2008-2012 ; le suivant 2013-2017 est en discussion.
Code de conduite inappliqué
Concernant le code de bonnes pratiques, la Cour des comptes conteste l’approche trop coopérative de la Commission avec les instituts nationaux et pas assez coercitive. Elle prône une modification du règlement de 2009 pour y inclure la possibilité d’inspections lorsqu’il y a doute sur les déclarations fournies par un institut d’un État membre (à l’instar de ce qui existe à ce jour pour la seule procédure de déficit excessif, une procédure qu’elle estime trop limitée par les circonstances exceptionnelles requises pour la déclencher). « Il s’agit là d’une question politique, le code comporte des parties contraignantes et il faut les faire appliquer ». Le rapport note que l’indépendance professionnelle de certains d’entre eux pose problème (absence de législation garantissant l’indépendance, révocation de dirigeants d’INS après une élection, budgets trop conditionnels…).
Un autre point d’achoppement : Eurostat n’applique pas lui-même le code de bonnes pratiques à plus d’un titre. Son budget est encore trop lié à d’autres services de la Commission qui lui octroient des subsides pour certaines statistiques spécifiques (dans le secteur agricole par exemple). Pour respecter le principe d’indépendance professionnelle et d’adéquation des ressources, la Cour enjoint donc la Commission de mettre fin à ces subsides. De plus, les procédures de recrutement et licenciement de son directeur général doivent garantir l’indépendance de celui qui est institué « statisticien en chef de l’UE ». Les amendements proposés par la Commission le 17 septembre sur ce point vont dans le bon sens, reconnait la Cour des comptes.
Mauvais suivi
La Cour épingle par ailleurs le programme statistique 2008-2012, qui définit les objectifs de production et de diffusion des statistiques, car Eurostat ne l’a pas conçu comme un outil de planification, de suivi et de responsabilité efficace. Elle préconise de définir des valeurs cibles et des étapes précises dans un rapport d’étape annuel, d’introduire plus de flexibilité en cas d’évolution majeure et de procéder à des évaluations régulières des objectifs et des coûts. Car le coût global de la production des statistiques européennes n’est pas connu.
Le rapport reconnait que la gestion financière du programme a été améliorée par des contrôles ex- ante des subventions versées par Eurostat à des contractants externes, mais suggère davantage de rigueur dans le processus. Il recommande enfin des pistes pour que les marchés publics passés par l’office européen soient plus concurrentiels, notamment par la suppression de seuils minimaux dans des critères d’attribution.
Ce rapport va donner du grain à moudre au Parlement et au Conseil, qui discutent notamment du prochain programme statistique pour 2013-2017.
Sophie Mosca
Catégories: L'Union
Édition: 28.09.2012