TTV

Rideau

d'Lëtzebuerger Land du 15.03.2007

La chaîne de télévision généraliste TTV, filiale de Tele2 (groupe Kinnevik) arrête brutalement ses émissions ce vendredi 16 mars après une troisième tentative de relance et une nouvelle équipe dirigeante depuis le printemps 2006. Lâchée par son actionnaire suédois, TTV disparaît en laissant derrière elle 21 salariés et autant de pigistes et un trou qui avoisine les 20 millions d’euros.

La mort de la chaîne, qui n’est jamais parvenue à s’imposer commeun concurrent sérieux de RTL Télé Lëtzebuerg, démontre qu’il n’y a pas de place pour une seconde chaîne généraliste au Grand-Duché.Le concept de cette télévision opérant sous le nom de TTV depuis novembre 2004, après avoir initialement existé sous celui de Tango TV (chaîne musicale destinée aux jeunes), reposait sur l’intégration des activités de téléphonie, de télévision et de radio via l’UMTS. La convergence n’est jamais venue. La TV, voulue par le fondateur de Kinnevik, Jan Stenbeck, décédé en août 2002, l’année de sa création, était à vendre depuis des mois – tout comme l’est une partie du réseau de téléphonie de Tele2 en Europe, le groupe se recentrant désormais sur l’Europe du Nord – mais les négociations avec des repreneurs n’ont pas abouti. Kinnevik, désormais accroché à son cours de bourse et à des résultats à court terme, ne pouvait plus se permettre de maintenir intact l’héritage Stenbeck, cinq ans après son décès. L’attachement du fondateur à une activité opérationnelle au Luxembourg, à côté de la gestion des nombreux holdings du groupe au Grand-Duché, n’est plus qu’un lointain souvenir.

La troisième chance donnée à TTV avec la nomination d’Yves Gordet à sa tête en mai 2006 n’a pas trompé grand monde. La station déjà moribonde ne pouvait pas rebondir faute de moyens financiers pour étoffer sa grille de programmes et améliorer sa visibilité auprès du public qui la boudait tout autant que les annonceurs réticents à sponsoriser des émissions en quête tant de public etque de cohérence. 

Tele2 n’a donc rien fait depuis la rentrée de septembre pour tendre le bras à une entreprise qui avait sombré dans le gouffre déjà du temps de son précédent directeur Antoine Santoni, débarqué au printemps 2006 dans des conditions déplorables, après un audit de la firme KPMG. Le recrutement de commerciaux avait été gelé, l’équipe marketing se réduisant à une seule personne. Les frais de fonctionnement tournaient autour de 250 000 euros par mois, sans rentrées publicitaires ni subventions publiques. 

Les dirigeants de TTV ont pourtant tenté leur chance auprès des autorités luxembourgeoises pour obtenir des aides ou du moins faire en sorte que sa concurrente RTL n’en ait plus. La manière dont ce dossier fut négocié fut toutefois pitoyable. Le 23 décembre 2005, après des premiers contacts infructueux et le forcing auprès du ministre des Communications, Everyday Media, la société exploitante de TTV, lance carrément l’offensive auprès du Premier ministre. Jean-Claude Juncker reçoit ainsi par porteur une « plainte » rédigée par un cabinet d’avocat bruxellois. Les dirigeants de TTV y affirment être victimes de distorsions de concurrence en raison du traitement de faveur accordé à RTL Télé Lëtzebuerg, en position de monopole sur le marché luxembourgeois. « Mon client, souligne la plainte dont le Land s’est procuré une copie, ne peut que déplorer l’existence et le maintien de ces distorsions de concurrence alors que son entrée sur le marché devait précisément introduire un peu de concurrence dans le paysage audiovisuel luxembourgeois et contribuer à la pluralité des médias ».

La plainte s’appuyait sur des arguments juridiques assez sérieux au regard du droit communautaire, en pointant notamment du doigt l’absence d’appel d’offres dans le cadre du contrat de concession pour une chaîne de TV de service public avec le groupe RTL ou le renoncement de l’État depuis 1995 à la perception de la redevance (comparable, selon l’avocat à une« exemption de taxe »). 

« La reconduction automatique des différents contrats prévoyant la fournituredu servicepublic par CLT-UFA, ainsi que l’attitude protectrice de l’État vis-à-vis de CLTUFA constituent des ‘avantages évidents’ et non justifiés de CLT-UFA sur TTV et partant une violation des articles 86, paragraphe 1 et 82 CE » indiquait à la veillede Noël 2005 l’avocat. Il citait en outre des décisions de la Commission européenne, qui avait demandé à l’Allemagne, à l’Irlande et aux Pays-Bas de clarifier le financement desorganismes publics de radiodiffusion et de s’expliquer sur les mécanismes de prévention de surcompensation des activités de service public. 

Toutefois, la « plainte » fit long feu et n’aboutit jamais sur les bureaux des services de la concurrence à Bruxelles. Jean-Claude Juncker dédaigna d’ailleurs accorder un entretien aux dirigeants de la chaîne privée. Les ennuis deTTVont d’ailleurs commencé audébut de l’année 2006, suite à des accusations de harcèlement du personnel, avec l’envoi de douaniers et d’agents de l’Inspectiondu travail et des mines qui ont épluché les fiches de congés et desheures supplémentaires depuis 2003. 

Ce sont aujourd’hui les syndicats qui vont leur succéder dans les studios de l’entreprise pour négocier un plan social.

 

Véronique Poujol
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