Maison de poupée

Poupée de cire, poupée de son

d'Lëtzebuerger Land vom 05.10.2000

Nora, ce jour-là, lorsque nous faisons sa connaissance, est gaie comme un pinson. Sur la musique fifties que hurle son pick-up, elle montre fièrement ses achats de Noël à Thorvald, son banquier de mari. Il l'appelle par des noms d'animaux, « mon alouette », « mon écureuil » mais surtout « mon étourneau ». Tout le monde la croit encore une enfant, étourdie, gâtée, naïve et un peu vaine. « Oh mon Dieu ! Que c'est bien de vivre et d'être heureux, » se vantera-t-elle auprès de son amie d'enfance beaucoup moins bien lotie, Christine. 

La maison de poupée raconte le long et douloureux cheminement d'une femme qui essaye de se libérer de l'oppression sociale, du carcan des bienséances bourgeoises. En 1879, le Norvégien Henrik Ibsen créa une femme qui est tellement opprimée qu'elle en devient avide de liberté et de réalisation de soi, à tel point qu'elle abandonnera mari et enfants pour y parvenir. « Je ne suis pas optimiste sur son futur, estime Marja-Leena Juncker, qui met en scène La maison de poupée au Théâtre des Capucins. Elle souffrira certainement de cette culpabilité d'avoir quitté ses enfants. Même aujourd'hui, ce n'est pas évident pour une femme de faire ça, alors que les hommes le font tout le temps. »

Le Théâtre du Centaure et le Théâtre des Capucins, qui coproduisent le spectacle, ont choisi de placer leurs programmations 2000/2001 sous le signe des droits de la femme. Pourquoi ? « Je suis choquée de voir comment une femme est traitée encore aujourd'hui, affirme Marja-Leena Junker, même si les discriminations sont souvent plus subtiles. J'ai envie de monter des pièces qui me touchent. Il y a encore beaucoup de choses à faire... » Pour cette production, elle s'est entourée de femmes : une assistante (Silvana Pontelli), une dramaturge (Carole Lorang), une décoratrice (Jeanny Kratochwil), une costumière (Ulli Kremer) : « J'aime bien travailler avec des femmes ».

Et puis surtout, il y a la liaison très forte avec sa Nora, Myriam Muller, qui a débuté dans la classe d'art dramatique de Marja-Leena Juncker lorsqu'elle avait 17 ans ; depuis, elles ne se sont plus quittées. Agnès de Dieu, Phèdre, Marie, et maintenant Nora, Marja-Leena Junker lui offre des rôles de rêve. « Pour moi, Myriam est un cadeau. Elle comprend ce que je veux, on se fait confiance, » dit la metteuse en scène. Pour le rôle, Myriam Muller s'est teinte en blond scandinave, et leur complicité se fait ressemblance. Sur scène, elle est accompagnée par une équipe intéressante : Christian Kmiotek, Sonja Neuman, Monique Reuter qu'on connaît, plus quelques nouvelles recrues, venues de Paris - Oilvier Foubert (Thorvald), Serge Renko et Isabelle Sueur - qui amènent une autre dynamique sur les planches.

Afin de rendre la pièce plus lisible, ne pas voiler les thèmes actuels par une langue désuète, Marja-Leena Juncker a choisi une adaptation française récente (Geneviève Lezy et Claude Santelli), plus sobre ; les décors et les costumes se situent à peu près dans les années 1950 (d'où le pick-up). Parce que « je voulais rapprocher le texte de nous », sans pour autant en faire une version contemporaine, « parce que quelques anachronismes auraient persisté ». Sur scène, tout est gris, noir et blanc, stricte et triste : le beau décor de Jeanny Kratochwil et les costumes impeccables d'Ulli Kremer participent du climat oppressant qui règne dans cette maison de banquier et de cette définition du rôle de la femme dans « la machine matrimoniale ».

Plus qu'une féministe engagée avant l'heure, la Nora d'Ibsen est - ou plutôt devient - une individualiste, comme lui le fut, symbole de l'émancipation de l'individu dans une société bien trop conformiste. Ces luttes identitaires et libératrices qui sont menées depuis plus de cent ans, surtout en Europe du Nord, et sont loin d'être gagnées. 

 

Maison de poupée de Henrik Ibsen ; mise en scène par Marja-Leena Junker ; chorégraphie de Jean-Guillaume Weis. Avec : Myriam Muller, Olivier Foubert, Christian Kmiotek, Sonja Neuman, Serge Renko, Monique Reuter et Isabelle Sueur, ainsi que les enfants Florian Holtgen, Sarah Holtgen et Mathieu Muller. Une coproduction entre le Théâtre du Centaure et le Théâtre des Capucins. Première demain soir à 20 heures ; d'autres représentations auront lieu les 10, 12, 13, 21 et 27 octobre à 20 heures, ainsi que le 11 à 18h30. Téléphone pour réservations : 22 06 45.

 

josée hansen
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