Ce sont de sacrés blagueurs, Marc Weis et Martin de Mattia, du duo M+M. Pour leur participation à l’exposition de groupe Salzburg-Luxemburg IV, curatée par Lucien Kayser pour le côté luxembourgeois, actuellement au Ratskeller du Cercle-Cité – et, en parallèle au Kunst im Traklhaus à Salzbourg, où se tient, une version sensiblement identique de l’exposition –, ils montrent de grandes impressions sur papier d’un mètre sur deux avec des blagues – « Witz » en allemand. Et ce sont des blagues, ou plutôt des fragments de blagues on ne peut plus plates, de celles que racontent les enfants : « Comment écrit-on gymnase ? – Portons-la devant la poste » par exemple (en allemand sur les images). La blague est celle de deux policiers qui doivent écrire une contravention pour mauvais stationnement à une voiture, mais comme ils ne savent pas épeler « gymnase », un des collègues propose d’amener la voiture devant la poste… M+M ne seraient pas eux-mêmes s’il n’y avait pas plusieurs dimensions à leurs œuvres. Ici, les images assez énigmatiques de premier abord, faites de multiples petites vignettes en noir et blanc, qui s’avèrent être les nombreux plans d’un film qui raconte la blague – der gespielte Witz, disent les Allemands. Il y a 2 000 de ces stills par image, les plans-contre-plans, les travellings, les gros-plans et les plans panoramiques. Ces œuvres ont été développées plus ou moins en même temps que leur grand cycle de films 7 Days, montré en 2015 au Casino. Ils procèdent de la même déconstruction et interrogation de l’image cinématographique, mais fonctionnent comme un contre-pied humoristique aux films autrement plus philosophiques.
L’humour est aussi le ressort de l’Autrichienne Julia Rohn, désopilante dans son film Desperately trying to be antique. L’artiste, drapée dans un tissu imprimé d’un motif rappelant vaguement le marbre, y prend la pose sous un olivier, tentant de ressembler à une sculpture antique. Son vrai sujet à elle, c’est la consommation et le statut de la femme dans un monde moderne obstiné par la propreté : au Cercle-Cité, elle a négligemment drapé des torchons colorés autour d’une des colonnes du Ratskeller (la seule installation quittant le cadre de l’image de l’exposition) ; ailleurs, elle « peint » avec des produits de nettoyage aux couleurs pastels ou photographie des montages sériels d’éponges de différentes couleurs.
David Brognon et Stéphanie Rollin, duo d’artiste qui vit et travaille partiellement au Luxembourg et qu’on a déjà plusieurs fois pu voir à cet endroit, déclinent, comme M+M, l’iconographie de trois de leurs films –-Sabra Subar (2015), Attempt of redemption (2012-13) et Stone clock, sailing time (2017) – en compositions d’images / textes, comme s’il s’agissait d’une sorte de protocole de leurs films. Le premier les a menés au Proche Orient, auprès de cactus extrêmement résistants, dont ils transplantent les épines d’une plante à l’autre ; le film a été montré durant leur Black Box au Casino. Pour le deuxième, ils travaillaient avec des détenus dans une prison en France, et pour le troisième film, ils traversent la Death Valley californienne à pied, suivant les traces du mouvement, imperceptible à l’œil nu, de grandes pierres dans la vallée. À chaque fois, c’est du corps qu’ils parlent, de son mouvement dans l’espace, de ses expressions, avec des images d’une beauté sidérante (notamment cette photo dans la vallée de la mort, avec cette lumière qui transfigure le réel). Le duo a choisi de montrer des œuvres différentes aux deux endroits : à Salzbourg, ils exposent des photos de leur série Famous people have no stories, des gros-plans, en noir et blanc, sur les mains de sculptures de gens célèbres. Là encore, c’est de corps qu’il s’agit.
L’expérience Salzburg-Luxemburg remonte à 2002 et la rencontre entre Lucien Kayser, fervent et fidèle spectateur du festival de Salzbourg, et
Dietgard Grimmer, responsable de la galerie du Land de Salzbourg, Kunst am Traklhaus. En est né l’idée de non seulement faire se rencontrer des artistes des deux pays, mais aussi de les présenter ensemble dans les deux villes. Au Luxembourg, elle a déjà occupé le Konschthaus beim Engel, puis la galerie de la BGL boulevard Royal, avant de trouver refuge, pour les troisième et quatrième éditions, au Ratskeller. Pour la première fois, elle se déroule simultanément dans les deux villes.
Dans le petit espace à droite de l’entrée du Rats-
keller, on est accueilli par le bruit si typique des projecteurs de films en seize millimètres. L’Autrichienne Antoinette Zwirchmayr y montre Venus delta, un petit film de quatre minutes qui met en parallèle le corps de la femme et l’objet, l’être humain et la nature. Zwirchmayr crée un lien homme-objet, parfois poétique, parfois inquiétant, comme pour Mother, dear mother, une fragile sculpture sur pied qu’on croit au premier abord faite d’un matériau de synthèse, mais qui s’avère être de la peau humaine, celle d’un sein. Elle dialogue ici avec Éric Chenal et sa série de photos contemplatives et détachées du chaos ambiant. Ses images modestes et simples, réduites aux enjeux de la photo (cadrage, lumière) et de la vie en général (les arts, la mort), ne portent pas de titres, mais sont accompagnées de courts textes poétiques dans le catalogue. Comme celui-ci, près d’un torse entaillé d’une sculpture du Christ : « Près de lui, la journée s’abandonne / au silence des regards résistants. / La peur a laissé place à l’étreinte ». L’œuvre a été créée lorsqu’il assista son père sur son lit de mort.