La grande brune qui attend sur la terrasse est élégamment vêtue de noir. N’aurait-elle pas relevé son look d’un sac jaune madeleine et d’un filet à courses assorti, que le genre de Peggy Wurth passerait pour « chic parisien ». Mais celle qui dit vouloir disposer d’un uniforme, pour les jours où elle n’a pas de temps à consacrer au choix de sa tenue, véhicule bien davantage qu’un quelconque chic : Peggy est de celles dont le style, pour être tout à fait unique, cultive un côté énigmatique. Peggy est costumière au théâtre et au cinéma. L’apparence et le style sont des éléments de son abécédaire ; le mystérieux, voire l’onirique, des ingrédients qui font partie de son travail. Cette semaine, La Compagnie du Grand Boube, dont Peggy est co-fondatrice avec entre autres les metteurs en scène Carole Lorang et Mani Muller, présente sa nouvelle pièce Tout le monde veut vivre de l’auteur israélien Hanokh Levin.
« La Compagnie du Grand Boube se distingue, je pense, par sa prédilection pour les univers étranges », dit Peggy. Celui de Levin par exemple, aussi grotesque que l’histoire de son pays en état de guerre permanent. « Une des raisons pour lesquelles j’aime travailler avec Carole et Mani est qu’ils m’associent très tôt à leurs idées. Ensemble, on tisse un univers particulier, puisant souvent dans le registre de l’étrangeté et de ce qui intrigue ». Pensive, elle lisse sa chevelure sombre d’un geste délicat. « Ce qui me fascine dans le théâtre par rapport au film est d’ailleurs la création d’une ambiance qui sous-tend le projet entier et culmine avec la première. Dans le film, non seulement le rôle de la costumière est moins prégnant, mais le rythme tout autre – les délais courts, comme si on avait une première tous les jours. Un travail de l’ordre du styling plutôt que de la création ». C’est pourtant dans le cinéma que Peggy a fait ses premiers pas dans le métier au Luxembourg, l’été où elle avait l’intention de retourner en Angleterre, après y avoir obtenu son diplôme. « Le jour où je voulais prendre mon billet, j’ai reçu un appel de ma prof anglaise. Elle était à Luxembourg pour travailler dans un film et m’a demandé si je voulais être son assistante ». De fil en aiguille, Peggy est restée, appréciant une scène foisonnante du film et du théâtre qui se professionnalise chaque saison un peu plus. Elle exploite les possibilités qui en découlent pour ceux qui font partie de la première génération à être diplômée dans les spécialisations de la branche. Peggy l’est dans le Theaterdesign : costume interpretation à la Wimbledon School of Arts. « J’ai fait ce choix parce que c’était la seule chose que j’avais envie d’étudier », dit-elle, « Je ne l’ai jamais regretté ».
Pour Tout le monde veut vivre, elle a dessiné et cousu tous les costumes, avec l’aide de trois autres couturières. « Nous faisons tout nous-mêmes. Au théâtre, le spectateur est immergé dans un visuel dont les costumes font partie intégrante. Un T-shirt qu’il a vu chez H[&]M peut gâcher son impression globale ». Ceux qui connaissent Weird scenes inside the goldmine, la création précédente de La Compagnie du Grand Boube, se rappellent l’énorme écharpe tricotée venant rajouter au caractère absurde de la pièce. L’idée émanait de Peggy. « Je collectionne des images en permanence. Photos, cartes postales, illustrations,…belles, mystérieuses, laides. Des images qui me disent quelque chose. Je les garde dans une boîte et les parcours avant chaque production. Souvent l’idée fondatrice pour une nouvelle pièce me vient d’une d’elles ». Est-elle influencée par un grand nom de la branche ? « Je m’inspire peu du travail d’autres costumiers ou metteurs en scène, car je me rapproche directement des sources – historiques, contemporaines, de films ou de romans ».
Actuellement, Peggy choisit ses projets à parts égales dans le théâtre et le film. Pour le moment, elle est même très, très occupée, la préparation de la nouvelle pièce ayant coïncidé avec la naissance de son fils. « Je n’ai pas encore trouvé de crèche qui soit adaptée à mes horaires de travail », rit-elle. « Mais ça ira, j’espère ».
Qu’est-ce c’est qu’« avoir du style » pour Peggy Wurth ? Elle se tait un moment, remonte ses grandes lunettes de soleil et regarde le ciel. Puis elle sourit, hésitante. « Je ne sais pas…le style est… personnel. Il y a des gens qui ont du style et il y en a qui ont le leur. Je pense que c’est faire et projeter ce qu’on aime et être conséquent. En tout cas, avoir du style n’a pas seulement à voir avec le physique. C’est un concept global…et je suis sûre que plus on y réfléchit, plus c’est difficile ».