Législation sur la presse

1869 - 200?

d'Lëtzebuerger Land du 29.03.2001

Condamné sans appel par la Cour européenne des droits de l'Homme, hier, dans l'affaire dite des garde-forestiers, l'État luxembourgeois est quasi simultanément en train de peaufiner les derniers détails de sa nouvelle loi sur la presse.

L'histoire des garde-forestiers, c'est l'histoire du journaliste de RTL Marc Thoma qui avait cité, dans une émission de radio, son confrère Josy Braun du tageblatt qui avait, lui, publié les propos d'un initié du milieu forestiers prétendant qu'à part le garde-forestier du Baumbusch, il ne connaissait que des garde-forestiers corrompus (sens donné à la citation par les garde-forestiers) respectivement qu'il ne connaissait qu'un seul garde-forestier honnête, celui du Baumbusch (citation originale). Suite à la diffusion de cette citation, presque l'ensemble des garde-forestiers assignait, de façon individuelle, les deux journalistes pour diffamation devant les tribunaux civils où, de la première instance à la cassation, ils obtinrent satisfaction, c'est-à-dire la condamnation du journaliste de RTL (Josy Braun s'était résigné après la première instance). L'histoire avait connu des moments plutôt abracadabrants avec, par exemple, le constat des juges que le journaliste s'était rendu coupable d'avoir fait siens les propos cités « parce qu'il ne s'en était pas formellement distancié » - ce qui amena la situation grotesque que les « distanciations formelles », dans le texte et la parole, se multipliaient dans les reportages. La Cour de Strasbourg a maintenant tranché cette affaire, par laquelle le journaliste incriminé a connu la gloire et s'est fait un renom, en coulant le droit de citation en jurisprudence - une jurisprudence d'ailleurs reprise avant la lettre par le texte de la nouvelle loi élaboré par le gouvernement (voir d'Land n° 12/01).

Cette affaire était un des moteurs de la gent journalistique pour revendiquer, avec un certain succès, une nouvelle loi sur la presse. L'avant projet de loi « sur la liberté d'expression dans la communication de masse » est actuellement soumis aux différentes parties concernées pour avis, après plusieurs années de discours rébarbatifs du Premier ministre et ministre des médias, Jean-Claude Juncker, lors de la traditionnelle réception du nouvel an pour la presse, « que le projet sera finalisé sous peu ».

L'ancienne loi date de 1869 et se distingue par son caractère répressif. L'avant-projet actuellement en discussion se veut par contre progressiste, et, sans aller jusqu'à l'exemption des journalistes de la responsabilité civile et pénale - une revendication quelque peu baroque de l'Association des journalistes luxembourgeois - délimite clairement le cadre des responsabilités dans le domaine de la communication.

Pour les responsabilités pénale et civile, qui sont, dans l'avant projet de loi, traités quasiment à la même enseigne, la diligence du travail journalistique est déterminante. Les auteurs de l'avant projet ont ainsi en quelque sorte retourné la question de la responsabilité - en définissant le comportement fautif du journaliste dans l'exercice de sa profession.

Jusqu'ici, il fallait, devant les juges, établir la « faute » du journaliste. Selon les textes en vigueur, les articles 1382 et 1383 du code civil concernant la responsabilité sur base desquels la majorité des récents procès de presse ont été intentés, à l'image de l'affaire des garde-forestiers, la faute est établie par la relation causale entre un fait et un préjudice. En d'autres termes, il est théoriquement possible qu'un journaliste se fasse condamner pour avoir publié une information qui a causé un préjudice à une autre personne, même si cette information est exacte. Par exemple, l'annonce prématurée de négociations secrètes au sujet d'une fusion entre plusieurs entreprises, à l'image des récentes fusions/acquisitions impliquant l'Arbed, la SES ou des banques, pourrait avoir des incidences sur les cours en bourse des sociétés concernées ou sur la fusion elle-même. La révélation de négociations secrètes peut ainsi constituer une faute dans le sens où c'est cette publication qui a engendré un préjudice pour les parties concernées. D'où la revendication du lobby des journalistes de « sortir » le professionnel des médias du champ d'application des articles 1382 et 1383 du code civil, c'est-à-dire du champ d'application du droit commun. 

L'avant-projet de loi précise, aussi bien en ce qui concerne la responsabilité civile que celle pénale, que « la diffusion par voie de communication de masse d'un fait n'est pas constitutif d'une faute lorsque dans les cas où la preuve de la véracité des faits allégués est admise, la véracité du fait est établi, qu'en l'absence de cette preuve, l'existence d'un intérêt public (...) est prouvée et qu'il existe des raisons suffisantes pour permettre de conclure à la véracité de l'information en cause à la condition toutefois que les diligences journalistiques nécessaires aient été accomplies. »

Dans le texte, la précision de la « faute » du journaliste n'est pas considérée comme exhaustive, mais « devrait, sans limiter le juge dans son pouvoir souverain d'appréciation, le guider dans la détermination du comportement fautif du journaliste » lorsque celui-ci est assigné sur base des articles 1382 et 1383 du code civil.

Il s'agit là d'une des mesures pour consacrer la liberté d'expression, une liberté qui se traîne tel un fil rouge tout au long de l'avant projet de loi, se basant sur l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme et sa jurisprudence, à laquelle vient de s'ajouter celle condamnant l'État luxembourgeois. Mais pour pouvoir profiter de cette liberté, le journaliste devra remplir ses devoirs, dont le premier est « l'exactitude, la véracité et l'objectivité » des faits relatés. Un devoir qui a priori semble couler de source, mais c'est justement devant le pouvoir des médias - le terme de « communication de masse » n'a pas été choisi par hasard pour l'intitulé de la nouvelle loi - que le législateur a décidé de prévoir des garde-fou. C'est ainsi qu'à défaut de véracité des faits établis, le journaliste devra au moins prouver qu'il a exploité au maximum les possibilités à sa disposition pour vérifier l'information et qu'il n'a aucun cas, essayé de la diriger dans un sens ou un autre, voire de la biaiser.

Ce devoir du journaliste, élémentaire en soi, va de pair avec le droit à l'information de tout un chacun, un droit qui devrait lui aussi être coulé en texte législatif. Il s'agit d'un côté d'assurer le droit à l'accès de l'information au journaliste pour que le public, qu'il est sensé informer, puisse lui aussi y accéder, mais les auteurs vont plus loin en généralisant le droit d'accès à l'information à tout un chacun. En ce qui concerne l'accès du public aux informations détenues par les pouvoirs et autorités publiques, celle-ci fera l'objet d'une loi cadre en cours d'élaboration. À noter que le texte de l'avant projet se prononce clairement contre la « circulaire Santer » qui interdit à tout fonctionnaire de s'adresser à un journaliste.

Le droit au respect de la vie privée est la borne imposée à la liberté d'expression. Le texte de la législation, récente, française, concernant la présomption d'innocence, est ainsi repris par le texte luxembourgeois, interdisant par exemple la diffusion d'images de personnes menottées, mais non encore jugées. Les comptes-rendus des chroniqueurs judiciaires doivent, à l'absolu, respecter la présomption d'innocence, pour éviter que la personne concernée ne soit jugée a priori par le public destinataire de l'information. Cette disposition avait soulevé les rancoeurs des syndicats de journalistes français qui la jugent trop restrictive pour l'exercice de leur métier, et devrait logiquement aussi être critiquée au Luxembourg. Pour le surplus, le projet de loi reprend les dispositions de la législation spécifique existante concernant la protection de la vie privée et prévoit un renvoi au texte de la loi (au stade de projet de loi) relative au respect de la vie privée à l'égard du traitement des données à caractère personnel qui détermine elle aussi les limites du travail journalistique. (voir d'Land n° 3/01)

La protection des sources constitue, outre la définition de la responsabilité, une autre pierre angulaire du projet. Non prévue par le texte de 1869, elle existe cependant par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme. Le législateur s'est abstenu à garantir la protection des sources par un secret professionnel, mais donne la possibilité au journaliste professionnel de taire l'origine de son information, exception faite s'il est auteur ou co-auteur d'une infraction en relation avec l'information. Ce « privilège » n'appartient qu'au journaliste professionnel ainsi qu'à l'éditeur. Ceux-ci peuvent disposer librement d'une information, « même si la communication de l'information par la source a entraîné dans le chef de celle-ci une violation d'une obligation légale ». Si un banquier donne des informations à un journaliste et de la sorte son secret professionnel, seul le banquier pourra être poursuivi. Seule restriction quant à la liberté de se retourner ou de « rechercher » l'origine de l'information : l'élément identifiant une source ne peut pas être saisie chez le journaliste lors d'une perquisition. De plus, il est laissé libre au journaliste de révéler sa source d'information ou non, et la protection de la source ne pourra être revendiquée par celui qui aura donné l'information. La protection des sources n'est donc pas absolue et, ainsi qu'il ressort du texte, devra avant tout se baser sur la relation de confiance entre l'informateur et le journaliste. En résumé, ce dernier a la possibilité de taire sa source d'information, alors que cette dernière ne bénéficie d'aucune autre protection spécifique.

Le texte révolutionne cependant le Conseil de presse. Cette instance qui accorde le titre professionnel de journaliste pourra dorénavant recevoir et traiter des plaintes et se donner les moyens d'action et d'intervention (blâme, recommandation etc.) à l'encontre de journalistes. Il devra lui-même définir cette instance. Une décision a priori logique - à l'instar d'instances similaires dans les pays limitrophes -, mais qui peut se révéler à double tranchant. Car dans un pays de la taille du Luxembourg, où la densité de la presse est grande et où les rivalités vont de pair avec le corporatisme exercé par la plupart des médias, la situation que les journalistes pourront être jugés par des pairs risque d'envenimer davantage les débats en cas de plainte. Mais là résidera presque le seul pouvoir du Conseil de presse quelque peu remanié. Le législateur a en effet prévu d'accorder le titre de journaliste professionnel uniquement en fonction de l'activité professionnelle exercée, en abrogeant les dispositions de la loi spécifique de 1979 qui accordait, en fin de compte, aux éditeurs et au Conseil de presse un droit quasi absolu en la matière.

Le texte de la nouvelle loi luxembourgeoise a l'avantage, malgré plusieurs faiblesses, notamment en ce qui concerne la protection des sources ou encore le rôle du Conseil de presse, de pouvoir s'inspirer de législations modernes, que ce soient les textes en vigueur en Allemagne, en Autriche ou les réformes françaises. 

Ainsi, la définition du droit de réponse a été reprise du droit autrichien, mettant fin à l'arbitraire de la loi de 1869 qui accordait à tout un chacun se sentant visé par un reportage un droit de réponse. Mais le fait marquant est la reprise, toutefois sans surprises, des principes définis par la Convention européenne des droits de l'Homme et la jurisprudence y afférente qui constituent le coeur du projet. Au moins, les choses sont claires dorénavant en ce qui concerne la responsabilité de tout un chacun, mais aussi en ce qui concerne les droits et les devoirs des « professionnels de la communication de masse ».

 

Voir aussi le dossier Médias sur www.land.lu

marc gerges
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