Médias

Kiosque audiovisuel

d'Lëtzebuerger Land du 02.12.1999

Les grandes ondes, c'est fini. Certes, ici et là, on rencontre encore l'un ou l'autre nostalgique des émissions en français, allemand ou anglais en provenance de la villa Louvigny. Mais même ceux-là n'échangeraient pas pour autant le son stéréo de leur autoradio branchée sur la bande FM contre les sifflements des ondes moyennes ou longues des années soixante. 

L'évolution des technologies, mais aussi des législations des pays voisins ont mis un terme aux premières activités lancées dès les années 30 par ce qui était alors la Compagnie luxembourgeoise de radiodiffusion. Les chaînes de télévisions de CLT-Ufa se trouvent aujourd'hui toutes dans leurs pays de diffusion.

Mais en dépit de ces développements, c'est la même évolution technologique et réglementaire qui fait règner l'optisme au Service des médias et des communications du ministère d'État (SMC). « Le Luxembourg comme centre européen de l'audiovisuel n'est pas une histoire du passé, c'est tout au contraire le futur », explique ainsi le directeur du SMA, Jean-Paul Zens.

Ceux qui s'attendent à un prochain « big bang » seront toutefois déçus. Même au plus lointain des horizons il n'y a trace ni d'une nouvelle CLT-Ufa ni d'un remplaçant de la place financière comme premier contributeur au budget de l'État. 

Les signes d'une nouvelle jeunesse de l'activité audiovisuelle au Luxembourg risquent plutôt de passer inaperçus. De manière régulière, on retrouve ainsi de nouvelles concessions pour des chaînes de télévision à l'ordre du jour du conseil de gouvernement. Elles s'appellent Grand Tourisme, Wishline ou encore Alice, et sont des chaînes thématiques avec un public cible très précis et réduit. Les dernières autorisations ont été attribuées il y a une semaine à un programme consacré aux domaines beauté et santé, et à un autre spécialisé dans la vente de produits de luxe via l'écran de télévision.

Ces nouvelles chaînes ne jouent pas vraiment en première division. La production est souvent soustraitée, on ne diffuse que des conserves, ne produit rien en direct et il ne faut pas davantage s'attendre à des analyses critiques des secteurs couverts. Il faut bien garder la bienveillance des annonceurs. La comparaison de ces chaînes thématiques avec une chaîne généraliste de qualité revient à opposer l'International Herald Tribune au dernier né des magazines de life style ou d'informatique. À part quelques louables exceptions, ces mensuels ont certes des maquettes impressionantes, mais sur le fond, laissent souvent à désirer.

Que des chaînes de télévision puissent aujourd'hui être lancées avec la même facilité qu'un magazine imprimé est avant tout dû aux nouvelles technologies. Grâce à la télévision digitale, le coût d'une télédiffusion a chuté de quelque deux cents millions de francs par an pour l'analogue à un dixième de ce prix en diffusion numérique. L'explication est simple. Grâce à la numérisation du signal, un même répéteur d'un satellite peut diffuser plusieurs chaînes simultanément. À la réception, il faut toutefois que le signal soit d'abord déchiffré. Une diffusion par Astra permet ainsi de toucher jusqu'à 77 millions de ménages européens.

Alors que la télévision numérique a longtemps été synonyme de télévision à péage et de bouquets de chaînes, il n'en est plus rien. Les satellites Astra diffusent ainsi déjà plus de soixante chaînes digitales en free TV, c'est-à-dire financées par la seule publicité.

Du point de vue du gouvernement luxembourgeois, ces chaînes ont un certain attrait, d'autant plus qu'elles sont appelées à se développer et à se multiplier. À la différence des premiers clients de la Société européenne des satellites (SES) - des chaînes existantes et guère disposées à déménager leurs sièges - celles-ci sont des projets nouveaux, ne disposant pas encore de structures et donc ouvertes aux charmes luxembourgeois.

Et le Luxembourg a certains arguments de poids : outre la présence sur le territoire de la SES, il existe une législation adaptée et flexible tout en respectant les directives européennes dites Télévision sans frontières, de même qu'une expérience inégalée en Europe dans le domaine de la mise sur pied de chaînes de télévision.

Le premier contact d'un promoteur d'une nouvelle chaîne thématique avec le Grand-Duché peut, par exemple, se faire à travers la SES, qui diffusera le programme. La deuxième étape est alors le SMC, qui fait son sales pitch pour l'environnement réglementaire et technique du Luxembourg. Même si la procédure d'accord d'une concession n'est pas des plus légères, elle peut être bouclée en plus ou moins un mois, si nécessaire. Ceci d'autant plus que certaines questions ne se posent pas pour les chaînes thématiques. 

Comme elles ne diffusent pas d'informations générales et autres journaux télévisés, elles sont d'un point de vue politique et diplomatique bien moins délicates que les stations de radio et de télé de CLT-Ufa. RTL 4 et 5 (Pays-Bas), 7 (Pologne) et 9 (France) de même que RTL TVi et Club RTL (Belgique) opèrent toujours sous concession luxembourgeoise. La flexibilité des autorités grand-ducales s'arrête cependant là où commencent les exigences du droit communautaire. On veille de même à respecter les législations des pays de destination des chaînes. Pas question ainsi, de diffuser des films pornographiques sous concession luxembourgeoise.

Si la nouvelle chaîne cherche un prestataire pour les services techniques, CLT-Ufa vient compléter la ronde des acteurs luxembourgeois. Après des premières réticences face à l'arrivée d'autres chaînes de télévision au Luxembourg, le groupe du Kirchberg a en effet décidé de devenir un acteur actif dans ce secteur naissant. Le dernier contrat de concession de CLT-Ufa imposait en 1995 au groupe de maintenir ses services techniques au Luxembourg.

Dans un domaine où les monopoles publics étaient encore la règle il y a vingt ans, CLT-Ufa dispose en effet d'une expérience sans égal en Europe : qui d'autre lance depuis soixante ans des stations radios ou depuis quarante ans des chaînes de télévision à partir de rien ? Un succès qui est aussi un obstacle : les nouvelles chaînes ne sont guère enthousiastes de confier leurs services techniques à un concurrent potentiel qui est en plus un géant du secteur. 

C'est une des raisons pour lesquelles CLT-Ufa a décidé de donner une identité propre à ses services techniques sous le logo de Broadcasting Center Europe (BCE). Pour l'instant encore une division du groupe, BCE deviendra dans un futur proche une filiale avec une personnalité juridique propre. L'orientation stratégique est claire : rester au service des stations de CLT-Ufa mais élargir ses activités à des clients tiers. Ces derniers représentent pour l'instant dix pour cent du chiffre d'affaires de BCE - au total un milliard de francs en 1999 - et devraient cependant à moyen terme augmenter à un tiers. 

Le type de prestations peut varier : de la simple lecture de cassettes fournies par la chaîne et la transmission du signal à la SES, en passant par la postproduction des émissions jusqu'à l'utilisation des studios de BCE au Kirchberg. Le promoteur d'une chaîne thématique peut ainsi se limiter d'un côté à acheter les droits de productions audiovisuelles et de vendre son espace publicitaire, achetant l'ensemble des prestations techniques nécessaires à la diffusion clé-en-main auprès de BCE et SES. Derrière ces chaînes on ne trouve cependant pas des aventuriers. La société Multithématique, qui diffuse Wishline à partir de Luxembourg, est ainsi une filiale du français Canal +.

Ces nouvelles chaînes thématiques, même si elles se développent fortement, ne seront pas pour autant une mine inépuisable d'emplois nouveaux. La douzaine de chaînes existantes représenteraient aujourd'hui entre vingt et trente postes. Le potentiel se situerait plutôt en quelque centaines d'emploi qu'en milliers. Des activités auxquelles Jean-Paul Zens n'attribue pas moins une importante valeur ajoutée.

Plutôt qu'un aboutissement, les chaînes thématiques sont un premier pas dans une nouvelle phase de développement du secteur audiovisuel au Luxembourg. Un aperçu sur les projets futurs est pour l'instant donné dans une exposition organisée par le gouvernement, CLT-Ufa, SES et l'Office des publications des Communautés européennes à la Maison du Luxembourg à Bruxelles. 

Lors de l'ouverture, François Biltgen, ministre en charge de l'audiovisuel et de la télécommunication, a déclaré que le Luxembourg veut promouvoir l'élargissement des activités audiovisuelles au Luxembourg vers les nouveaux médias, la numérisation et l'interactivité. Le but est de faire du Grand-Duché « une banque de données de la connaissance en Europe ». Le projet est ambitieux. Des premiers petits pas ont été faits.

 

Jean-Lou Siweck
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