Le CNP est mort, vive l’Alia ! Le 15 octobre dernier, le ministre des Communications François Biltgen (CSV) tenait une conférence de presse pour présenter sa nouvelle vision de l’autorité de régulation de l’audiovisuel et déposa en même temps le projet de loi n° 6487 « portant création de l’établissement public ‘Autorité luxembourgeoise indépendante de l’audiovisuel’ ». Ce nouvel organe va donc s’appeler Alia et non plus CNP, pour Conseil national des programmes, créé par la loi de 1991 sur les médias électroniques et dont la deuxième décennie de l’existence fut marquée par des revendications de moyens, non seulement financiers, mais surtout d’action. « Nous n’avons pas vraiment été impliqués dans la rédaction du texte, donc nous le découvrons en même temps que les députés, » regrette pourtant Tom Krieps, l’actuel président du CNP.
Retour à la case départ Pourtant, on ne peut pas dire que cette réforme soit précipitée, elle se prépare depuis exactement dix ans : en 2002, le CNP avait organisé un colloque international appelé Médiamorphose, sur l’audiovisuel, la révolution technologique et sa régulation. François Biltgen, alors déjà ministre en charge, y promit la création de l’Ari, une « autorité de régulation indépendante ». Puis Jean-Louis Schiltz (CSV) le remplaça durant une législature, de 2004 à 2009, dans ce ressort, avec une vision beaucoup plus libérale des choses, estimant que l’autorégulation était la seule approche sensée dans le domaine des médias. Et la réforme promise traîna en longueur – jusqu’à ce que, harcelé par le président du CNP, il se décida, en novembre 2008, à déposer un projet de loi accordant une plus grande autonomie et une liberté d’action accrue au CNP. Or, suite à l’avis négatif du Conseil d’État, fustigeant surtout l’amalgame des compétences créé par le texte et l’insécurité juridique qui pouvait s’en suivre, le projet de loi n° 5959 fut retiré du rôle des affaires en mai 2010. François Biltgen promit un meilleur texte, ce que le député vert Claude Adam lui rappela en demandant une heure d’actualité sur le sujet, qui se tint le 15 mai de cette année.
Pression internationale Mine de rien, et bien que le sujet ne semble guère intéresser sur le plan national, la pression sur le gouvernement pour une meilleure régulation des services audiovisuels est énorme. Car depuis la nouvelle directive européenne de 2007 sur les services audiovisuels, que le Luxembourg a transposée en droit national en 2010, la régulation et la collaboration des régulateurs sont des contraintes que se sont imposées les pays européens. En plus, le grand-duché traîne depuis les débuts de la télévision une sale image de pays pirate qui émet sur les territoires voisins pour contourner les restrictions nationales, image qui ne s’est pas vraiment améliorée lorsque RTL TVi est revenue s’installer au Luxembourg en 2007 – le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel) belge étant persuadé que ce n’était que pour échapper aux obligations légales que la Belgique leur imposait, notamment d’investir dans la production audiovisuelle locale.
Il est vrai aussi que le CNP a une réputation d’amateurisme, aussi bien au Luxembourg, où il s’est ridiculisé avec son rapport dilettante sur RTL Radio Lëtzebuerg en 2000 ou son fonctionnement de club de quilles local – une assemblée générale de 24 personnes représentant les « forces vives de la nation », syndicats, partis politiques et autres lobbies, sans connaissances particulières dans le domaine de l’audiovisuel devant délibérer sur chaque plainte reçue et aimant surtout à philosopher sur la prétendue qualité des programmes –, que sur le plan international, où les homologues sont perplexes que la présidence du CNP ne soit pas une charge professionnelle (Tom Krieps est avocat dans la vie). Des tentatives d’une approche plus rigoureuse, comme les études sur le temps de parole des partis politiques dans les programmes audiovisuels luxembourgeois réalisée par l’Université de Trèves pour le compte du CNP en 2004 ou l’étude sur le service public confiée à un consultant privé en 2006, se sont terminées en eau de boudin, malgré la rédaction de documents intéressants, car elles sont restées sans suites concrètes.
Du pluralisme et de la diversité Certes, sur le plan purement national, le champ de la régulation s’est dramatiquement restreint ces dernières années, avec la disparition des quelques chaînes de télévision, comme Tango ou T.TV, qui avaient vu le jour après le libéralisation de 1991 – à côté des
deux programmes de RTL Luxembourg, il ne reste plus que DokTV, Uelzechtkanal et Nordliicht, diffusés par câble ou satellite, plus quelques chaînes locales. Mais c’est sur le plan international, pour les chaînes émises depuis le Luxembourg que le champ de contrôle du CNP s’est élargi suite à la directive européenne de 2007, qui a généralisé le principe du pays d’origine. Donc aujourd’hui, le Luxembourg a une obligation de surveiller les chaînes de télévision émises à partir du grand-duché, donc aussi celles qui passent par un uplink vers un satellite Astra. Ainsi, elle surveille seize chaînes satellitaires internationales, dont une très large majorité sont, c’est étonnant, ukrainiennes (dix), une serbe, une burkinabé ou une de Côte d’Ivoire. Le Groupe 555 avec siège route d’Arlon offre le programme crypté Libido, la CLT-Ufa une quinzaine de programmes internationaux, et le CNP contrôle aussi l’offre Video on demand d’iTunes, de Netflix et de la Télé vun der Post. À cela s’ajoutent cinq radios, dont deux à rayonnement international, et les luxembourgeoises RTL Radio Lëtzebuerg, la Radio 100,7 et le DNR.
Il y a donc un gouffre énorme entre les missions et les moyens du CNP, qui n’emploie que deux personnes et passe par des missions externes pour faire le monitoring des programmes qui entrent dans son champ de compétences. « Ce système de monitoring fonctionne assez bien, » constate le président Tom Krieps, qui cite en exemple cette avocate d’origine turque installée au Luxembourg qui se charge de regarder Euro D, à destination du public turc justement. En 2011, le CNP a enregistré 32 plaintes en tout, dont onze furent des auto-saisines. La conséquence en furent trois sanctions : un blâme contre l’émission de téléréalité Gênante Lijven de RTL 5 et deux blâmes avec demande de retrait de licence contre Euro Star et Euro D, des programmes turcophones, un des blâmes concernant une publicité pour la vente de médicaments.
Sanctions Or, voilà une des principales revendications du CNP : si, en l’espace de deux décennies d’existence, l’organe s’est émancipé et a établi une certaine routine dans le domaine du contrôle, il n’a pas d’armes pour se battre contre les services audiovisuels qui ne respectent pas les quelques règles que leur impose le Luxembourg, qui se limitent en gros à la protection de la jeunesse et au respect de la législation et des droits de l’homme les plus élémentaires dans les programmes diffusés. L’attribution et le retrait des licences revient toujours au seul ministre, le CNP peut le demander, mais cette sanction est beaucoup trop extrême pour la plupart des infractions. Comme le projet de loi de 2008, le texte de François Biltgen accorde donc des sanctions graduées au nouvel organe de régulation, allant du blâme en passant par un blâme avec obligation de le lire à l’antenne, jusqu’à une amende allant de 250 à 25 000 euros. La suspension temporaire ou le retrait de la concession restent du domaine du ministre.
« Nous, en tant que groupe, sommes de toute façon demandeur d’une autorité de régulation professionnelle, donc nous saluons ce projet de loi, » affirme Alain Berwick, le CEO des programmes luxembourgeois de RTL Group. Car les chaînes belges et néerlandaises du groupe sont souvent soupçonnées de ne respecter aucune règle parce qu’elles émettent à partir du grand-duché ; une autorité de régulation crédible au Luxembourg est donc aussi importante pour elles. Or, Alain Berwick espère en même temps que les sanctions appliquées pour les chaînes internationales ne soient pas telles qu’elles risquent de ruiner un petit programme comme RTL Tele Lëtzebuerg.
Convergence et concentration Si le Conseil national des programmes n’a pas été consulté en amont de la réforme, c’est parce qu’elle ne se limite pas à attribuer plus de moyens humains et financiers à ce seul organe, mais qu’il s’agit d’une entreprise de concentration plus large. En effet, l’Alia regroupera à la fois les aspects politiques, concernant le contenu des services audiovisuels, et les aspects économiques et techniques, concernant les fréquences et les modes de diffusion. À l’image des projets français de fusionner le CSA et l’Arcep (qui surveille les communications électroniques), la future Alia concentrera en un seul organe les attributions de plusieurs autres instances qui existent aujourd’hui : celles du Conseil national des programmes sur la régulation du contenu, celles de la Commission indépendante de la radiodiffusion (CIR), qui attribue les fréquences radio locales, celles du Service des médias qui surveille le respect des limitations de la publicité, et même celle de la classification des films dans les cinémas, pour laquelle une nouvelle loi n’a été votée qu’en 2009 (et qui est actuellement suivie par une « commission de surveillance », présidée elle aussi par Tom Krieps). D’ailleurs, Fernand Weides, le président du Conseil de presse, qui émettra un avis sur le projet Alia plus tard dans le processus, se souvient également d’une autre commission créée par la loi de 1991 et qu’il préside aussi, la Commission consultative des médias – mais qui n’a plus d’activités depuis six ou sept ans : faudrait-il l’intégrer dans l’Alia ou simplement l’abroger ?
Gouvernance et indépendance Une fois toutes ces compétences réunies en un seul organe, la gouvernance en sera professionnalisée, avec une hiérarchie claire entre un conseil d’administration – l’Alia sera un établissement public – composé de cinq membres qui ne pourront exercer aucun mandat politique, ni avoir aucun intérêt dans une des entreprises surveillées. On peut l’imaginer constituée majoritairement de juges et d’avocats, comme l’actuelle CIR. Le CA analysera les plaintes, les donnera à instruire à la direction et, sur avis de celle-ci, décidera des sanctions à émettre. Le directeur, quant à lui, sera obligatoirement un fonctionnaire nommé pour un mandat de cinq ans renouvelable. Il instruira les dossiers, gérera l’administration et représentera l’Alia sur le plan international. Il aura à ses côtés une équipe administrative forte de quatre personnes et une « assemblée consultative » qui remplacera l’actuel conseil élargi, et composée de 25 membres « délégués par les organisations les plus représentatives de la vie sociale et culturelle du pays ». Cette assemblée aura une mission consultative, mais ses avis n’ont pas force obligatoire. Le bras de fer sur quelle organisation y sera encore et laquelle n’y sera plus pour faire son lobbying, a sans aucun doute déjà commencé en coulisses.
Selon la fiche financière du projet de loi, la réforme ne reviendrait même pas excessivement chère, avec un investissement initial de premier équipement de quelque 800 000 euros, et des frais supplémentaires récurrents de 180 000 euros.
Un début Si le débat sur la régulation des contenus audiovisuels ne passionne plus le grand public au même degré qu’il y a vingt ans, lorsqu’une révolution médiatique semblait possible, c’est que les règles du marché l’ont fait déchanter et que l’ère numérique a profondément changé les modes de consommation des contenus, qui sont de moins en moins linéaires et de plus en plus mobiles et sur demande. La libéralisation semble donc désormais un fait, plus personne n’imaginant une ingérence politique ouverte dans les contenus – un prochain pas serait alors d’abolir les procédures compliquées d’attribution des fréquences. Mais les expériences de censure sur Internet, opérées ailleurs dans le monde, prouvent que cette liberté est on ne peut plus fragile.
josée hansen
Catégories: Politique de médias, Radios
Édition: 28.09.2012