La vortement de Saverio La Ruina, en ce moment au Centaure, met en scène la condition précaire de la femme dans les campagnes italiennes en temps de guerre, à travers l’histoire de Vittoria, dont la jeune vie se résume à des grossesses successives et un mariage sans amour. Vittoria se trouve un matin face à Jésus (sans savoir si elle rêve ou non) et lui raconte son désespoir, la descente aux enfers qu’a été son mariage, mais aussi les amitiés qui ont jalonné sa vie, les petits bonheurs auxquels elle s’est accrochée et son combat pour s’en sortir, vacillant entre sa vie d’adulte et les souvenirs d’une enfance souillée. Elle en sortira en femme forte et déterminée à ne pas laisser le passé se répéter.
Les sujets d’actualité comme l’avortement clandestin, l’éducation sexuelle et le libre arbitre de la femme sont traités avec finesse, réalisme, mais aussi avec beaucoup d’humour. La délicieuse naïveté d’une femme-enfant, qui ne semble pas comprendre comment sa vie a pu basculer aussi rapidement, nous touche profondément.
Pour échapper à leur existence de couveuse humaine, Vittoria et les autres femmes du village ont recours aux pratiques les plus abracadabrantes, qui nous sont racontées comme des histoires comiques, bien que cruelles. L’humour dans les propos n’enlève pourtant rien au tragique de la situation. La visite chez une faiseuse d’ange, dite « la fantôme », nous donne les frissons. À travers un récit presque surnaturel et plein de mysticisme, l’histoire de Vittoria dépeint la terrible réalité et la fatalité que subissent les femmes qui n’ont pas d’autre choix que d’avoir recours à un avortement clandestin.
Seule sur scène tout au long de la pièce, Christiane Rausch nous fait voyager entre une profonde émotion face à une vie brisée, mais aussi des moments remplis d’humour et de tendresse, presque ironiques. Son interprétation et son portrait de Vittoria, personnage complexe et torturé, sont si puissants et émouvants qu’elle nous fait passer des larmes au rire en quelques instants (ou plutôt en quelques mots). Elle nous inspire la compassion pour un personnage tragique et le mépris envers toute une société par une seule réplique. La mise en scène de la pièce de La Ruina aurait facilement pu tomber dans le cliché et se transformer en un plaidoyer pour ou contre le droit à l’avortement, une critique des usages et mentalités des campagnes profondes, voire même une polémique politique. Mais ce n’est pas le cas. Malgré les non-dits et les gestes très symboliques de l’actrice, il n’y pas de jugement dans la pièce, juste une histoire à multiples facettes qui nous est contée. Nadège Coste réussit à illustrer un conte moderne sur les difficultés et les rebondissements de la vie, sans jamais prendre position ou justifier l’histoire par les circonstances.
La mise en scène de Nadège Coste est sobre, le décor épuré et sans prétention. Il laisse la place au personnage fort et attachant de Vittoria, porté par Christiane Rausch, qui n’a décidément pas besoin d’artifices pour transmettre ses émotions au public. Des jeux de lumière subtils et quelques brèves morceaux de musique soulignent une ambiance parfois étouffante, parfois joyeuse. La pièce ressemble à une recette de cuisine bien équilibrée, ni trop sucrée, ni trop amère.
Janine Goedert
Kategorien: Theater und Tanz
Ausgabe: 02.11.2012