C’est le ressort que personne ne veut. Entrer au gouvernement, pourquoi pas, mais à la Culture ? Jamais ! Corinne Cahen avait été approchée en 2013, mais elle a décliné l’offre, entendait-on à l’époque, de peur d’affronter cette horde de grincheux que sont les professionnels de la culture. Plutôt gérer une crise de réfugiés et trouver des logements et des encadrements pour 2 500 personnes en détresse face à une population pas forcément si accueillante que de se faire agresser par les auteurs, compositeurs et autres créatifs qui défendent leur bifteck. Maggy Nagel, enthousiaste de Wagner et d’opéra, aimant les belles choses, a eu le courage de s’y essayer – ce fut une erreur, elle a été critiquée comme aucun de ses prédécesseurs, pour son goût, son absence dans le milieu, ses gaffes et ses faux-pas. Au sein du DP, on lui en voulait d’avoir gâché la sympathie que le ministère de la Culture aurait pu apporter au parti, un ministère qui est tout bénéfice, puisqu’il s’agit de dépenser de l’argent public au lieu d’en encaisser. Et pourtant, Maggy Nagel a réussi à être la plus impopulaire des ministres, voire de tous les politiques relevés dans le Politmonitor de TNS-Ilres pour RTL-Luxemburger Wort. « La pression était trop grande », affirmait le Premier ministre Xavier Bettel (DP) en annonçant le remaniement ministériel mercredi (voir p. 5) Ajoutant que bien qu’il estime Maggy Nagel, il respectait sa décision de démissionner. Lex Delles, son successeur à la mairie de Mondorf et jeune député (il a tout juste 31 ans) a vite décliné l’offre de prendre la relève à l’hôtel des Terres Rouges.
Xavier Bettel a donc fait ce qu’il voulait déjà faire en 2013, mais dont son entourage l’avait dissuadé : devenir lui-même ministre de la Culture (comme l’avait déjà été plus tôt Jacques Santer, CSV). Après la Présidence tournante du conseil des ministres de l’Union européenne, qui se termine à la fin du mois, et après avoir laissé la présidence du DP à son amie d’enfance Corinne Cahen, il aura plus de temps pour se consacrer à la politique culturelle et faire avancer les dossiers que lui aura laissés Maggy Nagel : la réforme des Archives nationales et de l’archivage, la modernisation du Musée de la Résistance à Esch, la réforme de la protection du patrimoine, la préparation des Assises culturelles de mars... Pour faire le travail quotidien, il s’adjoint un secrétaire d’État, Guy Arendt, 61 ans, député-maire de Walferdange, avocat d’affaires chez Bonn & Schmitt qui, en bon soldat du parti (dont il est membre depuis 1980), a toujours eu à cœur la défense de la place financière à la Chambre des députés – il fut notamment rapporteur du projet de loi sur l’échange automatique d’informations. Ce sera la même constellation que François Biltgen, ministre, et Octavie Modert, secrétaire d’État, en 2004-2006. Et ceux qui ont une bonne mémoire se rappellent que ce n’était pas forcément efficace de devoir négocier avec deux personnes qui, à l’arrivée, voulaient néanmoins être présentes toutes les deux aux occasions officielles, ouvertures et vernissages. « En culture, il ne s’agit pas d’être de tous les cocktails, le but de la politique culturelle est plutôt de faire en sorte que le monde culturel puisse travailler sereinement », répondait Xavier Bettel mercredi à la question s’il allait être plus présent que Maggy Nagel aux événements culturels. Avant de concéder que bien sûr, lui et Guy Arendt allaient quand même marquer leur soutien à la Culture.
Pour Guy Arendt, qui ne cacha pas sa surprise d’être choisi pour ce poste, ce sera une première de fréquenter les milieux culturels. Certes, le député-maire de Walferdange se veut un défenseur de la littérature luxembourgeoise, en organisant les Walfer Bicherdeeg, la plus grande foire du livre du pays, mais certains éditeurs et auteurs reprochent justement à cet événement d’être davantage des rencontres culinaires que culturelles. Par ailleurs, on ne l’a jamais vu ni dans un musée, ni au théâtre ou au concert. À la Chambre des députés, il est membre de sept commissions, la culture n’en fait pas partie, et sur les quinze questions parlementaires qu’il a écrites depuis le début de la législature, une seule semble toucher la culture – et puis non, à deuxième vue, celle qui interrogeait la ministre sur l’asbl Sauvegarde du patrimoine concernait surtout la protection des données d’un site internet que l’association avait lancé. Il risque donc d’être surtout un exécutant ici.
Mais il est spectaculaire qu’un domaine qui ne représente plus que 0,87 pour cent du PIB ait désormais deux responsables – dont un, Guy Arendt, qui ne fait que ça à plein temps. Mais on peut aussi voir un signe extrêmement positif dans le fait que le Premier ministre lui-même s’occupe désormais du ressort (alors que Jean-Claude Juncker par exemple détestait la culture). Cela peut être un net avantage dans les négociations budgétaires par exemple, parce que si le chef du gouvernement dit à son ministre des Finances que la part de la Culture dans le budget d’État doit à nouveau augmenter pour atteindre au moins le pour cent de rigueur, ce dernier ne va pas faire obstruction. Xavier Bettel est connu pour sa passion pour le pop art, qu’il achète lui-même pour l’accrocher dans son bureau. Sa collection regorge de portraits hauts en couleur de Marilyn à Rimbaud. En outre, sa sœur, Céline Briolotti-Bettel, peint aussi. En tant que ministre des Médias, Xavier Bettel est déjà responsable du cinéma et de son financement – et le secteur l’aime pour les garanties qu’il lui a données, 33 millions d’euros par an, ce n’est pas rien. De par son mandat de maire de la Ville de Luxembourg, il conaît l’importance d’une programmation culturelle de haut niveau pour la place financière et une capitale européenne : les expatriés sont le premier public du Grand Théâtre et de ses accueils haut de gamme en danse et en opéra. La culture comme facteur de compétitivité fut une des premières associations qui lui virent à l’esprit mercredi, en même temps que la valorisation de l’histoire et du patrimoine ou la faculté d’une société de se remettre en question.
À voir donc quelle sera la ligne commune de ces deux hommes au ministère, en charge d’un secteur difficile, qui demande surtout d’avoir des garanties de financement afin de pouvoir créer en toute liberté, un peu de reconnaissance (qui est gratuite) et qu’on protège sa liberté d’expression. Leur premier examen de passage seront les prochaines nominations, du conseil d’administration du Mudam et du Casino. Fidèles soldats du parti ou professionnels du secteur qui ont des compétences reconnues ? Les paris sont ouverts.