L’argent, les services au citoyen, les sensibilités locales et la politique politicienne – rencontre avec Tilly Metz, Mireille Colbach-Cruchten, Ben Homan et Mike Urbing, les quatre membres de la Cellule indépendante fusions communales

La commune sur-mesure

d'Lëtzebuerger Land du 26.10.2012

L’incident Ne plus faire la même erreur qu’en 2008. À l’époque, c’était début juillet, le Luxemburger Wort, avait probablement pas si candidement publié un document interne du ministère de l’Intérieur représentant le pays tel qu’il pourrait se présenter en 2017, selon les vœux de la rue Beaumont. Sur cette carte, le Luxembourg ne comptait plus 116 mais 71 communes autonomes – celles de moins de 3 000 habitants auraient toutes été amenées à fusionner afin de devenir des prestataires de services modernes pour les citoyens et pouvoir offrir partout sur le territoire les mêmes services.
Les députés – et parmi eux, surtout les députés-maires – qui avaient planché durant plus de trois ans sur le schéma idéal d’une réforme territoriale dans une commission parlementaire spéciale, les présidents des partis d’opposition, les maires des communes concernées... tous poussèrent un cri d’exaspération, parce que ce document avait été tenu jalousement secret jusque-là. Les blocages furent immédiats, on reprocha au ministre Jean-Marie Halsdorf (CSV) de se faire dicter ses idées par l’ultra-libéral cercle de réflexion Joseph Bech, qui venait de prôner une « refondation » du Luxembourg. C’est pourquoi Tilly Metz, interrogée sur un nombre idéal de fusions communales à atteindre dans les prochaines années, balaye la question d’un revers de main : « Nous n’allons avancer ni des noms de communes susceptibles de fusionner, ni de nombre. Nous sommes dans une approche qualitative et non quantitative. »
La cellule de crise À 45 ans, la psychopédagogue et psychomotricienne, ancienne porte-parole des Verts et ancienne bourgmestre de la petite commune de Weiler-la-Tour durant la mandature passée (elle ne s’est plus représentée en 2011), est aujourd’hui coordinatrice de la Cellule indépendante fusions communales (CIFC), fondée en juin et forte de quatre personnes aux compétences diverses et qui jouissent d’une décharge professionnelle de entre huit et 28 heures par semaine pour faire ce travail. Nous avons pu rencontrer tous les membres de cette commission parfaitement paritaire (deux hommes, deux femmes) lundi après-midi, jour des réunions hebdomadaires, dans leurs bureaux de la rue Sainte-Zithe. L’année dernière, après qu’il ait fait le tour du pays pour sonder les desiderata des édiles communaux en matière de fusions, le ministre de l’Intérieur Jean-Marie Halsdorf avait annoncé une telle « task-force » et on imaginait rencontrer des agents en uniforme type GIGN, une sorte de cellule de crise qui réponde aux urgences. « Nous avons préféré changer l’intitulé de notre groupe, sourit Tilly Metz, cela nous paraissait trop martial. »
Donc voilà où nous en sommes : depuis 2004, lorsque le gouvernement CSV-LSAP fraîchement élu s’engagea, dans son accord de coalition, à encourager les fusions, seulement vingt d’entre elles ont fusionné en huit nouvelles entités. Six de ces fusions – les nouvelles communes de Käerjeng, Schengen, Park Hosingen, Clerf, Aernzdallgemeng, et Esch/Sauer – ne sont effectives que depuis l’année dernière. Malgré les 2 500 euros par tête d’habitant que reçoit une commune fusionnée, en principe pour des investissements dans des infrastructures utiles, mais la plupart du temps dépensés pour construire des centres culturels et sportifs bling-bling, malgré cet argent donc, il n’y a pas eu de grande vague de concentration. Même les tournées de pèlerin du ministre avec les présidents successifs du Syvicol (Syndicat des villes et communes luxembourgeoises) à travers champs n’ont pas vraiment pu changer grand chose à ces réticences locales. Depuis qu’en octobre 2010, 56 pour cent des électeurs de Koerich s’étaient exprimés contre une fusion avec Septfontaines, l’enthousiasme en avait pris un coup.
Le nouveau terme à utiliser désormais pour désigner le processus est « coaching ». La « cellule indépendante » se veut vraiment indépendante du ministère de l’Intérieur et a, dans un premier temps, durant l’été, écouté les récits des élus dans les communes qui viennent de fusionner, leurs bonnes et mauvaises expériences. Puis, début octobre, la cellule fut présentée au public lors d’une conférence de presse et lança un appel public aux communes de se manifester si elles envisagaient de se réorganiser. Le même appel a en outre été adressé par voie postale aux 58 communes comptant encore moins de 3 000 habitants – le seuil en dessous duquel le ministère estime la gestion des affaires communales courantes comme étant très difficile. Au tournant de cette année, un guide des bonnes pratiques, qui est en cours d’élaboration, sera présenté, puis l’étape du coaching entamée. Au printemps 2014, peu avant les prochaines législatives donc, la CIFC tirera un bilan de ses travaux et fera le point sur l’état d’avancement des éventuelles fusions.
« En fait, raconte Ben Homan (CSV), maire de la commune fusionnée de Schengen, qui apporte ici son expérience de terrain, les citoyens ne voient souvent pas tellement l’intérêt d’une fusion pour eux. Chez nous, à Burmerange, ils nous disaient que tout était bien comme c’était. Mais je leur disais qu’ils se trompaient, que rien n’était bien ». Car dans une petite commune comme celle qui fut la sienne avant la fusion, moins de mille habitants, le maire doit s’occuper « de la moindre bouche d’égout défectueuse » et assister à toutes les réunions de chantier, ce qui lui fait perdre des heures et des heures de temps de travail – alors qu’il n’a même pas assez de congé politique –, et il est tout à fait possible que le citoyen qui a besoin d’un certificat se trouve devant une porte close avec une petite note manuscrite expliquant que le secrétaire communal est malade. Aujourd’hui, à Schengen, 4 300 habitants, la commune emploie une quarantaine de salariés qui assurent son fonctionnement, des fonctionnaires ou employés qui peuvent se spécialiser et se professionnaliser dans les différents domaines. Car non seulement la charge administrative augmente-t-elle de manière exponentielle avec les années, mais en plus, le ton des relations
professionnelles change. Ainsi, raconte le maire, « lorsqu’un bourgmestre reçoit un promoteur qui veut construire sur le territoire de la commune, ce dernier ne se pointe même plus avec un architecte, mais avec... un avocat, qui vous retourne vos règlements en moins de deux en leur faveur ». Il est alors essentiel d’avoir des spécialistes à la hauteur de l’enjeu pour les contrer dans l’intérêt public.
Pas forcément sexy Pour Ben Homan, il est clair que la construction de piscines wellness et de centres culturels avec l’aide financière accordée par l’État, peut être plus facilement exploitée politiquement qu’une nouvelle station d’épuration ou la modernisation de la canalisation et des réseaux du gaz naturel. Mais c’est de ce deuxième type d’investissements que les petites communes, n’ayant que peu de moyens financiers propres, ont besoin en premier lieu. Pour Tilly Metz, toute forme de rapprochement ou de collaboration entre communes est la bienvenue : syndicats intercommunaux à vocation multiple – comme le Réidener Kanton, qu’elle cite en exemple – ou collaborations bilatérales. Pour les communes qui ont construit des complexes scolaires communs, réunissant écoles, maisons-relais et crèches, de telles collaborations sont déjà une réalité ; pour les enfants qui les fréquentent, elles sont une évidence.
Or, « on peut réunir un maximum de données chiffrées et objectives justifiant une fusion entre une commune A et une commune B, explique Tilly Metz, si la chimie entre leurs habitants n’est pas la bonne, rien n’y fera, ça ne fonctionnera jamais ! » Ce fut l’histoire de Koerich et de Septfontaines, par exemple. Inimitiés, vieilles rancunes, accrocs personnels, sensibilités politiques majoritaires, profils socio-professionnels de la population, mais aussi la topographie, les centres commerciaux où les habitants font leurs courses, les anciennes frontières entre les différentes paroisses, les collaborations entres les musiques locales, les scouts, les pompiers ou les clubs de football sont autant de données que la cellule indépendante va collecter avant son coaching des communes. L’idée étant de soutenir des affinités naturelles et de ne rien imposer.
Soft skills et réseaux informels Tilly Metz accorde beaucoup d’importance à ces soft skills et aux réseaux informels, vante la connaissance profonde que Mike Urbing, l’ingénieur-urbaniste du groupe, possède de l’Œsling et des spécificités de sa population (surtout donc des petits villages qui pourraient vouloir fusionner), ou celle des édiles communaux que Mireille Colbach-Cruchten, conseillère au Syvicol, a pu acquérir dans son métier. Cette dernière, d’ailleurs, ne veut surtout pas avoir d’a priori : « Si nous constatons qu’au sein même d’une commune actuelle, un village a une propension naturelle à aller vers une autre commune que le ou les autres villages de la commune, on peut certainement aussi envisager qu’ils se séparent dans le cadre de cette réorganisation. Nous n’excluons aucun scénario. » Le mot d’ordre est le sur-mesure, la recherche de solutions individualisées. Pour Mireille Colbach-Cruchten, comme pour Mike Urbing, il est évident qu’une commune plus grande est mieux outillée pour répondre aussi bien aux attentes des citoyens qu’à celle du ministère, qu’un service technique plus grand permet une spécialisation plus poussée de ses fonctionnaires.
Tilly Metz, comme les trois autres membres, insistent sur l’importance fondamentale que leur accorde leur statut « indépendant » : sans lien de subordination direct vis-à-vis du ministre (et bien qu’ils puissent à tout moment avoir recours à l’assistance des services du ministère), ils se sentent mieux acceptés par les maires, soucieux du respect le plus strict de l’autonomie communale, et se voient confier bien des doléances qui vont au-delà de la portée d’une fusion : congé politique des élus, remarques pertinentes quant aux difficultés que pose le seuil des 3 000 habitants lors d’échéances électorales, lorsque le mode électoral passe du système majoritaire au système proportionnel (et le casse-tête de la constitution de listes par parti dans des villages sans tradition de politique politicienne, où on vote pour des personnalités en non pas pour des partis), inégalités dans le système de redistribution des recettes communales, nécessité d’une redéfinition des missions du commissaire de district, réforme administrative – les sujets qui fâchent sont nombreux, soigneusement notés dans les rapports de réunions dont un résumé anonymisé sera transmis à intervalles réguliers au ministre. Un groupe d’accompagnement constitué de représentants de tous les partis assistera en outre la Cellule indépendante dans ses efforts.
Tout se passe comme si, pour Jean-Marie Halsdorf, cette fois devait vraiment être la bonne. Ni lui, ni le gouvernement ne peuvent plus faire de faux-pas dans leur grande entreprise qu’est la réforme territoriale, qui fut jadis lancée pour « moderniser le pays ».

josée hansen
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