Le 10 juin 2011, au lendemain de la signature en grande pompe avec le Sheikh Hamad Bin Jassim Bin Jabr Al Thani, Premier ministre du Qatar, de la prise de participation de 35 pour cent de Qatar Airways dans Cargolux, Luc Frieden, ministre des Finances, CSV, qui fut l’artisan de cette arrivée des Qataris, a refusé de s’expliquer devant les députés sur le détails de la transaction : « Monsieur le ministre des Finances précise qu’en raison de l’existence d’un accord de confidentialité, il lui était impossible d’informer les députés (après) la signature de l’accord en question », signale le procès-verbal de la réunion des trois commissions parlementaires (Finance et budget, Développement durable, Économie et commerce extérieur).
Luc Frieden soulignait toutefois que l’accord de la veille (9 juin) mettant fin au rôle d’actionnaire de l’État luxembourgeois (en tout cas directement), entré en 2009 à titre temporaire dans le capital de la compagnie de fret pour la sauver de la faillite, avait permis de toucher un montant de 25,5 millions de dollars en contrepartie des huit pour cent et de réaliser ainsi une plus-value de 2,5 millions de dollars par rapport au prix d’acquisition de novembre 2009. Or, l’axiome de l’État gagnant ne correspond pas à la réalité : d’abord parce que l’État n’a jamais dit à quel prix il avait acquis les titres de la compagnie suisse en faillite SAir, en novembre 2009, même si des informations circulent à ce propos (un câble de l’ambassade américaine – lire aussi ci-contre – parle de 34 millions de dollars), qui ont d’ailleurs servi d’étalon aux Qataris, lorsqu’ils firent une première offre à 100 millions de dollars – soit 28,57 dollars par action – aux Luxembourgeois en février 2010 pour rentrer dans le capital de Cargolux. Refusée, car trop basse, cette première offre du Qatar fut non-contraignante ; leur seconde proposition, qui fut ensuite retenue, fut conclue le 14 mars 2011, la veille du refus qui sera opposé aux Indiens d’Hinduja de racheter la KBL, laquelle banque ira ensuite aux mains des Qataris.
Seconde raison qui relativise la prétendue bonne affaire que l’État aurait faite : le taux de change entre le dollar et l’euro, peu favorable à la monnaie européenne. Enfin, et c’est l’essentiel, l’ouverture au Qatar de 35 pour cent de Cargolux n’a rien d’une opération rentable ni d’un fait de gloire pour l’État, ses satellites (BCEE et SNCI) et Luxair, qui cumulaient alors entre eux plus de 85 pour cent du capital. En pleine rigueur budgétaire et alors que le secteur aérien battait de l’aile, frappé de plein fouet par la crise, tous les actionnaires publics ou semi-publics comme la Spuerkeess, la SNCI et Luxair ont dû renoncer à toucher le surplus de dividende auquel ils auraient pourtant eu droit pour avoir contribué en 2009 à la recapitalisation de la compagnie aérienne (100 millions de dollars) et à son sauvetage. Seuls les actionnaires privés, BIP et Luxavantage, et dans une moindre mesure les actionnaires individuels, ont eu droit en juin 2011 à un traitement de faveur pour sortir, tête haute, du capital de Cargolux et faire la place au Qatar.
On ne trouvera nulle trace dans les statuts officiels de la compagnie aérienne de la manière dont la sortie fut organisée, permettant par exemple à un actionnaire privé comme BIP, 11,5 pour cent du capital, qui détenait moins d’actions privilégiées, créées spécialement à l’hiver 2009 pour que Cargolux ne soit pas en défaut de paiement, que la Spuerkeess ou la SNCI (Luxair en avait le plus), de toucher un pactole supérieur aux autres actionnaires publics ou semi-publics. BIP tirera au final de la cession au Qatar pour un total de 117,5 millions de dollars, un montant de 42,354 millions de dollars de la vente, dont 20,4 millions pour ses quelques 461 600 actions privilégiées. Luxair aura droit à 27,75 millions, alors que si la compagnie aérienne avait été traitée selon les règles appliquées à BIP, elle aurait pu dégager 101 millions de dollars supplémentaires pour son paquet de 2,29 millions d’actions privilégiées. La Spuerkeess, qui en tira au total 6,976 millions de dollars, aurait pu recevoir théoriquement elle aussi une enveloppe supplémentaire de 25,5 millions pour ses 577 416 titres B. Avec ses 564 322 actions privilégiées, la SNCI aurait pu espérer quant à elle 20,5 millions de dollars de plus. Elle a récolté au lieu de ça la modeste somme de 6,8 millions de dollars. On comprend sans doute mieux pourquoi la société a démissionné à l’automne 2011 du conseil d’administration de Cargolux. Elle y est revenue depuis lors.
Voilà pourquoi aussi le deal du 9 juin est frappé , sur certains aspects, par le sceau de la plus stricte confidentialité et qu’il s’est fait en marge de la légalité et des principes d’égalité, sous la forme d’un contrat fiduciaire avec une banque de la place, ING Luxembourg, elle-même tenue au plus strict secret professionnel. Au-delà de la question morale du traitement « asymétrique » servi à certains actionnaires et pas d’autres, et accepté, sinon couvert au plus haut niveau politique, on peut se demander dans quelle mesure le droit des sociétés a été respecté. Accessoirement, on peut s’interroger sur les motivations de ce montage juridique apparenté à un exercice de haute voltige financière, souvent utilisé par les investisseurs désireux de se cacher derrière des faux-nez : il faudrait être naïf en tout cas pour croire que l’opération Cargolux a uniquement été conclue par pur pragmatisme, pour permettre à l’acheteur Qatar Airways de faire une seule et même acquisition plutôt que de traiter séparément avec chaque actionnaire pour arriver à un quota de 35 pour cent dans la compagnie de fret. Ça aurait aussi probablement coûté moins cher, ING ayant été généreusement rémunérée pour son intervention.
9 juin, avec le concours d’ING
Le 9 juin 2011, l’État luxembourgeois, représenté par Luc Frieden, ministre des Finances et son collègue des transports Claude Wiseler, également CSV, se retrouvent aux côtés des dirigeants de Luxair, de la BCEE, de la SNCI, de BIP Investment Partners (représentés par Norbert Becker, un des administrateurs, et François Pauly, qui en était alors l’administrateur-délégué) et de la Sicav Luxavantage, tous actionnaires de Cargolux et détenteurs d’actions de catégorie B, sauf l’État luxembourgeois qui ne disposait que d’actions ordinaires, se retrouvent en face d’ING Luxembourg, représentée, elle, par son administrateur-délégué Rik Vandenberghe. Il y a aussi dans le tour de table Marc Hoffmann, le président du conseil d’administration de Cargolux, et Frank Reimen, président du comité de direction. Cet aéropage de personnalités de la politique et de l’économie se rencontre pour signer un contrat fiduciaire (il y a donc d’un côté les fiduciants, propriétaires des actions et de l’autre la banque, qui sert de fiduciaire) afin de permettre à Qatar Airways de disposer par une seule et unique acquisition de 35 pour cent des droits économiques et sociaux dans Cargolux. Le basculement des actions d’une main à l’autre se fait en plusieurs étapes : la première consiste au transfert par chaque fiduciant d’actions ordinaires (A) ou d’actions privilégiées (B) émises par Cargolux au fiduciaire ING pour que la banque en fasse le portage jusqu’à la date du « closing » (fixée théoriquement au plus tard le 30 juin 2011), ultime étape de la vente à Qatar Airways. Dans une phase intermédiaire, ING convertit les actions de classe B en actions ordinaires, puis en transfère la propriété à Qatar Airways contre le paiement des 117,5 millions de dollars prévus. L’argent fut ensuite redistribué à leur véritable propriétaire. Pour la circonstance, la banque avait ouvert un compte à la Bank of America à New York (compte numéro : 6550.8.67945). Pour avoir servi à faire ce discret portage, ING Luxembourg sera rémunérée par Cargolux d’une commission d’engagement de 150 000 euros hors TVA et d’une commission de portage (200 000 euros à la signature du contrat fiduciaire et une commission en dollar correspondant à 0,8 pour cent l’an du prix de vente). Pour ne laisser aucune trace de l’opération fiduciaire, Cargolux devait envoyer aux fiduciants, comme si de rien n’était, les convocations à toute assemblée générale des actionnaires. La présence d’ING y aurait été suspecte. ING est seulement autorisée à divulguer la nature fiduciaire de son intervention si cette divulgation devait être rendue obligatoire par une décision de toute autorité compétente ou afin de préserver ses intérêts dans le cadre d’un litige. Bref, le secret bancaire pourra être levé pour l’établissement si par exemple la justice ou la Commission européenne s’intéressaient au complexe montage ayant servi, entre autres, à cacher des versements de dividendes par Cargolux, alors que la Commission européenne les interdisait, en raison notamment de garanties d’État sur des prêts de la compagnie aérienne.
Un autre contrat, toujours daté du 9 juin, entre Qatar Airways et ING, en présence de Cargolux, permettra à la banque, éphémère propriétaire de plus d’un tiers du capital de la compagnie aérienne, de s’en débarrasser. L’affaire s’est jouée en coulisses. Il a suffi ensuite de régulariser la situation à travers des modifications de statut, étape qui interviendra à la fin de l’été 2011.
Ces petits arrangements furent précédés de négociations plutôt musclées entre les autorités luxembourgeoises, et principalement Luc Frieden, et les actionnaires de Cargolux, qui allaient ainsi couvrir, pour certains en se pinçant le nez et en serrant les fesses, des pratiques peu orthodoxes au regard du droit des sociétés et contourner des contraintes réglementaires européennes. Dans une première étape, il a fallu régler leur sort aux petits actionnaires individuels de la compagnie, qui avaient également souscrit en décembre 2009 des actions privilégiées : ils reçurent des « parts fondateurs » en échange de la conversion de leurs titres B. L’affaire fut entendue.
Le traitement des actionnaires institutionnels non-publics fut par contre une autre apire de manche. Les conditions de prix et de sortie de Cargolux proposées par le Qatar ne leur convenaient pas. Ils risquaient de faire échouer l’accord avec Doha. D’où l’idée de recourir à la fiducie pour ouvrir plus d’un tiers du capital aux Qataris, sans que ces derniers n’aient à faire monter les enchères. Car le prix conclu après les négociations entre Doha et Luxembourg n’était plus négociable. Pour parler un peu trivialement, il fallait se partager le fromage à 117,5 millions de dollars et certains ont eu droit à un plus gros morceau que d’autres.
Le passage par un contrat fiduciaire a assurément été dicté par le souci du gouvernement de dissimuler ce qui aurait été interprété comme des aides d’État. Politiquement aussi, la pilule ne serait pas passée. Comment justifier le sacrifice des dividendes privilégiés, qui auraient dû revenir autant aux sociétés contrôlées par l’État qu’aux actionnaires privés, lorsque l’on passe le rabot sur des aides sociales et qu’on exige de la population qu’elle se serre la ceinture en attendant que la crise passe ? C’est aussi à se demander si ce renoncement n’était pas déjà inscrit dans les gênes de la compagnie de fret lorsque ses statuts furent remaniés en décembre 2009, après que SAir ait cédé les titres. Les actions B furent alors émises pour inciter les actionnaires existants à recapitaliser l’entreprise, alors que tous les signaux étaient au rouge et qu’il était clair que la société allait payer cher son implication dans une entente sur les prix dans le secteur du fret (une amende de près de 120 millions de dollars aux États-Unis, d’anciens dirigeants en prison, une procédure toujours en cours au niveau de l’Union européenne et pas mal d’autres casseroles ailleurs dans le monde).
Si une société comme BIP participa alors au sauvetage, c’est évidemment qu’une carotte avait été tendue aux actionnaires : les actions B, émises pour la circonstance, avaient été assorties de privilèges, notamment la garantie irrévocable du paiement d’un dividende correspondant à 12,5 dollars par titre. Tous les actionnaires de la compagnie (Luxair, BCEE, SNCI, BIP, Luxavantage, ainsi que les actionnaires individuels) participèrent à l’augmentation de capital portant sur 100 millions de dollars, sauf l’État luxembourgeois, qui venait d’arriver directement dans le capital avec 8,02 pour cent des titres. Il lui était impossible d’injecter directement de cash, au risque d’enfreindre les règles du marché intérieur.
Il y a une touche d’ésotérisme dans les conditions de cette recapitalisation à cent millions de dollars. On ne s’explique pas pourquoi en décembre 2009, la refonte des statuts de Cargolux accordait déjà la possibilité théorique à certains de ses actionnaires de ne pas toucher de dividende au titre des actions B qu’ils allaient souscrire. Quel investisseur normalement constitué accepterait pareille ineptie ? Comme si implicitement, on avait préparé le lit aux actionnaires privés, en leur offrant de manière anticipée une sorte de primauté dans le droit de sortie du capital de Cargolux. Ce que, d’ailleurs, une source proche de BIP ne dément pas en parlant de « droit à la liquidité » implicitement accordé aux actionnaires privés. Ces artifices, inscrits dans les statuts fin 20091, ressemblent à une aide d’État savamment déguisée. La Commission européenne, si prompte d’ordinaire à épingler les coups de pouces des gouvernements à leurs canards boiteux, n’y aura vu, en tout cas, que du feu. L’État luxembourgeois n’a eu qu’à se justifier à Bruxelles, qui accepta d’ailleurs son argumentation, pour les garanties qu’il apporta à des prêts de la compagnie aérienne (140 millions de dollars), indispensables pour financer l’achat de ses avions. En contrepartie, la Commission exigea que la compagnie ne verse pas de dividende aussi longtemps que les garanties d’État seraient en place. Ce qui est encore partiellement le cas aujourd’hui.
Cette caution étatique fut validée par Bruxelles, après que les représentants du ministère des Transports eurent assuré aux agents de la Commission européenne qu’aucun acheteur n’avait manifesté d’intérêt pour le rachat de la compagnie et que l’intervention de l’État luxembourgeois était la seule issue pour sauver la compagnie. Ce qui n’était pas exact, des offres ayant été formulées aux autorités (lire ci-contre).
Retour à l’été 2009 et aux sacrifices qui furent exigés des sociétés liées à l’État pour satisfaire les revendications (d’ailleurs légitimes) d’investisseurs privés. Dans le cadre des transactions du 9 juin, Luxair, la BCEE et la SNCI s’engagèrent à convertir les actions B, donnant droit normalement à un dividende garanti de 12,5 dollars par action, en actions ordinaires sans demander le « bonus » qui y était assorti, comme ils en avaient pourtant la possibilité. En revanche, BIP (société cotée) et Luxavantage (Sicav réglementée), toutes deux sous le contrôle de la Commission de surveillance du secteur financier, ne sacrifièrent pas ce « droit à la liquidité » et, lors du fameux « portage » par ING, elles « instruisirent » la banque de convertir les actions B en actions A ordinaires sans renoncer à leur droit au dividende préférentiel. Les actionnaires individuels, marginaux en termes de poids économique dans la société, eurent droit eux aussi à une rétribution similaire. Un prix par action ordinaire de 31,69 dollars et de 44,19 dollars par action de classe B fut servi.
Pour BIP et Luxavantage, l’impact financier sera respectivement de 3,6 millions de dollars et de 700 000 dollars. « Le gouvernement a fait un geste, bien qu’il était très insuffisant », explique sobrement au Land une source proche de BIP. La société de participations négocia d’ailleurs à couteaux tirés et souvent en direct avec le ministre des Finances et le président du Conseil d’administration de Cargolux, alors Marc Hoffmann. Des lettres leur furent adressées pour leur rappeler combien BIP leur fut utile en 2009 pour sauver la compagnie du naufrage et que cette intervention n’avait pas été un acte de charité. Il fallait donc faire ce « geste » pour que BIP accepte de se libérer de son paquet de titres Cargolux et permette ainsi la cession au Qatar. Intraitable sur le prix de vente, Luc Frieden finira quand même par « sympathiser » à la cause de BIP (et accessoirement de Luxavantage) pour leur servir un meilleur traitement qu’aux actionnaires publics et à Luxair.
Précédée de discussions dignes de marchands de tapis, auxquels d’ailleurs les Qataris n’ont pas pris part, jugeant qu’il s’agissait là d’un problème luxo-luxembourgeois, une réunion sur le sort des actions de type B eut lieu début mai 2011 entre les actionnaires de l’État, Marc Hoffmann de Cargolux et Luc Frieden, après que les dirigeants de BIP se sont plaints de l’offre à prix bradé des Qataris et aient été jusqu’à brandir la menace de l’intervention d’une banque privée pour faire faire une valorisation plus réaliste de la compagnie aérienne, ce que ni les dirigeants de Cargolux ni le gouvernement ne souhaitaient. Luc Frieden était donc coincé entre ses promesses faites aux Qataris et la pression exercée par un très influent actionnaire privé. « Qui aurait voulu de nos actions Cargolux ? » souligne, réaliste, un proche de BIP. La société cherchait à en sortir depuis 2009, notamment en raison des risques qui pesaient sur l’entreprise de fret (ententes illégales sur les prix, accusation de corruption, mauvaise gouvernance). Pour autant, BIP avait participé à l’augmentation de capital de Cargolux fin 2009.
La création à cette époque des actions B, avec l’option pour certains des souscripteurs de mettre de l’argent à fonds perdus en jouant le rôle de la Croix rouge (puisque, théoriquement, ils pouvaient déjà renoncer à se faire rémunérer leurs actions privilégiées), suivie de la recapitalisation étaient destinées à faire de Cargolux une entreprise « vendable » à un partenaire stratégique, alors que, économiquement, rien ne justifiait cette opération.
En obtenant un traitement de faveur au détriment des sociétés publiques ou para-publiques et plus largement des contribuables, BIP n’a fait, somme toute, que tirer partie des faiblesses et des contradictions d’un gouvernement ou d’un ministre qui est allé brader par paquet de trois aux émirs du Qatar des fleurons de l’industrie luxembourgeoise. Il faut maintenant rendre des comptes.
Acheteurs en rang d’oignon
Avant même que le ministre des Finances Luc Frieden, CSV, n’aille au Qatar serrer la main au Sheick Al Thani, un peu comme au troc, pour y vendre, entre autres, la participation de Cargolux (pour cent millions de dollars au départ en février 2010, mais le prix devant le tollé de protestations même dans les rangs des actionnaires proches sera révisé à la hausse à 117,5 millions de dollars), des propositions avaient été soumises aux autorités pour entrer dans un partenariat avec la compagnie de fret. Deux offres crédibles étaient alors sur la table, et pour l’une d’elles des négociations sur une base exclusive avaient été entamées, brutalement interrompues par l’idylle avec le Qatar.
L’offre de Corinthian Capital C’est grâce au site Wikileaks et aux fuites de câbles diplomatiques classés confidentiels entre l’ambassade américaine de Luxembourg et le secrétariat d’État à Washington que l’on apprend l’intérêt du groupe financier américain, Corinthian Capital, au rachat de la participation de 33,7 pour cent du capital (représentée par 2 021 553 titres) abandonnée par le Suisse SAir et temporairement portée par l’État luxembourgeois, la Banque et Caisse d’Épargne de l’État, la Société nationale de crédit et d’investissement et Luxair (ni BIP, ni Luxavantage n’y participèrent). Selon des informations glanées dans les milieux du private equity à New York, relève un diplomate à sa hierarchie dans une note datée du 2 décembre 2009, le fonds d’investissement proche de Corinthian Capital a engagé des négociations avec Cargolux sur un possible investissement de l’ordre de 70 millions de dollars dans la compagnie. Le gouvernement luxembourgeois, souligne le câble, semble réservé sur la suite à donner à cette offre : d’un côté Luc Frieden, alors présenté comme le lieutenant du Premier ministre Jean-Claude Juncker, est considéré comme étant « très réceptif » à la cause américaine et de l’autre le ministre de l’Économie Jeannot Krecké, LSAP, qui se montrait plutôt réticent à l’arrivée du fonds US. Les dirigeants de la compagnie seront également approchés, mais déclineront finalement une candidature qui ne cadrait pas avec la recherche d’un « partenaire stratégique ». Or, si la mise financière de Corinthian n’était pas follichonne pour le rachat des parts de SAir, son plan d’affaires ne manquait pas d’intérêt : la firme US venait de remporter un gros contrat de fourniture de matériel non stratégique (350 millions de dollars par an) pour le compte de l’armée américaine stationnée en Afghanistan, qui aurait assuré le remplissage de trois vols par jour à Cargolux.
L’offre de HNA Group Europe Le groupe chinois HNA exploitant, entre autres Hainan Airlines Company, avait constitué en octobre 2010 au Luxembourg la société de participations HNA Group Europe, avec un capital initial de 75 000 euros et un capital autorisé de 300 millions d’euros dans le but de s’installer au Findel. La société avait fait une proposition au ministre des Transports Claude Wiseler, CSV, de 175 millions de dollars pour le rachat de la participation SAir, donc bien supérieure aux 100 millions puis 117,5 millions du Qatar. L’offre, selon le représentant luxembourgeois de la compagnie chinoise, Jacques-Yves Henckes, avocat (il est également député ADR), prenait en compte la valeur comptable des actions Cargolux au 31 décembre 2010. Elle était assortie d’un prêt à deux pour cent de 200 millions de dollars que le gouvernement chinois accorde à ses entreprises pour encourager leur déploiement international. « Notre offre était financièrement et économiquement meilleure que celle du Qatar », affirme Jacques-Yves Henckes dans un entretien au Land. La structure luxembourgeoise est en veille mais prête à être réactivée, au cas où. La révélation de l’intérêt des Chinois par le blogueur Egide Thein (sur son site Feierwon) avait en tout cas causé une certaine panique chez les actionnaires privés de Cargolux, qui étaient en pleine négociation du prix de leur sortie de Cargolux pour y faire la place aux Qataris. On soupçonnait volontiers ces derniers d’être capable d’acheter la compagnie luxembourgeoise au rabais pour ensuite la revendre plus cher aux Chinois.