À quel âge mon enfant peut-il recevoir un ordinateur ? Faut-il vraiment lui offrir un téléphone portable pour ne pas l’isoler de ses amis ? Comment décortiquer le contenu d’un journal ? Pourquoi y a-t-il autant de publicités à la télé ? Comment protéger mon réseau informatique à domicile ? Que font les réseaux sociaux de mes données ? Est-ce que le fait de consommer des jeux violents rend violent ?
Tous les jours, parents, enseignants, éducateurs et les enfants eux-mêmes tentent de trouver des réponses aux incertitudes face aux médias et leurs contenus. L’école pourrait être l’endroit où les enfants pourraient être initiés à l’utilisation des médias, à comprendre leur langage et à devenir attentifs aux dangers qui les guettent, notamment sur Internet. Cependant, malgré plusieurs initiatives et actions de sensibilisation lancées au cours des dernières décennies, l’éducation aux médias n’a toujours pas lieu de manière systématique dans les écoles.
Pourtant, début 2010, on aurait pu croire que les choses allaient enfin bouger. Le député Claude Adam (déi gréng) avait déposé à la Chambre une motion invitant le gouvernement « à étendre l’éducation aux médias à tous les niveaux de l’enseignement fondamental et secondaire, (…) de définir les compétences minimales à acquérir aux différentes étapes du parcours scolaire » et à encourager son « intégration à la formation initiale et continue de tous les professionnels du secteur éducatif et socio-éducatif ». Le texte a obtenu le soutien de la majorité parlementaire et la motion fut approuvée à main levée par la Chambre.
La réaction gouvernementale arriva sur le pied : en avril, la ministre de l’Éducation nationale Mady Delvaux-Stehres (LSAP) présenta aux députés le cadre de référence Medienerziehung und Medienbildung in der Schule (éducation aux médias et formation aux médias). Le document avait été [-]élaboré par le professeur allemand Gerhard Tulodziecki1, en collaboration avec des experts luxembourgeois, sur commande du ministère. Il est censé servir dorénavant de cadre de référence en la matière. Un an et demi plus tard, on constate que si les choses bougent, elles ne le font que très lentement.
Au Luxembourg, il a entre autre fallu plus de trente ans d’activités diverses, dispersées dans les écoles et lycées, la création et la disparition d’une association défendant les intérêts des chargés de cours en médias et deux séminaires du Conseil national des programmes restés quasiment sans écho, pour que le gouvernement bouge un peu. Le concept national proposé par l’expert en pédagogie des médias comprend une analyse de la situation de départ au Luxembourg. Il note que la plupart des initiatives existantes dans les écoles ou lycées sont ponctuelles, tributaires de l’engagement personnel des enseignants qui les dirigent. Elles fonctionnent comme des électrons libres, ne s’intègrent pas toujours dans un projet d’établissement, ne disposent pas souvent d’un concept pédagogique et ne sont donc ni transposables, ni durables, bien que financées par des deniers publics.
Au niveau national, il n’existe aucune instance de coordination capable de conseiller, d’accompagner et de coordonner les différents projets médiatiques. L’absence, jusque récemment, d’un concept national ne permet en outre pas non plus aux acteurs de se situer par rapport aux différents aspects de la pédagogie des médias. Mais le constat le plus dramatique pour un système scolaire qui se veut équitable, reste le fait que très peu d’élèves peuvent participer à une activité médiatique. L’année 2011, année trois de la réforme dans l’enseignement fondamental, entraînera-t-elle le changement?
La loi de 2009 sur l’enseignement fondamental indique clairement que « l’éducation aux médias est intégrée dans les différents domaines ». Les nouveaux plans d’études de l’enseignement fondamental, publiés en ligne sur le site du ministère de l’Éducation nationale, sont moins formels, même si l’éducation aux médias y figure comme compétence transversale. On peut y lire par exemple (pour le cycle 3) : « L’élève décrit certains mécanismes des médias et dispositifs techniques dans la vie quotidienne » ou « l’élève s’exprime sur le rôle, l’impact et les dangers des médias dans la vie de tous les jours » (cycle 4). Plus loin, dans les annexes du règlement grand-ducal datant du 11 août 2011, le ministère fait savoir que les compétences transversales « sont à développer au cours de l’enseignement fondamental dans les différents domaines de développement et d’apprentissage ». Suivent cinq pages de descriptions de compétences et des exemples « de performance ». On y parle uniquement du traitement de l’information, de l’utilisation, de la création et de la diffusion de contenus médiatiques, de l’évaluation de (la qualité) de contenus. Peut-on espérer que les autres volets de l’éducation aux médias se dissimulent derrière ces formulations ?
L’état des lieux tracé par le professeur Tulodziecki fait aussi état des initiatives existantes dans le domaine de l’enfance et de la jeunesse, dépendant, d’un point de vue administratif, du ministère de la Famille : le Service national de la jeunesse, les maisons relais, les activités pour jeunes, etc. Sans oublier des formations proposées par Bee secure, initialement financées par le ministère de l’Économie et ayant trait à la sécurité informatique du multimédia. Le ministère de la Culture (avec [-]notamment le Centre national de l’audiovisuel) et le Service des médias semblent moins actifs.
Faut-il se réjouir de l’assise légale et en conclure que l’éducation aux médias est dorénavant solidement ancrée dans les matières enseignées ? Peut-on espérer que le secteur de l’enfance et de la jeunesse suivra et que la société comprendra enfin la nécessité d’une éducation aux médias pour le grand public ? Ce serait probablement un peu tôt. Développer les compétences des élèves passe par un apprentissage encadré par un enseignant et/ou éducateur. Or, ceux-ci ne disposent pas tous des compétences nécessaires pour construire les situations permettant aux jeunes de mieux comprendre les médias. Très peu de formations ou de conférences s’adressent aux parents et grands-parents, premiers à être directement impliqués dans l’éducation des jeunes.
Réforme de l’enseignement oblige, le gouvernement demande actuellement de gros efforts au personnel intervenant dans les écoles. Les nouvelles manières d’évaluer les élèves et de communiquer au sein de la communauté scolaire appellent au changement d’habitudes et des mentalités. Des socles de compétence sont censés servir d’indicateurs, précisant les buts à atteindre au bout d’un cycle d’enseignement. L’éducation aux médias pourrait parfaitement s’y intégrer. Mais elle constitue une discipline transversale et son intégration nécessiterait une réflexion sur la manière d’enseigner. Elle risque en plus d’être perçue comme une autre nouveauté qui fait peur, vu ses aspects techniques.
Autre difficulté de taille : les enseignants travaillant dans les écoles et lycées luxembourgeois ne disposent pas de la même formation de base. Certains ont pu, dans le cadre de leurs études en sciences, maths ou langues, acquérir des notions de pédagogie ou de didactique des médias. Une telle formation en vue d’un enseignement des et avec les médias ne fait pas obligatoirement partie d’un cursus universitaire. Même l’Université du Luxembourg, principal fournisseur d’instituteurs et institutrices pour l’enseignement fondamental communal, initie seulement à certains aspects du multimédia. Au Lycée pour professions éducatives et sociales, pédagogie des médias rime seulement avec langage, conception, organisation et production des médias. Qu’en est-il des autres aspects comme la didactique ?
Autre handicap : les intérêts personnels des enseignants, leurs compétences pour manipuler des appareils techniques, leur imagination pour intégrer les médias dans leurs cours varient fortement d’une personne à l’autre. Sans obligation pour les enseignants de travailler avec les médias et sur des contenus médiatiques, les élèves ne sont pas préparés de la même manière. Les lycées, de leur côté, ne disposent pas tous du même équipement : certains établissements ont développé des projets pédagogiques autour d’une radio d’école, d’ordinateurs portables ou d’un studio de télévision, d’autres se limitent à participer, une fois par an, à la « semaine de la presse », [-]organisée en collaboration avec le Conseil de presse.
Les médias occupent une place croissante dans la vie de chaque personne, indépendamment de son âge. Ils constituent un formidable outil d’information, mais servent aussi à l’amusement, à la communication, à la formation. L’école ne peut pas ignorer les médias. Tout comme l’apprentissage de la lecture, elle doit aider les élèves à développer des compétences qui leur permettent de se servir de manière passive ou active des médias, mais de manière raisonnable.
Il serait donc également important que les futurs enseignants et éducateurs soient, dès leur formation initiale, sensibilisés aux concepts et aux enjeux de l’éducation aux médias. Il faudrait qu’ils apprennent à incorporer celle-ci à leur enseignement, que ce soit dans l’apprentissage dans les matières et les langues, ou dans le développement de concepts comme par exemple l’éducation à la citoyenneté.
Une personne bien informée a davantage de facilités à s’orienter dans un monde qui devient de plus