Première rentrée pour les nouvelles recrues, incorporées dans l’armée sous le nouveau régime, introduit par la réforme de décembre 2007. Dorénavant, les soldats-volontaires signent pour trois ans de période militaire, suivis d’un an de reconversion, la période de préparation à la vie civile. Pour ces douze mois, ils peuvent choisir entre deux options : l’école de l’armée ou la reconversion proprement dite, la préparation pratique à une profession. Aujourd’hui, les efforts de reconversion sont davantage ciblés vers le secteur privé, car la pénurie d’embauche a aussi atteint l’univers protégé de l’armée, où les candidats étaient habitués à être gratifiés d’un poste garanti auprès de l’État, en guise de remerciement pour avoir été prêts à risquer leur vie dans des missions militaires à l’étranger, dans les Balkans ou en Afghanistan par exemple.
Certes, ils ont toujours la priorité absolue pour les carrières de brigadier de police, sous-officier des établissements pénitentiaires, caporal de carrière, gardien de l’armée, préposé des douanes et sous-officier de l’armée. Pour la fonction d’agent municipal, par exemple, d’employé B et C, agent de pompier, contrôleur des trains, garçon de salle, surveillant ou inspecteur de police, il leur faut soit un niveau d’études minimum (neuvième ou onzième), soit un examen de passage.
L’école de l’armée a donc pour mission de les aider à obtenir le niveau scolaire nécessaire pour pouvoir se présenter pour certains postes, ou bien de les préparer à réussir les examens d’entrée pour d’autres carrières – où ils auront la priorité sur les candidats civils – s’ils réussissent le test. « Si par le passé les débouchés étaient principalement ciblés sur les emplois au sein de la Fonction publique, la reconversion a également pour but de rendre les soldats-volontaires davantage conscients des opportunités existantes dans le secteur privé, » est-il précisé dans un communiqué de presse de l’armée. C’est une façon fleurie de mettre en garde les volontaires qui voient dans l’armée le bon filon pour trouver un job auprès de l’État – l’armée n’arrive plus à placer quelque 150 candidats par an à la Fonction publique, c’est un fait. Ce n’est plus un automatisme et la compétition s’annonce dure.
Cependant, l’armée regroupe deux différentes catégories de soldats, ce qui rend le phénomène de concurrence plus rude encore. Tout se joue après quatre mois d’instruction de base, au tout début de leur carrière de soldat, où les meilleurs sont sélectionnés pour faire partie d’une Udo, unité de disponibilité opérationnelle. Deux tiers des soldats-volontaires se qualifient pour faire partie d’une Udo. Ils se déclarent alors prêts à se rendre en mission militaire à n’importe quel moment. Cet engagement leur assure non seulement une prime de disponibilité de 300 euros par mois, mais surtout la super-priorité de l’emploi par rapport à l’autre tiers de leurs camarades, qui n’ont pas été sélectionnés ou ont préféré s’occuper des services administratifs et logistiques de l’armée. Donc en pratique, si un poste dans la fonction publique se libère et qu’un Udo est intéressé, ce n’est plus la peine pour les autres de se porter candidat. La carrière d’employé de l’État par exemple, est réservée en exclusivité aux Udo.
Cette différence de traitement cause bien sûr des tensions entre les deux classes de soldats. Surtout qu’il y en a encore une centaine qui font partie de l’ancien régime, les derniers soldats qui ont été recrutés du temps où ils pouvaient rester dans l’armée pendant quinze ans et qui ne font pas partie des Udo non plus. « C’est vrai que ce système de super priorité à l’emploi pour un Udo peut créer du mauvais sang parmi les soldats, reconnaît le lieutenant-colonel Robert Kohnen, directeur de la reconversion, mais il s’agit d’une forme de reconnaissance spéciale pour ceux qui ont été prêts à risquer leur vie en mission. »
Et de citer l’exemple de la carrière d’inspecteur de police, où les services de l’ordre public recrutent chaque année une soixantaine de candidats sur examen – chacun aurait donc sa chance, insinue-t-il. Or, justement, aucun élève de l’école de l’armée n’a réussi à le passer – il y a quelques années, le taux de réussite avoisinait les 80 pour cent. « Il faut dire que ces examens ne sont plus adaptés au niveau de l’enseignement, explique Guy Thill, le directeur de l’école de l’armée, la plupart de ceux qui réussissent ont un niveau supérieur à une onzième. Nous avons même le sentiment que ce n’est pas un hasard que les exigences soient devenues tellement élevées que les candidats de l’armée en soient exclus de fait. »
Actuellement, la plupart des cent élèves inscrits à l’école de l’armée au centre militaire du Häerebierg à Diekirch est âgée de 21 à 29 ans. Les pavillons ont été construits dans les années 1950 et n’ont pas été rénovés depuis. L’odeur est fétide, le mobilier rustique, l’armoire métallique à corvées béante. Le projet de la nouvelle école, annoncé pour 2010, a été sacrifié après les coupes budgétaires.
Une quarantaine suivent la filière du lycée technique : huitième théorique, neuvième théorique, neuvième polyvalente, dixième et onzième commerce (T0CM et T1CM). Ce sont les classes qui permettent de se préparer à un examen qui les intéresse – en ce moment, beaucoup sont attirés par la carrière de douanier. On dit que le climat entre collègues y serait meilleur qu’ailleurs. Le défi est d’achever une classe en un seul semestre. Ils doivent donc passer deux étapes en une seule année. C’est dire s’ils ont besoin de motivation pour réussir. Ensuite, s’ils obtiennent une dérogation du ministre, ils peuvent rester six mois supplémentaires pour s’entraîner aux examens. « Le Conseil d’orientation composé de représentants de l’armée, de l’Adem, du ministère de l’Éducation donne son avis au ministre pour prolonger la phase de reconversion, explique Robert Kohnen, tout dépend de la motivation personnelle du candidat. S’il a rempli sa part du contrat – obligation de résultat – il obtiendra un avis favorable qui est suivi par le ministre. » L’armée s’engage, elle, à fournir les moyens pour que les candidats aient la possibilité de réussir les étapes.
À côté de l’enseignement technique, l’école de l’armée propose aussi un module training to the test : le cours de préparation aux examens (Coprex). La majorité des élèves (62) s’y retrouve. Il s’adresse à ceux qui ont achevé la neuvième théorique avant leur recrutement. « Nous avons introduit un nouveau cours sur les connaissances générales, ajoute le directeur de l’école, car parfois, les candidats aux examens sont départagés sur des questions d’actualité. Nous avons remarqué que nos soldats présentaient des faiblesses sur ce domaine-là, et notamment pour des dissertations sur des sujets d’actualité. »
C’est la course contre la montre – deux semestres pour arriver au maximum des capacités. Cela ne se fait qu’à l’aide d’une stricte discipline, 41 heures de cours par semaine, du lundi matin à huit heures au vendredi soir à cinq heures. Ils sont encadrés par une équipe de neuf enseignants du primaire et d’une douzaine de professeurs à temps partiel – dont le directeur du lycée d’Ettelbruck, d’ailleurs. Le directeur se souvient, le sourire aux lèvres, des débuts du nouveau système introduit en 2001, lorsque les enseignants boudaient la caserne. « Nous n’avions que des chargés de cours au départ, se souvient-il, mais ils ont fait l’erreur de raconter à leurs collègues combien il était agréable de se trouver devant une classe disciplinée et motivée. Ensuite, les enseignants se sont bousculés aux portillons et nous n’avons eu que des professeurs diplômés. »
Pourquoi des enseignants du primaire, alors qu’il s’agit d’enseigner des matières de l’enseignement secondaire ? « Ils ont une autre approche du métier et une meilleure formation pédagogique, répond Guy Thill, lui-même instituteur de formation, ils enseignent les matières de base – les langues, les mathématiques et l’enseignement civique – et les professeurs s’occupent des branches spécifiques. » La population de l’école de l’armée a besoin d’un encadrement spécifique, d’abord, cela fait au moins trois ans qu’ils ont quitté l’école, ensuite, ce sont tous des adultes avec un certain vécu, qui ont par exemple déjà fondé une famille ou qui sont exposés à des difficultés sociales. « La composante sociale joue un rôle primordial, souvent ils sont issus de milieux sociaux fragilisés, ajoute le directeur qui dit tous les connaître personnellement, nous sommes très vite au courant lorsqu’ils sont confrontés à un problème, ce qui nous permet d’intervenir rapidement et de les orienter vers un service d’aide. »
Le troisième pilier de la reconversion est la formation professionnelle, toujours en chantier. Elle est réalisée à l’extérieur, dans les lycées d’Ettelbruck et Diekirch et dans les entreprises – les formations sont réalisées avec un contrat d’apprentissage conclu entre l’armée en tant que patron de formation et les soldats-volontaires. Actuellement, quatre élèves sont en train de faire un CATP mécanicien d’autos. Les autres formations offertes – peintre, tailleur, cordonnier – n’ont pas trouvé de candidats. L’idée est aussi de lancer une formation de cuisinier de collectivités par exemple, des formations qui suivent davantage les activités propres de l’armée. Tout comme le métier d’ambulancier pour les soldats qui étaient occupés à l’infirmerie du centre militaire. « Nous essayons d’élargir la panoplie, assure Robert Kohnen, d’abord il s’agit de prendre contact avec les patrons d’entreprise afin d’élaborer des conventions et de coopérer avec l’Adem pour qu’ils puissent suivre des formations à ce niveau-là, même pendant leur période de reconversion. » Une autre option est de prendre pied sur le marché du travail en tant que chauffeur de bus ou dans une entreprise de sécurité – comme ils sont habitués à manier les armes et ont la possibilité de passer leur permis de conduire pendant leur service militaire.
Leurs atouts sur le marché du travail par rapport aux candidats du civil ? L’ordre militaire et la discipline. « Ils sont à l’heure, savent se comporter poliment, respectent les règles d’hygiène, s’habillent proprement et ils ont le sens des responsabilités par leurs missions à l’étranger, » répond Robert Kohnen.
De quoi intéresser peut-être les patrons d’entreprise qui se désolent régulièrement des attitudes malpolies et de l’absentéisme des jeunes en général. Mais d’un autre côté, les recrues sont dures à motiver pour le secteur privé, sachant qu’elles sont habituées à un pécule de 2 000 euros par mois en tant que soldat. De retour dans le civil, ils devront souvent se contenter du salaire minimum – même l’État-major de l’armée a confié sa réception à une entreprise privée de sécurité. Ce qui en a motivé plus d’un à jouer les [-]prolongations sous l’ancien régime. Maintenant, ils sont plus énergiquement invités à quitter le nid.