« Die Grenzkontrolle bremst sie aus, ausgerechnet am Europatag », écrit le Trierischer Volksfreund ce lundi à propos des Luxembourgeois qui sont partis faire du shopping de l’autre côté de la Moselle, pour se retrouver coincés dans deux kilomètres de bouchons sur l’A64, devant le « Check-Point Dicke Buche ». Les contrôles aux frontières allemandes sont vécus comme une humiliation quotidienne et une menace existentielle au Grand-Duché. « Schengen must be alive », est devenu le nouveau slogan du ministre des Affaires intérieures, Léon Gloden. Même le très droitier Tom Weidig prête allégeance : « Och d’ADR ass e Fan vum Schengen-Raum ».
Luc Frieden a tenté de faire jouer ses relations personnelles avec Friedrich Merz, son alter ego allemand. (Comme l’avait fait, avec plus de succès, Xavier Bettel vis-à-vis de Macron durant la pandémie.) Interviewé début avril sur EurActiv, Gloden espérait encore que cette proximité allait faciliter le dialogue entre « Schwesterparteien ». Mais les kuerz Weeër entre CSV et CDU n’ont mené nulle part. Pas plus que les remontrances de Varsovie, ou celles du patronat allemand qui dépend des centaines de milliers de frontaliers polonais, français et tchèques.
Le nouveau chancelier vient de faire ce qu’il avait annoncé : Il a encore davantage renforcé les contrôles aux frontières, que son prédécesseur avait introduit et prolongé. Pour marquer la rupture avec les années Merkel, Merz a en outre donné l’ordre de refouler tout étranger sans papier, qui se présente aux frontières allemandes, même s’il est venu pour demander asile. La police allemande expulse régulièrement des personnes vers le Luxembourg. « Falls die Luxemburger Polizei dort die Person nicht in Empfang nehme, werde diese aufgefordert, über die Brücke ins Nachbarland zu gehen », explique un porte-parole de la police fédérale. On se croirait dans un mauvais western.
Face à l’escalade anti-migratoire, la réaction du gouvernement luxembourgeois est restée très timorée. Dans le Tageblatt, Léon Gloden évoque un premier échange « constructif et amical » avec Alexander Dobrindt. « Si des bouchons se formaient, je devrais l’en informer », lui aurait dit son nouvel homologue. Des dizaines de milliers de frontaliers allemands voient leur aller-retour rallongé d’une trentaine de minutes par jour. Le Luxembourg vaut-il encore le trajet ? Pour 2024, le Statec recense une baisse, inédite, des frontaliers allemands. Le gouvernement a tenté d’arranger les choses en bilatéral. En début d’année, Luc Frieden disait être intervenu « à maintes reprises » auprès des responsables allemands, « notamment au plus haut niveau », listant une quinzaine d’occasions où le sujet aurait été abordé.
Mais il a fallu attendre le 14 février, le jour de la Saint-Valentin, pour que le Luxembourg envoie finalement une « lettre de réclamation » à Bruxelles. (Elle ne semble pas avoir impressionné outre mesure Ursula von der Leyen qui, vendredi dernier, s’est montrée étonnamment peu critique par rapport aux contrôles de Merz.) Le gouvernement s’interdit par contre de déposer une plainte à la Cour de Justice de l’UE. La procédure prendrait trop de temps, et le jugement serait « de la moutarde après dîner », tel est l’argumentaire formaliste du ministre Gloden, qui fait mine de croire que les États membres vont limiter les contrôles à trois ans. « Dir maacht heiheem gären op Big Boys an dann uewen um grousse Parquet pisst Dir awer da mat deene klengen Hënn! », lui a lancé, en février, le député vert Meris Sehovic depuis la tribune parlementaire.
« The death of Schengen by a thousand cuts », c’est le prognostic peu optimiste que fait Isaac Stanley-Becker dans Europe without borders, paru en janvier chez Princeton University Press. Le journaliste y pointe le paradoxe inhérent aux accords de Schengen. Dès leur origine, le corollaire à l’ouverture des frontières intérieures étaient la fermeture des frontières extérieures et le resserrement des politiques migratoires. Stanley-Becker rappelle que les signataires avaient concocté une liste d’une centaine de pays (parmi lesquels les anciennes colonies européennes, mais également la RDA), dont les ressortissants se retrouvaient classés « indésirables ». C’est la ligne de défense que prend aujourd’hui Léon Gloden : « Wat muss verhënnert ginn, ass, datt Leit, an dësem Fall vu baussen, an den Espace Schengen erakommen, déi do näischt verluer hunn », disait-il en février à la Chambre. L’idéologue en chef de l’ADR, Fred Keup, s’en réjouissait : « De Schengen-Raum ass bannen oppe Grenzen an no baussen zoue Grenzen. Zum Deel gëtt Schengen benotzt als Synonym zu ‘Festung Europa‘. »