Tout récemment, l’annonce de l’expulsion d’une mère avec ses deux enfants hors d’une structure d’accueil avait suscité un vif émoi, aussi bien dans les milieux humanitaires que dans les rangs des députés avec à l’appui une question parlementaire (de Sven Clement) et une motion (de Meris Sehovic). Le bruit s’est tari : Un sursis a été ordonné et « cette famille n’a passé aucune nuit dans la rue », comme l’a rappelé Max Hahn (DP), le ministre en charge de l’Accueil, lundi, lors d’une conférence de presse. La même semaine, une famille avec cinq enfants, bénéficiaires de protection internationale et payant un loyer à l’Office national de l’accueil (ONA), sommée quitter le foyer où ils vivent à Valeriushaff, a obtenu un sursis de trois mois. Le tribunal de Diekrich ayant jugé qu’il est « extrêmement difficile actuellement de trouver un logement à un prix abordable. » « On pénalise une famille qui est dans les clous, avec un statut et payant un loyer. Que va-t-il se passer dans trois mois ? La difficulté de se loger ne va pas disparaître d’un coup », pose une militante associative.
Ces cas illustrent la situation tendue de l’asile et de l’accueil qu’ont présentée Léon Gloden (CSV), ministre des Affaires intérieures et son collègue de la Famille et de l’Accueil. En 2024, 2 018 personnes ont demandé l’asile au Luxembourg, soit 18 pour cent de moins qu’en 2023. Dans le même temps, plus de décisions favorables ont été données (1 018 octrois de protection internationale, six pour cent de hausse) mais aussi plus de refus (502 décisions, 26 pour cent de hausse).
Derrière ces chiffres bruts et ces statistiques, il y a les destins d’hommes et de femmes aux vies chahutées. Ils s’appellent Mamadou, Gnalbi, Juan, Mohammed ou Mihret. Ils sont peintre, boulanger, carreleur ou coiffeur. Ou, plus exactement, ils le seront bientôt quand leur formation en apprentissage sera terminée. Dans quelques mois ou dans deux ans. Leur point commun est de ne pas avoir obtenu le statut de bénéficiaire de protection internationale (BPI) et d’être obligé de quitter les foyers de l’ONA où ils résidaient. Ces jeunes hommes louvoient entre les gouttes, espérant qu’une régularisation par le travail leur sera accordée. « Mais ça prend beaucoup de temps », soupire l’un d’eux, face au Land.
Et du temps, Mamadou n’en a pas vraiment. Arrivé de Guinée Conakry en mai 2023, il a essuyé tous les refus et n’a pas accepté la procédure de retour volontaire. Le 14 novembre dernier, il a reçu un avis d’expulsion du foyer « Kirchberg 90 », pour le 25 du même mois. « On était quatre à devoir partir ce jour-là et on nous a prévenus que la police serait présente. » Le jeune homme de vingt ans est scolarisé et suit une formation en alternance avec une promesse d’embauche à la clé. « Je suis dans ma première année sur les trois pour obtenir le DAP. Je me concentre sur ma formation et j’encaisse les difficultés parce que je n’ai pas d’autre perspective ». Pour l’instant, il a trouvé une solution provisoire et vit chez un ami : « Je pars le matin très tôt et je rentre le soir quand il fait noir, pour rester discret », avoue-t-il, pas vraiment rassuré que ces mesures de précaution lui suffiront à ne pas risquer une expulsion. Difficile de savoir combien de jeunes gens inscrits en apprentissage vivent ce genre de situation. « Quand on les inscrit, on ne regarde pas leur statut : S’ils ont un patron qui les suit, on les prend », nous explique l’assistante sociale d’un lycée.
La situation de Hawas n’est pas plus enviable. Cet Égyptien de quarante ans est arrivé au Luxembourg en 2018. Depuis, il n’a eu cesse d’entreprendre différentes démarches pour s’intégrer au Luxembourg, malgré le refus de protection internationale. Il a terminé un apprentissage en coiffure, puis a enchaîné plusieurs contrats dans ce métier, bénéficiant d’une autorisation d’occupation temporaire (AOT). Il a même réussi le « Sproochentest » luxembourgeois, nécessaire pour l’accès à la nationalité. Depuis sa rencontre avec Halima, la vie d’Hawas a pris une nouvelle tournure. Cette Érythréenne vit à Luxembourg depuis dix ans et bénéficie de la protection internationale depuis 2015. Elle a deux enfants nés ici, mais leur père a quitté la famille. En couple depuis 2022, Halima et Hawas ont eu un bébé : Ayoub a aujourd’hui 18 mois. « J’ai trouvé un homme bon, un bon mari et un bon père, y compris pour mes aînés qui l’adorent », sourit Halima. Ça ressemble à une jolie histoire d’amour, mais c’est bien plus compliqué. Le couple se trouve dans une impasse. Devant le refus de plusieurs communes, ils n’ont pas pu se marier (alors que le droit au mariage figure dans la Convention européenne des droits de l’homme). Les recours pour autoriser le séjour de Hawas ont tous échoué. À travers plusieurs courriers, y compris après la naissance de leur fils, Hawas a été « invité à quitter le territoire », selon l’euphémisme administratif. Une décision qui met les larmes aux yeux à la jeune mère : « Je ne veux pas que mon fils grandisse sans son père. »
Les mots du ministre des Affaires intérieurs sont pour eux difficilement audibles quand bien même il parle d’une politique d’asile exécutée « avec cœur et raison : Nous savons que des destins humains se jouent. Toute décision est difficile à prendre ». Léon Gloden ne choisit pas par hasard le mot « cœur ». Lors de sa démission de la fonction publique, Marianne Donven déplorait une « politique sans cœur » et l’expression « kalte Herz » se lit dans de nombreux commentaires et éditoriaux, visant le fossé creusé entre le gouvernement et la société civile après le désastre communicationnel autour de l’interdiction de la mendicité.
« Je suis restée bouche bée devant le ton glacial du ministre Gloden », confie Claire Delcourt (LSAP). La députée était à l’origine d’une demande de clarification sur « la prise en charge et l’hébergement des personnes ayant demandé la protection internationale », dans le cadre d’une réunion conjointe des commissions des Affaires intérieures et de la Famille, ce lundi. « Les ministres nous ont asséné une présentation de trente minutes ne laissant pas de place à la discussion », regrette-t-elle. Sa collègue Liz Braz, qui espérait des réponses sur « la création de nouvelles voies de migration légale et de régularisation », se trouve également frustrée : « Les ministres arrivent avec un discours préétabli qui ne répond pas à nos questions ». La socialiste revient aussi sur la rhétorique de Gloden : « Il n’est pas convaincant quand il parle de compassion. Son vocabulaire est plutôt adapté à des cibles de droite. »
Lors de la conférence de presse de lundi, Léon Gloden a clairement pris ses distances avec l’héritage de son prédécesseur Jean Asselborn (LSAP). « Les demandes d’asile sont toutes traitées de la même manière et chronologiquement. On ne met pas un dossier au-dessus de la pile parce qu’une dame appelle ou connaît le ministre », a-t-il lancé, taclant au passage Marianne Donven, même si elle est loin d’être la seule à intercéder pour des cas spécifiques. On se souvient qu’on moment de sa retraite, l’ancien ministre, très conscient des critiques à cet égard avait dit au Land : « C’était difficile, très difficile pour moi. Chacun avait mon numéro de téléphone. Des gens m’appelaient tout le temps pour telle ou telle famille. Alors que faire ? En cas de doute, j’étais pour les réfugiés. Toujours. »
Ce « toujours » n’est plus de mise aujourd’hui, bien que le ministre des Affaires intérieures a annoncé qu’une centaine de personnes avaient bénéficié d’une régularisation, alors qu’elles étaient censées quitter le territoire : « Des circonstances spécifiques permettent la régularisation pour des gens qui disposent d’un contrat de travail à durée indéterminée ou des enfants qui sont scolarisés depuis plus de quatre ans au Luxembourg. » Gloden en a profité pour remettre une couche contre Asselborn en dénonçant l’esbroufe et le show-off qui accompagnaient les régularisations. « La presse était conviée et des photos étaient prises quand on a fait venir des réfugiés relocalisés comme ceux du bateau Ocean Viking ou les mineurs du camp de Moria. Une façon de montrer l’exemple à d’autres pays », concède Marianne Donven.
À plusieurs reprises, le ministre des Affaires intérieures a martelé le mantra d’une « politique d’asile responsable » avec deux axes : L’aide à l’intégration des personnes ayant une réelle perspective de protection internationale, mais la fermeté envers ceux qui n’ont pas de chance d’obtenir le statut de réfugié. « Nous devons éviter de susciter de faux espoirs chez eux ». Côté carotte, le nombre d’autorisations d’occupation temporaire (AOT), qui permettent aux DPI de travailler six mois après leur inscription, a fortement augmenté, passant de 139 (2023) à 371 (2024). L’accord de coalition prévoit en outre de baisser le délai à trois mois. Côté bâton, la Maison du retour, ouverte depuis le mois de septembre, a contribué à une nette augmentation du nombre de demandeurs déboutés quittant effectivement le Luxembourg. 308 retours volontaires et 130 retours forcés ont eu lieu en 2024 (279 au total en 2023).
Cette Maison du retour avait déjà été prévue par le gouvernement précédent, mais n’avait alors pas été mise en place. Il ne s’agit pas vraiment d’une nouvelle structure, mais de la réaffectation des locaux de l’ancienne « Structure d’hébergement d’urgence Kirchberg » (SHUK). Cet établissement ne doit pas se limiter à un simple hébergement temporaire. « Nous sommes en train de mettre au point un package pour permettre aux personnes déboutées de développer un projet de vie dans leur pays d’origine », a expliqué Léon Gloden. Le gouvernement collabore avec l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) pour apporter un soutien logistique au voyage, un accompagnement psychologique, une aide financière et un suivi pour la mise en œuvre d’une « activité génératrice de revenus ». « C’est un projet intéressant à condition de cibler les retours volontaires et de proposer des conditions d’hébergement appropriées aux familles », analyse Valérie Mahé pour le Collectif réfugiés. Les députés pourront se rendre compte de la qualité des infrastructures lors d’une visite qui leur a été promise le 12 mars, après une demande de Meris Sehovic.
Structures d’accueil saturées, intégration des réfugiés, problématique du logement, employabilité… les défis sont nombreux pour le gouvernement. Cependant, les réponses ne devraient pas s’écarter des principes humanitaires. La politique d’asile ne peut pas seulement être dictée par des impératifs d’efficacité.