Depuis le 7 mai, la LUGA transforme Luxembourg en jardin urbain. Alphonse Allais proposait de mettre les villes à la campagne, là où l’air est plus pur. On y est presque. Un jardin urbain, c’est un beau paradoxe. De la même façon, on devrait donner cours aux enfants pendant les vacances, quand ils sont bien reposés.
D’ailleurs, la saison est également propice aux voyages de classe. Ils fleurissent au dernier trimestre comme le muguet, et permettent aux jeunes de découvrir les auberges de jeunesse du pays, les sentiers du Mullerthal, ou, pour ceux dont les professeurs sont plus téméraires, la Mer du Nord, les Ardennes, les Vosges, voire des destinations plus éloignées que certaines écoles ou lycées mettent en avant lors de leurs journées portes ouvertes.
Nous laisserons probablement à nos enfants un monde avec plus de guerres et d’injustices que celui dans lequel nous sommes nés, un monde dominé par les algorithmes qui transforment nos prochains en profils ou en produits, un monde où il a fallu attacher les bouchons aux bouteilles en plastique, mais nous avons aussi su maintenir et développer certaines traditions qui permettent de garder foi en l’humanité. Parmi ces expériences qui forment un socle commun, aussi sûrement que les rites de passage ou les scarifications rituelles consacrent l’appartenance à la tribu, le voyage scolaire doit se classer au niveau de la boum d’anniversaire ou du partage de repas à la cantine : largement dans le top 10.
Quel que soit l’âge des élèves, le prétexte éducatif ou les activités officiellement prévues, quelle que soit la durée du séjour ou la destination, l’important réside dans l’opportunité d’innombrables découvertes. Premièrement, c’est l’occasion de constater qu’être en retard sur quelque chose d’essentiel (le programme scolaire) ne doit pas empêcher de consacrer des journées entières à d’autres activités, surtout si elles semblent complètement superflues. Quelle meilleure leçon de vie pour se préparer à affronter sereinement, plus tard, les dures réalités du quotidien, un travail prenant, des demandes incessantes et toutes plus urgentes les unes que les autres, sans parler de la perspective de devoir remplir une déclaration d’impôts ou de payer des factures dès réception ?
C’est aussi l’occasion d’expérimenter la vie en groupe, pour ceux qui avaient jusqu’alors échappé aux camps scouts ou aux équipes de rugby : Les épreuves dignes de Koh-Lanta commencent dans le bus avec le copain qui ronfle et se poursuivent dans le dortoir avec celui dont les pieds dégagent une pugnace odeur de Kachkéis. Elles continuent, pour les plus assidus, par des épisodes de découverte de la nature humaine, au sens large, qui ne contribuent pas aux nuits apaisées des accompagnateurs à qui hommage ne sera jamais suffisamment rendu pour l’abnégation avec laquelle, pour certains, ils seront allés chaque année revivre la même expérience.
Le fait que leurs professeurs soient des êtres humains dotés d’une vie après la fin des cours n’est pas le dernier apprentissage que feront les enfants. Avec un peu de chance, ils réaliseront également que les lits et le ménage ne sont pas automatiquement faits, que leur linge ne se lave pas tout seul, qu’on peut loger ailleurs que dans un Airbnb et peut-être même que leurs parents leur manquent. Ils sauront gré aux nouvelles technologies d’avoir remplacé le calvaire de la carte postale à écrire par la publication d’un selfie et un petit message adressé à leurs géniteurs (et contributeurs aux frais divers).
S’il fallait une dernière preuve des bienfaits de l’expérience, on pourra constater qu’elle trouve une prolongation toute naturelle dans le monde professionnel. Les team-buildings, after-works et autres away-day, selon la novlangue consacrée, en sont les avatars nécessaires pour se rappeler que les collègues ne sont pas que des adresses électroniques ou des noms sur des formulaires, mais qu’ils disposent aussi de « compétences » autres que celles de réaliser des présentations PowerPoint. Quant aux injonctions à « sortir de sa zone de confort », tant qu’il ne s’agit pas d’en sortir par un saut en parachute ou par une descente en rappel, tout peut se discuter, surtout autour d’une bière.