Il y a des « fourbes » et des « diantres ! », des « coquins », des tournures devenues dictons et des imparfaits du subjonctif à foison : pas de doute, nous devons être dans un classique ! Comme en 1994 déjà, le Théâtre du Centaure commence la nouvelle année avec Les fourberies de Scapin de Molière (pièce qui date de 1671), même mise en scène de Marja-Leena Junker, les mêmes Frank Sasonoff dans le rôle-titre et Olivier Aromatario dans celui d'Argante, mêmes costumes d'Anne Weyer et même décor de Claude Leuenberger ; les autres rôles ont été nouvellement distribués... Drôle d'idée que cette reprise sept ans plus tard d'un des grands succès du Centaure, la pièce qui a définitivement prouvé l'énorme talent de Frank Sasonoff, sa gouaille, son jeu plein de verve et d'entrain. Mais drôle d'idée quand même.
« Deutsche Bühnen scheuen mit Recht [vor diesem Stück] zurück, » écrit George Hensel dans son Spielplan, car il s'agit, selon lui, de « völlig unliterarisches, reines Theater, mimisch, pantomimisch, tänzerisch ». Ayant reconnu les dons de Frank Sasonoff dans le domaine de la comédie et du jeu très physique, Marja-Leena Junker opta donc pour une adaptation très théâtrale, en costumes et masques en clin d'oeil à la Commedia dell'Arte, un gros vaudeville qui se joue à un rythme endiablé. Le texte ici n'est pas vraiment de première importance, même si des interjections comme le célébrissime « mais que diable allait-il faire dans cette galère !? » de Géronte étaient soufflées par plus d'un spectateur enthousiaste le soir de la première.
L'histoire ? Octave (Luc Schiltz) a épousé la belle Hyacinthe (Sonia Neuman) qu'il aime d'amour en l'absence de son père Argante (Olivier Aromatario). Qui, forcément, a d'autres plans pour son fils : dès son retour, il prévoit un mariage d'argent et de raison avec la fille du riche et avare seigneur Géronte (Jacques Denis).
Voyant le bateau de son père entrer dans le port, Octave appelle le valet de son ami Léandre (Hervé Sogne) à l'aide : Scapin est en effet connu pour sa malice et son intelligence lorsqu'il s'agit de rouler les riches. Léandre, le fils de Géronte, dans une situation semblable - il aime une Égyptienne, que nous appellerions gitane aujourd'hui - fera de même et voilà notre héros parti dans les plus belles astuces et ruses pour se venger sur les maîtres qui, le restant de l'année, aiment à l'exploiter.
Après avoir écrit Le bourgeois Gentilhomme et L'avare, Molière s'est ici donné à coeur joie dans la comédie burlesque avec tout ce qui la caractérise de bouffonneries, de quiproquos, de retournements de rapports de force riche / pauvre, de coups de théâtre et autre deus ex machina. Néanmoins, et malgré l'époustouflante prestation de Frank Sasonoff, Les fourberies de Scapin confirme tout ce qu'on peut avoir comme a priori face au théâtre programmé pour les lycéens et lycéennes qui sont arrivés à Molière dans leur programme d'études et trop paresseux pour le lire dans le texte : une adaptation en costumes, flonflons et rubans hauts en couleurs, un respect très strict du texte, un texte des plus classiques.
Même si c'est bien fait, que les acteurs s'amusent visiblement à jouer des rôles classiques, même si on peut comprendre que le Centaure pense lui aussi à faire des entrées, pour survivre tout simplement - une vingtaine de représentations prévues dès à présent -, il n'en demeure pas moins qu'on pleure de voir ce théâtre estimé pour ses productions autrement plus courageuses et expérimentales, réduit à une programmation aussi consensuelle.
Les fourberies de Scapin de Molière, mise en scène par Marja-Leena Junker ; costumes : Anne Weyer, décor : Claude Leuenberger ; lumières : Véronique Claudel ; avec : Frank Sasonoff, Olivier Aromatario, Ellen Blanckaert, Jacques Denis, Alain Holtgen, Sonia Neuman, Silvana Pontelli, Luc Schiltz et Hervé Sogne ainsi que Rocardo Sandoval à la mandoline se jouera encore jusqu'au 3 février au Théâtre du Centaure « am Dierfgen », 4, Grand-rueà Luxembourg ; téléphone pour réservations : 22 28 28.