d'Land: Nico est mort – vive Nico ! Après avoir abandonné, l’hiver dernier, la publication du city magazine Nico, édition luxembourgeoise, pour éditer la publication communale d’information culturelle Rendez-Vous Luxembourg, vous venez de lancer, ce printemps, l’édition internationale de Nico – Interviews & Fashion. Un magazine biannuel dédié avant tout à la mode et au stylisme, au design et aux arts graphiques, qui paraît sur tous les continents et fait plus de 250 pages. Quelle est votre ambition avec ce magazine et à qui s’adresse-t-il ?
Mike Koedinger: Nico International est tout d’abord un fantastique laboratoire d’idées pour notre groupe de presse luxembourgeois. L’ambition est de faire paraître un magazine véritablement international édité depuis Luxembourg et réalisé par un collectif éditorial réunissant journalistes, photographes, stylistes, illustrateurs,... de Tokyo, New York, Sao Paulo, Melbourne, Paris, Londes, Bruxelles, Lausanne... et
Luxembourg. C’est un marché hyper-compétitif avec une abondance de nouveaux titres créés chaque mois. Pour pénétrerce marché, il ne suffit pas d’une déclaration d’intention, ilfaut un premier numéro pour entamer les discussions. Niveau lectorat, Nico s’adresse clairement à l’industrie créative, cette communauté internationale de tous les métiers créatifs, des lecteurs curieux et exigeants. Le travail sur Nico aura sans doute une influence sur notre travail dans l’ensemble de nos publications.
Vous parlez d’un marché «hypercompétitif» : en effet, à chaque visite dans une librairie spécialisée, on a l’impression que les nouveaux magazines abondent, que de nouveaux titres dans le domaine du style, de la mode et du design se créent quasi quotidiennement dans le monde, avec une durée de vie souvent éphémère. D’ailleurs, dans ce premier numéro de Nico International, Jeremy Leslie, directeur artistique et auteur de livres sur les magazines, estime que, malgré la multiplication des magazines, le nombre de lecteurs stagne. Selon lui, le réservoir de lecteurs se fragmente de plus en plus en de petits groupes... Comment comptez-vous atteindre une certaine visibilité ou, autrement dit, qu’est-ce quivous démarque par rapport à la concurrence pour être attractifs ?
Si l’on observe le marché de la « presse de style » ou encore de la « presse indépendante », on remarque plusieurs cas-types : Il y a d’abord des groupes de presse indépendants, bien installés, de vrais éditeurs avec comme revenu principal leur travail d’édition. Il y en a peu, c’est le cas, par exemple, des Londoniens de Dazed & Confused / Another Magazine / Another Man ou encore des New Yorkais Visionaire / V Magazine / V Man.
Puis il y a les magazines initiés par des directeurs artistiques, galeries, photographes, illustrateurs,... Ce ne sont pas des éditeurs et leur magazines n’est pas une source de revenus, c’est simplement une carte de visite, ... mais quelle carte de visite géniale ! Le magazine leur permet d’obtenir des commandes dans le domaine très lucratif de la pub en tant que directeur artistique, photographe, etc. Ces magazines produisent souvent peu de numéros...
Ensuite, il y a les tentatives ratées de ceux qui veulent appartenir au premier groupe mais ne réussissent pas leur coup. Et évidemment, il y a aussi les lancements des grands groupes de presse aux investissements très lourds, études de marchés / marketing annonceurs et douze à 24 mois de préparatifs à l’appui... pour parfois ne faire paraître qu’un seul numéro.
Avec Nico International, nous avons produit un vrai magazine d’auteurs, nous avons passé des commandes exclusives pour l'ensemble du contenu qui est composé à moitié d’entretiens, assez longs d’ailleurs. Finalement nous avons évité la photo de mode en couverture, à la place nous publions une illustration de Christina K aux fins traits noirs sur fond argenté ... c’est aussi une façon d’éveiller la curiosité d’un lecteur pré-qualifié.
Au début de l’avènement d’Internet, les Cassandres prédisaient la fin des journaux imprimés, et, en effet, depuis le début du siècle, la presse quotidienne généraliste traverse une crise économique profonde, que ce soit en Europe ou aux États-Unis. Pourtant, parallèlement, on constate une multiplication de titres demagazines,de plus en plus spécialisés, une fragmentation du marché, y comprisau Luxembourg. Même au grand-duché, des magazines se créent àrythme mensuel : dédiés à la vie nocturne et aux concerts, au luxe, aux femmes, au droit, à l’immobilier etc. Comment expliquez-vous ce phénomène et est-ce que tous ces titres sont viables, selon vous?
L’idée de publier un magazine est séduisante, c’est aussi simple que cela. Pour beaucoup, c’est une façon d’exister dans des milieux qui leur étaient auparavant fermés. Pour nous, c’est avant tout un métier – notre métier unique – puis une véritable passion. Nous sommes une maison d’édition de magazines de niches, du coup ce ne serait pas fairplay de critiquer la multiplication de titres. Mais bon, publier un magazine sur base de communiqués de presse et l’imprimer sur papier satiné 90 grammes n’est ni un enrichissement pour le paysage médiatique, ni une difficulté de rentabilisation (à défaut de frais engagés). Puis n’oublions pas que dans la presse périodique, beaucoup de titres font peu de chiffre et peu de titres font beaucoup de chiffre.
Peut-être qu’il y a une différence entre les magazines qui ressemblent au « bulletin de liaison » d’un groupement d’intérêts et ne paraissentque pour engranger des publicités – l’industrie du luxe est très porteuse de ce côté-là – et ceux qui existent pour laisser libre cours à la créativité de leurs éditeurs et collaborateurs... Lors du colloque Colophon 2007, que vous avez organisé en mars au Casino – Forum d’art contemporain, on a pu découvrir des centaines de magazines au stylisme très pointu, mais dont beaucoup paraissent sans aucune publicité...
L’absence ou la rareté de publicité peut exprimer un choix, mais souvent c’est aussi tout simplement un mauvais résultat. Maintenant, il est vrai que certains magazines présents à Colophon travaillent sans annonceurs, ou presque. Parfois, les annonceurs sont très bien intégrés, par exemple dans des séries mode spécialement réalisées pour des marques ou encore des pages «cartes blanches à un créatif» qui incluent certains éléments du client. D’autres titres bénéficient du support d’institutions culturelles tout simplement, alors on trouve quelques logos dans l’ours du magazine. Rares sont les magazines qui sont financés par les recettes de leurs ventes, il faut savoir que même unmagazine vendu, en dehors de son pays d’origine, disons à 25 euros, ne touche lui-même guère plus que quatre à cinq euros TVA incluse. Il suffit de multiplier par mille ou 2 000 exemplaires vendus, ce qui est proche de la réalité pour beaucoup de titres indépendants qui vendent bien (oui !) pour comprendre que cela ne paie même pas l’imprimeur...
Le plus impressionnant de ce colloque de «l’independent style press» fut, outre la diversité des titres présents – dédiés à la mode, au junkfood, au design ou à la scène gay... –était la passion et l’inventivité des éditeurs, qui non seulement financent, mais aussi distribuent leurs publications dans des réseaux parallèles, envoyant quelques exemplaires par le biais d’amis de Pologne vers quelques kiosques spécialisés à New York par exemple. Beaucoup de participants au colloque étaient enthousiastes d’avoir puen apprendre sur le métier d’éditeur et tisser de précieux liens avec des créatifs et d’autres éditeurs. Quel fut votre ambition avec cette première édition de Colophon? Et l’avez-vous réalisée ?
L’idée était presque égoïste : produire un événement auquel j’auraisvoulu tout simplement participer,... mais qui n’existait pas vraiment. Réaliser une rencontre mondiale d’éditeurs, de créatifs et de lecteurs de cette presse indépendante dans un cadre décontracté, provoquer des échanges d’idées, faire connaître des centaines de titres, initier des collaborations, discuter à l’infini et se rendre compte qu’on n’est pas seul à être complètement obsédé par ce média unique et passionnant. Nous avons rassemblé au Casino sur les trois jours 1 400 personnes, venues spécialement au Luxembourg et issues réellement de 25 pays des quatre coins du monde. Le mélange entre professionnels internationaux, étudiants de lagrande région et d’ailleurs et la scène luxembourgeoise était formidable. Les visiteurs ont découvert Luxembourg et adoré, les Luxembourgeois ont redécouvert leur capitale sous une autre lumière : imaginez quelques centaines d’éditeurs, photographes, étudiants se baladant samedi après-midi au centre-ville… J’ai investi trois années de travail, essentiellement en soirées/nuits et en week-ends, dans ce projet. On est parti d’une simple envie et d’une très grande ambition pour arriver à produire un événement et un livre qui sont aujourd’hui une référence au niveau mondial. Le livre We Love Magazines se vend bien, d’Australie à New York, en passant par toute l’Europe. Les feedbacks continuent à être exceptionnels. C’est vraiment un moment très fort dans mon développement. Colophon 2007 a réussi à rapprocher le milieu et a renforcé la communauté, c’est essentiel.
Le très beau livre, tout comme le colloque, se veulent une déclarationd’amour aux magazines du monde entier. On vous sait également collectionneur de tels magazines... Quelle est l’envergure de cette collection et d’où vous vient cette passion pour le papier imprimé?
C’est vraiment une petite collection avec à peine 3 000 magazines. D’ailleurs, je n’aime pas l’idée de collectionner – je préfère archiver. Lorsque en discutant avec Horst Moser, qui tient la plus grande collection privée de magazines, avec environ un million d’exemplaires, ou encore avec Samir Husni, qui possède une collection de premières éditions de 23 000 exemplaires, je me rends vite compte que je suis un simple passionné. Autant que le papier imprimé, c’est l’écrit qui m’intéresse. Je me sens donc beaucoup plus proche d’Internet que de la télévision, que j’ai arrêté de regarder ily a quinze ans.
Colophon était un colloque dédié aux magazines arty, de mode, de style, souvent non-commerciaux. Nico International s’intègre parfaitement dans ce contexte... Mais où positionneriez-vous d’autres produits de votre maison d’édition, comme paperJam, dédié au monde économique et qui fonctionne selon une logique plus commerciale, devant être rentable dans son fonctionnement. Quel est, selon vous, la ligne directrice, le fil rouge qui relie ces différents produits de la maison MKE, Mike Koedinger Éditions ?
Ce n’est pas parce qu’un support est rentable qu’on doit mettre moins de passion dans sa réalisation. Au lancement de paperJam, il y a sept ans, tout le monde ou presque m’avait déconseillé de le faire. Aujourd’hui beaucoup ne comprennent pas pourquoi je tiens à lancer Nico dans autant de pays, avec un contenu aussi volumineux et véritablement international. Ces choix, toujours inattendus et totalement passionnés, expriment peut-être bien le fil rouge qui relienos projets.