En une semaine, la société luxembourgeoise aura été bousculée par l’initiative d’une trentaine de demandeurs d’asile Irakiens qui avaient décidé d’aller camper place Clairefontaine le 1er septembre à midi. Menés par Wison Mikail, un ancien militaire irakien, ils exigeaient « une réponse à leur situation ». Des hommes et des femmes, chrétiens ou musulmans, accompagnés de six enfants, rompaient le silence qui régnait autour de la situation désastreuse des demandeurs d’asile au Luxembourg.
En effet, par rapport aux années précédentes, l’année 2011 a connu une nette hausse des demandes de protection internationale introduites. Fin juillet 2011, 1 053 nouvelles demandes avaient été introduites cette année, alors qu’elles n’étaient que 786 en 2010 et 505 en 2009 sur toute l’année. Si les services de l’immigration sont débordés, il va de même pour la disponibilité des logements. Mais, il ne faut pas tout mettre sur le dos des Roms qui arrivent en masse de l’Europe de l’Est. Comme l’ont rappelé à maintes reprises les diverses organisations comme l’Asti (association de soutien aux travailleurs immigrés) dans un communiqué, les services du ministre Nicolas Schmit (LSAP) manquent cruellement de personnel. Si certains dossiers traînent pendant des années, les Irakiens de la place Clairefontaine se trouvent au Luxembourg depuis un ou deux ans, temps qu’une bonne partie d’entre eux passaient à attendre une audition. Maintenant, les frustrations sortent, « on n’en peut plus », l’attente ronge.
La grève de la faim a rapidement provoqué des réactions d’un peu tous les horizons de la société luxembourgeoise. Tout le monde s’est fait, d’une façon ou d’une autre, une opinion sur le sujet. Si le groupe a été soutenu par un parti politique qui les a régulièrement approvisionnés en couvertures et en vivres pour les enfants, l’organisation Attac, sous le nom de « Luxrésistances », a, dans leur communiqué, rappelé le contexte de la guerre en Irak, qui est la cause de la présence des réfugiés et exprimé sa solidarité avec eux.
À part quelques individus qui amenaient de quoi manger aux enfants, des couettes, une tente, « la majorité des gens regardent de l’autre côté » regrette un gréviste. Si une bonne partie des gens « comprend qu’ils vivent une situation difficile », selon une passante, il y a ceux qui font tout pour ne pas les voir et ceux qui sont vite à formuler un jugement. Les jugements, surtout ceux qui concernent les étrangers, sont rapides et facile à exprimer. Et pas que seulement ceux issus du peuple. Ainsi, un député jugeait que « ce ne sont pas des réfugiés ».
Si c’est vrai qu’un certain nombre des grévistes sont venus à travers la Grèce, comme l’initiateur de la grève, Wilson Mikail, ce n’est pas le cas pour tous. Avoir mis pied dans un autre pays de l’UE plonge le demandeur dans la procédure dite « Dublin » qui prévoit de le renvoyer dans son premier pays d’accueil en Europe. Or, les pays de l’UE se sont engagés à ne pas renvoyer des demandeurs dans la Grèce en crise, ce qui risque encore de compliquer l’affaire. En tant que porte-parole du groupe, Wilson Mikail estime parler au nom de tous, mais en même temps, chacun a un parcours différent, donc chaque demande pourrait connaître une issue différente. D’autres craignent qu’en voulant « pousser » le ministre, ce qu’il nie, il pourrait se retrouver dans une situation qu’il n’aura pas souhaitée.
L’acte des grévistes de la faim a déclenché des débats passionnés dans la population. Il faut lire les commentaires des internautes sur les sites des grands médias luxembourgeois : sous la protection de l’anonymat ils donnent leur donne occasion de vomir toutes leurs frustrations. L’action est perçue comme trop radicale, voire extrémiste, genre qui ne serait « pas dans les habitudes du Luxembourg » selon les propos de Nicolas Schmit. Wilson Mikail a beau répéter qu’après tout ce qu’ils ont enduré dans leurs vies, ce n’est, pour eux, qu’un pas en plus, le Luxembourg ne comprend pas une telle démarche.
Les agissements que cet ancien militaire irakien et le ministre de l’Immigration luxembourgeois se sont livrés durant une semaine illustrent bien le gouffre culturel qui les sépare. La compréhension fut difficile dès lors que les deux partis campèrent sur leurs positions relatives. Tout en « comprenant leurs frustrations » provoquées par l’attente, le ministre, sous pression, déclarait qu’il ne comptait pas se laisser prendre en otage. Les enjeux étant trop grands, l’échéance des élections communales approchant, et l’épreuve donnant d’exemple, il est resté sur cette position depuis le début.
Pourtant, lundi 5 septembre, lors d’une entrevue qu’il avait accordée aux grévistes, il a avoué que ses services manquaient cruellement de personnel. D’ailleurs, lors de sa réunion en conseil du 1er septembre, le gouvernement a décidé d’engager six personnes supplémentaires pour accélérer les procédures. Hélas, nombreux sont ceux qui dénoncent la priorité donnée au traitement des cas des dossiers des Roms. Tout porterait à croire que les services de l’Immigration veulent rapidement boucler ces dossiers en faisant attendre les autres.
Wilson Mikail, lui aussi, tient fermement à sa décision. Il ne bougera pas de place Clairefontaine « jusqu’à ce que le groupe aura une réponse ». Ils auraient « déjà trop attendu », s’insurge-t-il, « ce n’est pas normal ». Ce temps leur revient cher, car ils ne peuvent pas travailler, à part la possibilité théorique mais en pratique quasi-impossible de décrocher un permis de travail après neuf mois. L’attente attaque le moral aussi, car sans papiers, interdiction de voyager, les demandeurs de protection internationale sont condamnés à attendre « comme des prisonniers ». « Nous souhaitons vivre une vie normale, comme tout le monde, » avance un des grévistes. Pour cela, ils sont décidés d’aller loin, car ils préfèrent mourir « une fois que mourir tous les jours ».
La réaction des grandes organisations non-gouvernementales, qui s’occupent normalement des droits des demandeurs d’asile, l’Asti, la Caritas et la Croix-Rouge, n’était pas moins surprenante. Aucune des trois ne soutenait l’initiative, même si elles sont d’accord pour critiquer les « délais extrêmement longs avant d’arriver à un premier entretien » et que l’Asti se réjouit que dans ce contexte, la problématique du manque de personnel aura au moins été thématisée.
À part le Clae (Comité de liaison des associations d’étrangers) qui « salue leur sens civique et leur apporte son soutien moral », les ONG estiment pourtant que ce n’est « pas la manière adéquate », selon les propos de la Caritas, et qu’il y a toujours d’autres options. « Quelles options ? », s’interrogent les grévistes, étant donné qu’une grève de la faim « n’est pas un jeu » et qu’on ne la choisit qu’en dernier recours. « Le dialogue » leur répond-on.
Mais c’est trop vague pour ceux qui sont déterminés à aller jusqu’au bout. C’est exactement ce que l’Asti déplore : « il n’y a pas de champ de manœuvres possible», les négociations semblent dans une impasse. Trop vague leur semble également la promesse de Nicolas Schmit de traiter leurs dossiers plus rapidement. Mais procédure oblige, on ne peut pas donner des réponses sans audition. Finalement, il semble que ce qui est déterminant dans cette histoire est l’incompréhension de la lourde et lente machinerie bureaucratique impersonnelle des services étatiques luxembourgeois, qui doit s’occuper d’êtres humains aux histoires souvent dramatiques.
Le souci pour le bien-être des enfants ayant participé au campement, sans toutefois faire la grève de la faim, était partagé par la Caritas et le ministre. Nicolas Schmit estimait même que Wilson Mikael les utilisait pour faire pression. Pour « enlever cet argument au ministre », ce dernier avait fait savoir, lundi soir après l’entrevue, que les femmes et les enfants allaient rentrer. Mardi, ils n’étaient plus que trois hommes à continuer à faire la grève.
Le même jour, un des grands journaux avait annoncé la fin de la grève, titre qui montre encore une fois le manque d’intérêt et de compréhension pour la chose. La grève de la faim aura été instrumentalisée pour attiser des peurs, pour approfondir l’incompréhension culturelle et invoquer une conception d’un monde simpliste en « nous » et « eux ».
Une semaine après le début de l’action, les grévistes utilisent de nouvelles armes. Après l’entrevue avec Nicolas Schmit ressentie comme décevante, ce fut au tour de l’ombudsmann, Marc Fischbach, de les recevoir, ce qui leur donna un nouvel espoir. Cette grève aura pas mal évolué en peu de temps.