Le mercredi 10 octobre au soir, dans le centre-ville d’Esch-sur-Alzette. Dans l’arrière-boutique de la Mesa (Maison de la transition), charmante épicerie bio, se tient une drôle de conférence. Après avoir été accueillis par l’hôtesse de la maison, les spectateurs sont emmenés dans la remise où ont été installées quelques chaises. Une vingtaine de curieux ont fait le déplacement pour assister au premier spectacle de la huitième édition du festival Clowns in Progress. C’est le directeur artistique du festival Francis Albiero, ou presque, qui propose sa Conférence savante et délirante. Grimé en Champion, son alter ego clownesque, l’artiste est installé sur un bureau, iMac pro branché à un vidéoprojecteur. Derrière lui, l’écran affiche un message qui donne le ton, « ceci est une conférence ». Une heure durant, le personnage de Champion, reconnaissable à sa tenue rouge et grise et son à bégaiement, tente de conter l’histoire de l’art. Il annonce d’emblée avoir été aidé par Enrico Lunghi, apportant donc une caution professionnelle à son analyse.
De l’art rupestre jusqu’à l’art moderne puis contemporain. Le procédé est simple, le clown projette une image et la commente. Ses saillies sont parfois drôles, notamment lorsqu’il évoque le bleu d’Yves Klein, et parfois poussives. Après une première partie plutôt décousue, Champion passe à la pratique. Il interprète donc le premier mouvement de 4’33’ de John Cage, en restant silencieux, fracasse une sculpture à coups de marteau puis joue de l’ukulélé. En guise de conclusion, le clown monte sur sa table, se met à jongler jusqu’à ce que son pied dérape et ne fasse tomber son ordinateur au sol. Son outil de travail étant hors service, le projecteur affiche un écran bleu, le bleu de Klein, pour une jolie conclusion. Évidemment l’accident était prévu, le véritable ordinateur était manipulé au fond de la salle par un assistant.
Jeudi 11, le festival démarre véritablement. Dans la cour de la Kulturfabrik, une profusion de clowns qui viennent titiller les passants. Serge Basso, le directeur des lieux, monte sur la petite estrade du foyer et prie les spectateurs de respecter la tradition en interprétant l’hymne du festival. C’est Champion, encore lui, qui joue quelques notes au saxophone tandis qu’on tape des mains en rythme. Pour cette soirée est prévu la compagnie Les Rois vagabonds et leur Concerto pour deux clowns, primé en 2013 au festival Off d’Avignon. En guise de décors, un large rideau rouge sous un imposant lustre accroché au plafond. Julia Moa Caprez et Igor Sellem arrivent sur scène. La première joue le rôle de l’auguste, elle est joviale et aérienne. Elle porte une robe rouge et présente un maquillage blanc et une perruque aristocratique. Le second, c’est le clown blanc, plutôt ronchon. Tous deux transportent de grosses caisses en bois, prétexte à numéros d’équilibrisme, cascades et gags visuels ébouriffants. De la première caisse, plus petite, Julia Moa Caprez sort un violon. De la sienne, très imposante, Igor Sellem sort un tuba.
C’est ainsi que leur spectacle prend toute son ampleur. Julia Moa Caprez est virtuose. Elle interprète ainsi Le Printemps de Vivaldi tandis que son comparse l’accompagne ou, après avoir posé son instrument, la fait tournoyer. Dans un autre tableau, elle arrive vêtue d’une très vaste robe dans laquelle est en fait dissimulé son binôme qui la soulève, la rendant géante. Ils inversent ensuite les rôles, c’est lui qui se met debout sur les épaules de la violoniste. Les spectateurs sont impressionnés par l’absence total de temps mort au sein du show. Le Boléro de Ravel gronde au rythme des acrobaties d’Igor Sellem qui virevolte. Tous deux s’accrochent enfin au lustre pour un final qui hérisse les poils. Après une standing ovation, c’est un enfant qui monte sur scène. Vêtu comme un angelot, il interprète la première Gnossienne d’Erik Satie, très vite rejoint par les deux artistes. Une émouvante conclusion pour un spectacle assurément haut de gamme.
Le lendemain, c’est la tête d’affiche du festival qui est programmée, Jango Edwards. Le clown trash, véritable vétéran avec quarante ans de métier dans les pattes, est attendu comme le messie. Après une courte introduction en compagnie de son assistante Cristi Garbo, dans laquelle les deux artistes enchaînent quelques illusions absurdes, le taulier annonce la couleur. Il entonne une chanson écrite par ses soins, une ode à la fellation sous les sourires crispés des nombreux parents désemparés. Il lance un œuf dans le public, crache au visage de sa collaboratrice avant de faire monter sur scène une spectatrice. Il embrasse cette dernière de force, sous les rires de l’audience, c’est si drôle en effet. Les quelques courts tableaux en solo de Cristi Garbo, notamment lorsqu’elle reprend un fameux sketch d’Andy Kaufman sont plutôt réussis. En guise de conclusion, Jango Edwards fait allumer les lumières et se dévoile. Il s’appelle en fait Stanley et entame un monologue de vingt minutes dans lequel il rappelle, non sans pathos, que dans notre société occidentale, la meilleure arme reste le sourire. Après deux premières chansons sur le bonheur, c’est Happy de Pharrell Williams qui raisonne dans la salle. Les spectateurs sont invités à monter sur scène pour danser.
Dans le cadre du festival, une exposition thématique est à retrouver dans la galerie Terres Rouges. On peut y consulter des œuvres réalisées par les élèves de l’École internationale de Differdange/Esch-sur-Alzette (EIDE). Des portraits et des dessins abstraits se mêlent à des sculptures. Deux clowns en grandeur nature se font face. L’un d’eux est assis sur un banc, smartphone en main, son visage est un miroir. Pour le dernier soir, c’est le dorénavant traditionnel Cabaret Clown qui est proposé aux amateurs. Calixte de Nigremont est le maître de cérémonie. Sorte de maître loyal, aristocrate, sa verve est tordante et toutes ses interventions font mouche. Le musicien Cascadeur est accompagné de quelques musiciens, la troupe met en musique des numéros de clowns qui se succèdent avec plus ou moins de rapidité. Un pompier assommant précède un sympathique artiste qui s’amuse avec une baguette de pain. Un jongleur de diabolo fait le show. Il construit ensuite une structure en bois au niveau du premier rang sur laquelle il monte afin d’effectuer une acrobatie. Une partie de l’audience est priée de s’écarter en cas de chute. Après deux heures de show, l’entracte est annoncé. Certains en profitent pour s’éclipser.