La restructuration de la branche télécom de l’Entreprise des postes et télécommunications (EPT) ne passera pas « comme une lettre à la poste ». Le régulateur luxembourgeois a demandé cette semaine à l’opérateur historique de revoir, pour des raisons de gouvernance, la copie de sa « Newco », structure mise en place au début de cette année ayant permis le transfert des « actifs et passifs » des activités de vente et de commercialisation de la téléphonie fixe de l’EPT à la filiale à cent pour cent Luxgsm. Originellement, celle-ci était dédiée aux activités de téléphonie mobile. Elle chapeaute désormais les volets commerciaux du fixe et du mobile.
En émancipant Luxgsm pour lui confier les activités de vente et de commercialisation de la branche télécom pour ne conserver dans leur giron l’exploitation de l’infrastructure, c’est-à-dire le réseau, les dirigeants de l’EPT pensaient avoir tout prévu et anticipé la moindre réserve, le plus petit battement de cil pouvant venir de la Commission européenne, soucieuse de faire assurer par tous les État membres un accès égalitaire à l’infrastructure du réseau à tous les opérateurs de communications, quelle que soit leur taille ou leur histoire. La salve ne vient pas (encore) de Bruxelles, mais de l’Institut luxembourgeois de régulation (ILR), qui relaye au niveau national la volonté de la Commission européenne. Lundi 24 septembre, le régulateur a annoncé dans un bref communiqué avoir refusé de reconnaître le projet notifié par l’EPT le 30 juin 2011 « comme valant séparation fonctionnelle ». Raison invoquée : « la gouvernance du projet ne remplit pas les conditions de séparation fonctionnelle au sens de la loi du 27 février 2011 sur les réseaux et les services de communications électroniques, et en particulier de l’article 35 de cette loi ».
Que dit la loi ? Soit un opérateur identifié comme puissant, c’est-à-dire l’EPT, cède ses actifs à un tiers, soit il institue « une entité économique distincte afin de fournir à tous les détaillants, y compris leurs divisions ‘vente au détail’, des produits d’accès parfaitement équivalents ». Le montage Canada dry mis en place par l’EPT, qui a le goût et l’apparence de la séparation fonctionnelle, mais n’en est pas une, devra donc être remis sur le métier.
Interrogé par le Land sur le pourquoi de ce refus, Paul Schuh, directeur général de l’ILR, juge ainsi problématique le fait que les dirigeants de Luxgsm, qui commercialise l’accès au réseau, soient identiques à ceux de l’EPT, qui gère pour sa part ce réseau, ce qui a été voulu d’ailleurs : « Pour nous, ce n’est pas une séparation conforme à la loi. Nous considérons les deux sociétés comme une seule. Leurs dirigeants peuvent se regarder dans le miroir. Ça fausse, à notre avis, la concurrence », juge-t-il, en invitant l’opérateur public à « retravailler son modèle de gouvernance ».
Dans les faits, la position du directeur général de Luxgsm, Marc Rosenfeld, qui siège aussi au comité de direction de l’EPT, interpelle en effet sur la réalité de la séparation fonctionnelle entre les deux entités. Lui faudra-t-il maintenant choisir entre un mandat au comité de direction de l’EPT et son job de patron de la plus grande filiale de l’entreprise publique ? Ce ne serait d’ailleurs pas la seule faiblesse du chinese wall identifiée par le régulateur : « Il ne s’agit pas seulement de Monsieur Rosenfeld. Le comité de direction est le même pour l’EPT que pour Luxgsm, il y a une identité parfaite », déplore le patron de l’ILR. Les griefs ne s’arrêtent pas là. Il faudra sans doute aussi parfaire la séparation fonctionnelle sur le plan budgétaire. Ce serait là un moindre mal par rapport au reste, comme l’informatique, le cordon ombilical entre la branche vente des services de télécommunications et la maison mère n’étant pas encore coupé sur ce plan. « Pour le budget, souligne Paul Schuh, c’est une question de temps. Au niveau du personnel, on ignore qui fait ou qui fera quoi et des rumeurs évoquent le fait que certaines personnes travaillent pour les deux entreprises. Il n’y a pas assez de transparence ».
De manière générale, le régulateur des télécommunications s’intéresse aux « prix de transfert » entre l’EPT et sa filiale dédiée à la téléphonie et cherche notamment à se procurer la liste des prix d’accès au réseau facturés aux fournisseurs. En principe, ce prix devrait être identique pour Luxgsm et pour les opérateurs alternatifs, mais ce serait loin d’être le cas, aux yeux de l’ILR.
La question est maintenant de savoir quelle conséquence ce Niet de l’institut de régulation pourrait avoir sur le sort et l’organisation de Luxgsm. Sur un plan purement théorique, la loi donne à l’ILR le pouvoir d’imposer une séparation fonctionnelle, alors qu’elle a été « volontaire » jusqu’ici. Personne au Luxembourg ne souhaite en arriver à cette procédure jugée « trop lourde » et qui requiert par ailleurs l’accord de la Commission européenne.
« Il y a des solutions », admet, optimiste, Paul Schuh. Mercredi, la « décision » de l’ILR fut inscrite à l’ordre du jour d’un conseil d’administration de l’EPT qui doit se revoir encore jeudi prochain pour « conclure le problème ». Les choses devraient donc aller vite. S’agissant d’une question de gouvernance, le conseil d’administration de l’EPT a mandaté mercredi son président Gaston Reinesch pour prendre contact avec l’ILR en vue d’une « solution constructive », indique une source proche de l’entreprise. La réunion avec l’ILR a d’ailleurs eu lieu dans la foulée, mercredi après-midi, sans que l’on sache ce qui en est ressorti. La réponse devrait tomber la semaine prochaine à l’issue du conseil d’administration.
Pour l’heure, ça tire un peu à hue et à dia sur les remèdes pouvant être apportés, comme en témoigne un proche de l’EPT : « Pour défendre son capital, une entreprise doit pouvoir contrôler ses filiales ». Oui, mais il y a la manière et personne ne pourra reprocher à l’ILR, dans un secteur aussi sensible pour l’économie que celui des télécommunications, d’exiger la totale transparence sur les flux entre l’EPT, sa filiale et les opérateurs tiers. Il est vrai aussi que les chinese walls entre les deux sociétés et le dédoublement des différents postes sur le plan opérationnel coûtent chers (plus de trente millions d’euros seront investis rien que dans la mise en place du système informatique autonome de la filiale télécoms) et risquent de peser tant sur la qualité du service aux clients que sur la rentabilité de l’opérateur public. Les prévisions de recettes en 2013 pour Luxgsm tablent sur une baisse d’une vingtaine de millions d’euros du résultat d’exploitation par rapport à 2012.
Ça sert à quoi la séparation fonctionnelle ?
L’autorité française de régulation des communications électroniques (Arcep) avait résumé, dans une de ses newsletters, l’enjeu de cette « séparation fonctionnelle » pour imposer la non-discrimination dans l’accès au réseau de l’opérateur dominant : « dans les industries régulées, il peut s’avérer nécessaire d’imposer à une entreprise intégrée une obligation de non-discrimination pour l’accès à certaines infrastructures afin d’asseoir une concurrence pérenne et efficace sur les marchés de détails adossés à ces infrastructures (...) L’enjeu est de pallier le risque, qui existe au moins en théorie, qu’un opérateur intégré disposant d’une puissance avérée sur un marché de gros liée à la détention de certaines infrastructures en tire un avantage pour ses propres services de détail au détriment de ses concurrents, ce qui peut avoir pour effet de fausser la concurrence sur les marchés de détail concernés ».